La situation est bloquée en Libye, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies discutent du cas de la Syrie
Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères de Sarkozy s’emploie, depuis deux semaines, en vain à faire voter par le Conseil de sécurité de l’Onu une résolution condamnant le régime syrien. Non seulement le nombre des pays membres favorables à une telle résolution est encore insuffisant, mais la Russie et la Chine refusent toute discussion sur le sujet et déclarent ouvertement qu’elles opposeraient leur veto à tout projet dans ce sens. La raison de ce rejet ? Le précédent libyen. Moscou et Pékin s’étaient, lors du vote de la résolution 1973 sur la Libye, abstenus, pensant à tort qu’il s’agissait d’une résolution destinée à protéger la population civile désarmée. Ils se sont vite rendu compte qu’il s’agissait d’un mensonge puisque l’objectif réel était le renversement du régime libyen.
Si la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Portugal ont déposé un projet de résolution assimilant la répression en Syrie, qui a déjà fait plus de 1 200 morts selon des ONG, à un crime contre l'humanité, ce projet se garde bien de parler de sanctions, dans l'espoir d'éviter un blocage de la Chine et de la Russie qui y sont toutes deux fermement opposées.
Anticipant l’échec de sa tentative, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré que le projet de résolution ne sera mis au vote qu'avec l'assurance d'avoir une majorité suffisante au sein des 15 pays membres du Conseil de sécurité. « Il nous reste à convaincre l'Afrique du Sud, l'Inde, le Brésil, (et) nous nous y employons jour après jour », a-t-il déclaré. Mais ces trois pays ont formulé de sérieuses réserves, motivées par les frappes quotidiennes de l'OTAN sur la Libye. « L'impasse va probablement continuer. Les pays hostiles à la résolution n'ont pas de raison de changer d'avis demain. Le risque, c'est la paralysie », a souligné Michael Hodin, expert au Council on Foreign Relations, centre de réflexion basé à New York.
L'exemple libyen en a refroidi plus d'un, en particulier l'Afrique du Sud. Le président Jacob Zuma estime que l'OTAN a clairement outrepassé son mandat. Pretoria, comme l'Union africaine, a exigé que plus d'efforts soient faits pour obtenir un cessez-le-feu entre les forces gouvernementales et les rebelles, selon des diplomates.
Le 16 juin, à l’occasion du sommet de l’Organisation de Shanghai, Moscou et Pékin ont accusé l'OTAN d'interpréter « arbitrairement » la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU ayant autorisé les frappes en Libye, en ne se limitant plus à la protection des civils, mais en voulant la chute du régime, ce que la France a reconnu.
Les présidents chinois Hu Jintao et russe Dmitri Medvedev ont émis cette critique au moment où l'émissaire spécial du Kremlin pour l'Afrique, Mikhaïl Marguelov, rencontrait à Tripoli des responsables libyens dans l'espoir de dresser une feuille de route permettant une issue politique au conflit.
«Pour éviter la poursuite de l'escalade de la violence, il est indispensable d'assurer un respect strict des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, de ne pas permettre leur interprétation arbitraire», écrivent les deux chefs d'État.
En visite à Alger, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a reconnu « que les résolutions de l'ONU ne demandent pas le départ de Mouammar Kadhafi », ajoutant: « Mais nous, nous le demandons ».
M. Marguelov a rencontré le chef de la diplomatie libyenne lors de sa visite, mais aucun entretien n'est prévu avec M. Kadhafi, dont Moscou réclame désormais ouvertement le départ.
L'émissaire, cité par les agences russes, a répété que « Kadhafi n'a pas de place dans l'avenir de la Libye. Si le colonel annonce qu'il part et est prêt à un processus politique, les actions (militaires) peuvent s'arrêter très rapidement ».
« L'élite politique en Libye est très fragmentée, et il est temps aujourd'hui de construire des ponts », a-t-il ajouté, après s'être rendu le 7 juin à Benghazi, fief des rebelles dans l'Est.
Au pouvoir depuis près de 42 ans, le colonel Kadhafi est resté sourd aux nombreux appels à partir.
Son fils, et successeur éventuel, Seif al-Islam Kadhafi, a dans une interview le 16 juin au quotidien italien Corriere della Sera, affirmé que Tripoli était prêt à accepter des élections « dans les trois mois, au maximum d'ici la fin de l'année ».
