La vie de Al-Mahmoudi al-Baghdadi est entre les mains du président de la République tunisienne
La chambre d’accusation ayant prononcé, lundi 7 novembre, un avis favorable quant à l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen, Mahmoud Baghdadi, c’est au gouvernement, à présent de décider et au Président de la République de signer ou non le décret d’extradition. Eclairage juridique utile.?La loi tunisienne est très explicite en matière d’extradition des étrangers, dans le cadre des procédures particulières prévues par le Code de Procédures Pénales. Les articles 316 à 328 nous en fournissent les modalités précises. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que « la chambre d'accusation, statuant sans recours, donne son avis motivé sur la demande d'extradition ». (art. 323). C’est bien donc un avis et un avis sans recours qui est prononcé.?Quant à la suite à donner à cet avis, elle est du ressort de l’exécutif et au plus haut sommet de l’Etat. « Lorsque l'avis est favorable, le gouvernement est libre d'accorder ou non l'extradition », précise l’article 324 du CPP. Il s’agit donc d’une décision du gouvernement (et non du Premier ministre seul), généralement prise après délibération en conseil des ministres. Le même article mentionne clairement la procédure : « Si l'extradition est décidée, le secrétaire d'État à la Justice propose à la signature du Président de la République, un décret autorisant l'extradition ».??
Textes??de la loi
Article 316. – Toute demande d'extradition est adressée au gouvernement tunisien par voie diplomatique et accompagnée de l'original ou de l'expédition authentique, soit d'une décision de condamnation soit d'un mandat d'amener ou de tout autre acte ayant la même force et décerné dans les formes prescrites par la loi de l'État requérant. ?Les circonstances des faits pour lesquels l'extradition est demandée, la date et le lieu où ils ont été commis, la qualification légale et les références aux dispositions légales qui leurs sont applicables, seront indiqués le plus exactement possible.?Il est joint également une copie des textes de loi applicables aux faits incriminés.??
Article 317.– La demande d'extradition est, après vérification des pièces transmise avec le dossier par le secrétaire d'État aux affaires étrangères au secrétaire d'État à la justice, qui s'assure de la régularité de la requête et lui donne telles suites que de droit.??
Article 318.– Lorsque le secrétaire d'État à la justice estime qu'il y a lieu d'accueillir la demande d'extradition, il transmet au Procureur Général de la République le mandat d'amener ou l'expédition de l'arrêté ou du jugement avec le signalement et les pièces qui lui ont été communiqués par le secrétaire d'État aux affaires étrangères.?Le Procureur Général de la République prend aussitôt les mesures nécessaires pour faire opérer l'arrestation.??Article 319. – Lorsque l'arrestation a été opérée, l'étranger est immédiatement conduit devant le Procureur de la République du tribunal dans le ressort duquel elle a eu lieu.?Ce magistrat procède sans délai à un interrogatoire d'identité, notifie à l'intéressé le titre en vertu duquel l'arrestation a été opérée et dresse procès-verbal du tout.??
Article 320.– L'étranger est transféré dans le plus bref délai à Tunis et écroué à la prison civile.??
Article 321.– L'examen des demandes d'extradition est de la compétence de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Tunis.?L'étranger comparait devant elle dans un délai maximum de 15 jours, à compter de la notification du titre d'arrestation. Il est alors procédé à un interrogatoire dont il est dressé procès-verbal.?Le Ministère public et l'intéressé sont entendus. Ce dernier peut se faire assister d'un avocat. Il peut être remis en liberté provisoire, à tout moment de la procédure, conformément aux dispositions du présent code.??Article 322. – Si lors de sa comparution, l'étranger déclare renoncer au bénéfice des dispositions prévues par le présent chapitre et consent formellement à être livré aux autorités de l'État requérant, il est donné acte par la chambre d'accusation de cette déclaration.?Copie de cette décision est transmise, sans retard, par les soins du Procureur Général de la République au secrétaire d'État à la justice qui prend telle décision qui lui paraît convenable.??
Article 323. – Dans le cas contraire, la chambre d'accusation, statuant sans recours, donne son avis motivé sur la demande d'extradition.?Si la chambre d'accusation estime que les conditions légales ne sont pas remplies, ou qu'il y a eu erreur évidente, elle émet un avis défavorable. Cet avis est définitif et l'extradition ne peut être accordée.??
Article 324. – Lorsque l'avis est favorable, le gouvernement est libre d'accorder ou non l'extradition. Si l'extradition est décidée, le secrétaire d'État à la justice propose à la signature du Président de la République, un décret autorisant l'extradition.?Si dans le délai d'un mois à compter de la notification de cet acte, l'extradé n'est pas reçu par les agents de l'État requérant, il est mis en liberté et ne peut plus être réclamé pour la même cause.??
Article 325.– En cas d'urgence et sur la demande directe des autorités judiciaires de l'État requérant, les Procureurs de la République peuvent sur un simple avis, transmis soit par la poste soit par tout mode de transmission plus rapide et laissant une trace écrite de l'existence d'une des pièces indiquées par l'article 316, ordonner l'arrestation provisoire de l'étranger. Un avis régulier de la demande doit être en même temps transmis ; par voie diplomatique, au secrétariat d'État aux affaires étrangères.?Les Procureurs de la République doivent donner avis de cette arrestation au Procureur Général de la République.??
