Une analyse économique d’actualité qui développe les ressorts économiques en action dans le monde arabe.
Le consensus de Washington et les programmes d'ajustement qu'il a inspiré pour faire face à la crise de la dette après la crise mexicaine en 1982 ont fait l'objet dès la fin des années 1980 d'importantes critiques. Ce consensus était à l'origine d'une remise en cause des fondements des stratégies de développement en place et qui mettaient l'accent sur le rôle de l'Etat dans la régulation de l'ordre économique et accordaient une place de choix à la demande interne et aux politiques sectorielles notamment aux politiques agricoles et aux politiques industrielles pour construire un système économique cohérent et dynamique. Le nouveau consensus concocté par les institutions sœurs de Washington, la Banque Mondiale et le FMI, opère un changement de cap radical et a été à l'origine d'une importante contre-révolution dans la pensée et les politiques de développement. Désormais, ce sont la stabilité macroéconomique et la lutte contre les déficits qui sont au centre des politiques économiques. Par ailleurs, l'Etat cède sa place sous les attaques virulentes des nouveaux prophètes du développement et le marché devient l'acteur central dans l'allocation des ressources.
Or, ce nouveau consensus a fait l'objet d'importantes critiques et de contestations. Il faut dire que les résultats des réformes économiques mises en place essentiellement en Amérique Latine et en Afrique n'étaient pas à la hauteur des attentes. La croissance est restée fragile, l'insertion internationale marquée par les produits traditionnels mais surtout ses programmes ont été à l'origine d'une forte détérioration des conditions sociales et de l'explosion de la pauvreté. Ces résultats ont nourri les critiques du consensus de Washington par les associations de la société civile au Sud comme au Nord. Ces critiques ont été rejointes rapidement par celles des institutions internationales comme le PNUD, l'UNICEF ou la Commission économiques des Nations Unies pour l'Afrique, qui ont appelé à la définition de politiques alternatives capables de relancer les dynamiques de croissance et surtout le développement social.
Cette critique du consensus sera d'autant plus importante que le modèle asiatique est apparu dès la fin des années 1980 et au début des années 1990 comme une alternative. En effet, les stratégies de développement qui ont combiné un rôle actif de l'Etat et des stratégies de transformation économique avec d'importants investissements dans les domaines de la recherche et de l'innovation ont été à l'origine d'importantes réussites au moment où les pays sous ajustement traversent des marasmes économiques et sociaux. Le modèle asiatique a donné naissance aux dragons et aux tigres asiatiques qui sont sortis de la pauvreté et ont effectué un important rattrapage économique.
Dans les années 1990, les critiques contre le consensus de Washington vont doubler de force. Bientôt ces critiques vont provenir du saint des saints et Joe Stiglitz, économiste en chef et Vice-Président de la Banque Mondiale entre 1997 et 2000, n'hésitera pas à critiquer le consensus de Washington et démissionnera avec fracas pour protester contre les réformes du FMI. Plus tard, ces critiques vont se poursuivre et la crise financière globale de 2008 sera à l'origine de la reconnaissance d'une faillite du paradigme de Washington et du néo-libéralisme de la part des deux institutions mères et les deux chefs, Robert Zoellick et Dominique Strauss Khan, n'hésiteront pas à annoncer la fin du consensus de Washington et à appeler à la mise en place d'un nouveau paradigme de développement.
Mais, en dépit de ces critiques et de ces remises en cause, les pays arabes sont restés fidèles à ce carcan et à ses stratégies qu'ils ont mis en place depuis le milieu des années 1980. C'est cet attachement et cette incapacité à définir de nouveaux paradigmes de développement qui seront à l'origine des révolutions en Tunisie, en Egypte et des contestations dans les autres pays. Le modèle économique mis en place par les pays arabes est resté fidèle aux enseignements du consensus de Washington même si les pays ne s'en réclamaient pas ouvertement. Ce modèle mettait l'accent sur la stabilité et la gestion des grands équilibres macroéconomiques. Par ailleurs, il a fait confiance au marché qui était au cœur des réformes mises en place particulièrement dans les années 1990 notamment pour la privatisation des entreprises publiques et dans le secteur financier. C'est ce modèle qui sera à l'origine de la faillite de ces économies et de la contestation qui a abouti aux printemps arabes.
Certes, ce modèle a été à l'origine de la restauration des grands équilibres macroéconomiques. Dans la plupart des pays les déficits sont restés à un niveau faible, l'inflation est maîtrisée et l'endettement public est sous contrôle. Et, les responsables politiques et économiques dans un grand nombre de ces pays étaient fiers d'être passés maîtres en orthodoxie financière et que leurs performances dépassent celles des pays occidentaux qui étaient pourtant à l'origine de l'adhésion à cette nouvelle religion de l'hégémonie de la macroéconomie. Or, ces réussites ont pendant très longtemps caché les maux de ces économies et les faillites qui seront au cœur des révoltes à venir.
Les faillites et les échecs dans le monde arabe se situent à trois niveaux. D'abord, au niveau politique, le modèle macroéconomique du consensus de Washington n'a jamais accordé la moindre attention à la participation politique et n'a pas vu à temps les dangers de cet autoritarisme qui a réduit les marges de liberté et d'expression. Le renforcement de l'autoritarisme s'est accompagné dans un grand nombre de pays par l'explosion de la corruption et du népotisme qui ont fortement nui aux dynamiques de développement économique. Le second niveau d'échec du modèle macroéconomique est celui de la transformation économique et les économies arabes n'ont pas été en mesure de sortir de la trappe de diversification économique comme la plupart des pays émergents et sont restés empêtrés dans une insertion rentière ou un modèle intensif en travail ce qui explique l'explosion du chômage des jeunes diplômés. Enfin, la dernière faillite de ce modèle se trouve dans son incapacité à inclure les jeunes et les régions de l'intérieur dans les dynamiques de croissance et de développement. Ainsi, le consensus de Washington et la primauté accordée à la macroéconomie dans les pays arabes ont été à l'origine d'une exclusion politique, d'une inefficacité économique et d'un accroissement des inégalités. C'est ce cocktail explosif qui a nourri frustrations, colères et fureurs qui étaient à l'origine des révolutions arabes.
La transition en cours dans un grand nombre de pays arabes doit rompre avec la logique initiée par le consensus de Washington depuis le début des années 1980. Ces transitions doivent fonder de nouvelles logiques économiques et de nouveaux paradigmes qui mettent l'accent sur la participation politique, la créativité économique et l'inclusion sociale. C'est à ces conditions que les transitions en cours pourront déboucher sur de nouveaux modèles et une nouvelle expérience historique dans les pays arabes et dans d'autres pays en développement.
Hakimbenhammouda.typepad.com