Une offre qui devrait rester lettre morte : les rebelles du Conseil national de transition (CNT) fixent comme condition préalable à toute médiation le départ du dirigeant libyen.
Toutefois, selon M. Marguelov, cité par l'agence russe Itar-Tass, des « contacts directs » entre des représentants du régime et de la rébellion ont eu lieu le 15 juin à Paris.
Désormais reconnu par 15 pays comme « interlocuteur légitime » en Libye, le CNT prépare activement l'après-Kadhafi. L'organe politique de la rébellion a d'ailleurs signé le 17 juin avec Rome un « accord de coopération » prévoyant le rapatriement des réfugiés entrés illégalement en Italie, a annoncé le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini.
M. Frattini a également annoncé la tenue prochaine dans la Ville éternelle d'une « grande assemblée » rassemblant tous les chefs de tribu et des représentants de la société civile libyenne.
Pour le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, la communauté internationale doit commencer à préparer l'après-Kadhafi. « Nous devons être prêts à répondre à toute demande d'aide », a-t-il déclaré à Madrid, promettant de « maintenir la pression militaire » sur le régime.
Sur le front militaire, la rébellion avait remporté le 15 juin de nouveaux succès dans l'Ouest en prenant le contrôle de trois localités sur la route de Tripoli, selon un correspondant de l'AFP. Une source hospitalière a fait état de cinq rebelles tués et de plus de 30 blessés par des « snipers » dans ces localités.
Selon la rébellion, les pro-Kadhafi se dirigeraient à partir du désert (dans le sud-est) vers la localité d'al-Lawanya conquise la veille.
Maintenant la pression sur le régime, l'OTAN a poursuivi ses frappes sur Tripoli, de même que dans la région de Zenten (ouest) visant des cibles militaires des pro-Kadhafi.
L'hôtel Wenzrik, apparemment vide du centre de la capitale a été détruit dans un bombardement à l'aube, selon un journaliste de l'AFP sur place. L'émissaire russe y a été emmené brièvement par les autorités.
L'OTAN a en outre démenti les affirmations du régime selon lesquelles 12 personnes ont péri le 15 juin dans un raid de ses forces à Kikla au sud de Tripoli, affirmant n'avoir mené aucune frappe dans cette localité.
Opposés à toute ingérence
De plus, Moscou et Pékin ont exprimé leur hostilité à toute ingérence étrangère dans les crises dans les pays arabes, au moment où les Occidentaux cherchent leur soutien sur la Syrie, selon un communiqué signé le 15 juin lors de la visite en Russie du président chinois Hu Jintao.
« La communauté internationale peut apporter une aide constructive pour ne pas laisser la situation se détériorer, mais aucune force étrangère ne doit s'ingérer dans les affaires intérieures des pays de la région », lit-on dans la déclaration signée par le président russe, Dmitri Medvedev et M. Hu.
« Les parties appellent au règlement des conflits par des moyens pacifiques », rappellent la Chine et la Russie dans cette déclaration.
La Russie et la Chine ont boycotté les discussions au niveau des experts du Conseil de sécurité de l'ONU du week-end au sujet d'un projet de résolution condamnant la répression sanglante en Syrie.
Tous deux membres permanents du Conseil de sécurité, ces deux pays s'opposent vigoureusement à l'adoption d'une résolution dirigée contre le régime du président Bachar al-Assad.
Concernant la Libye, « le plus important est d'obtenir un cessez-le-feu rapide et le règlement du problème libyen par des moyens politiques et diplomatiques », soulignent encore Pékin et Moscou.
La Russie et la Chine « ont l'intention de continuer de concourir à la réalisation de ces objectifs par des efforts conjoints au Conseil de sécurité de l'ONU, en soutien aux initiatives de l'Union africaine ».
« Pour éviter la poursuite de l'escalade de la violence, il est indispensable d'assurer un respect strict des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, de ne pas permettre leur interprétation arbitraire et l'élargissement de leur mise en œuvre », déclarent la Russie et la Chine.
Les deux pays s'étaient tous deux abstenus d'opposer leur veto en février au Conseil de sécurité à la résolution 1973 qui a donné lieu à l'intervention occidentale, mais en ont ensuite dénoncé l'interprétation par l'OTAN.
Un émissaire du président russe, Mikhaïl Marguelov, se trouvait le 16 juin à Tripoli après s'être rendu dans le fief de l'opposition à Benghazi, dans le cadre d'une mission de médiation tentée par la Russie dans cette crise.
Avec les agences