Article 326.– L'individu arrêté provisoirement dans les conditions prévues par l'article précédent, peut, s'il séjourne en Tunisie, être mis en liberté si, dans le délai d'un mois à dater de son arrestation, lorsqu'elle aura été opérée à la demande de l'État étranger, le gouvernement Tunisien ne reçoit pas l'un des documents mentionnés à l'article 316.?La mise en liberté est prononcée sur simple requête adressée à la chambre d'accusation qui statue sans recours dans la huitaine, le Ministère public entendu dans ses réquisitions. Si ultérieurement, les pièces susvisées parviennent au gouvernement Tunisien, la procédure est reprise conformément aux articles 317 et suivants.??
Article 327.– Le transit à travers le territoire tunisien d'un individu, livré par un autre gouvernement, est autorisé sur simple demande adressée par la voie diplomatique, appuyée des pièces nécessaires pour établir qu'il ne s'agit pas d'un délit politique ou purement militaire.?Le transit d'un Tunisien ne peut être accordé.?Le transport s'effectue sous la conduite d'agents tunisiens et aux frais du gouvernement requérant.?Dans le cas où la voie aérienne sera utilisée, il sera fait application des dispositions suivantes:??• a) lorsqu'un atterrissage ne sera pas prévu, l'État requérant avertira le gouvernement Tunisien et attestera l'existence d'une des pièces prévues à l'article 316. Dans le cas d'atterrissage fortuit, cette déclaration produira les effets de la demande d'arrestation provisoire visée à l'article 325 et l'État requérant adressera une demande régulière de transit ;?• b) lorsqu'un atterrissage sera prévu, l'État requérant adressera une demande conformément aux dispositions de l'alinéa premier.??
Article 328.– La chambre d'accusation décide s'il y a lieu ou non de transmettre en tout ou en partie les titres, valeurs, argent ou autres objets saisis, au gouvernement requérant.?Cette remise peut avoir lieu, même si l'extradition ne peut s'accomplir, par suite de l'évasion ou de la mort de l'individu réclamé.?La chambre d'accusation ordonne la restitution des papiers et autres objets énumérés ci-dessus qui ne se rapportent pas au fait imputé à l'étranger. Elle statue, le cas échéant, sur les réclamations des tiers détenteurs et autres ayants-droit.?Les décisions prévues au présent article ne sont susceptibles d'aucun recours ».? ?
Biographie express de Mahmoudi Baghdadi
Né en 1945, Mahmoudi Baghdadi est un homme politique libyen qui n’a eu aucun rôle militaire ou sécuritaire sous le régime de Kadhafi. Il a été, du 5 mars 2006 et jusqu’à la chute de Tripoli, au 23 août 2011, le Secrétaire général du Comité populaire général qui fait office de chef de gouvernement dans le système jamhyrien. Il fut auparavant secrétaire à la Santé, puis vice-secrétaire du Comité populaire général de juin 2003 à mars 2006. Il est diplômé en médecine, spécialisé en obstétrique et en gynécologie.
Al-Mahmoudi al-Baghdadi a dirigé des grands projets de développement de transports, et notamment de canaux et de lignes ferroviaires. Il est plus considéré comme un technocrate qu'un idéologue. Considéré comme un représentant de la « vieille garde » conservatrice du régime, il a contribué à faire obstacle à la ligne réformatrice défendue par Saïf al-Islam Kadhafi.
Al-Mahmoudi al-Baghdadi est resté fidèle jusqu’au bout au régime de Kadhafi. Pendant la guerre de l’Otan contre la Libye, il a mené des négociations –infructueuses- avec les Occidentaux pour une sortie pacifique de la crise.
Dès le début de la crise, il affirme le droit pour la Libye de « prendre toutes les mesures pour préserver l'unité du pays », face aux « plans bien précis, destructeurs et terroristes, qui visent à faire de la Libye une base pour le terrorisme. »
Lors de l’ultime offensive des rebelles, aidés par l’Otan, sur Tripoli, il quitte le territoire libyen. Réfugié en Tunisie, il y est arrêté pour entrée illégale du territoire et condamné à six mois de prison le 22 septembre 2011; il est finalement acquitté en appel la semaine suivante par la justice tunisienne. Il demeure néanmoins en détention en Tunisie dans l'attente d'une possible extradition, les autorités libyennes ayant émis un mandat d'arrêt à son encontre. Lui-même se déclare en 2011 « prêt à coopérer avec le CNT, à condition qu'ils abandonnent leur demande d'extradition et les campagnes négatives contre [lui] », précisant n'avoir eu « aucun rôle militaire » sous le régime de Kadhafi. Le 8 novembre 8 novembre, la justice tunisienne se prononce en faveur de son extradition vers la Libye. La balle est désormais dans le camp de l’Exécutif tunisien qui a le droit de ne pas donner suite à cet avis de la justice.