Lu dans « le Quotidien d’Oran », une réaction tunisienne à la situation nouvelle créée par les manifestations de Tunis, brutalement réprimées par les policiers.
Des dizaines de journalistes tunisiens ont manifesté hier sur l'avenue Habib Bourguiba pour dénoncer les brutalités policières dont ils ont été victimes lors de la couverture des récentes manifestations. Ils disent refuser les «excuses» exprimées dans un communiqué du ministère de l'Intérieur «aux journalistes et aux citoyens agressés involontairement», affirmant son «respect pour le travail journalistique».
Les journalistes tunisiens ne croient pas à «l'agression involontaire». C'est plutôt les longues habitudes acquises durant 23 ans de régime policier qui semblent s'exprimer et pas «involontairement».
Dans une Tunisie sous tension et où même la date des élections pour l'Assemblée constituante, prévue pour le 24 juillet, est devenue incertaine, les rangs de ceux qui pensent qu'il existe des manœuvres souterraines pour faire avorter ou dérailler la révolution démocratique ont tendance à se renforcer. Les transitions d'un régime fermé à un système politique ouvert, où les détenteurs du pouvoir sont comptables de leur action, sont passionnantes mais pleines d'écueils. Dans une situation où le pouvoir est détenu de facto et dans laquelle les acteurs potentiels n'ont pas encore obtenu une légitimation par les urnes, il existe toujours risque de manipulation et de surenchère.
Il semble que l'un des facteurs de la crispation actuelle réside dans la date des élections, que certains partis souhaitent reporter mais que d'autres veulent faire rapidement pour abréger la période de transition. Chacun a de bonnes raisons.
Les opérateurs économiques, par exemple, estiment que l'absence d'un gouvernement légitime déstabilise l'économie et favorise des contestations sociales – parfois avec l'occupation des locaux – qui perturbent les entreprises. Pour ces acteurs, plus on retarde la phase de transition et plus on déstabilise l'économie et donc le pays.
En face, des forces politiques, qui tentent de s'organiser, estiment qu'il faut reporter l'échéance électorale. Il y a ceux qui constatent que la mise en place du dispositif juridique a pris plus de temps et qu'il faut donc reporter les élections à l'automne. Tous ne sont pas crédités de bonnes intentions.
Ainsi, au gouvernement, on semble accuser, à mots couverts, le PCOT (parti communiste) d'être le «manipulateur» derrière les déclarations tonitruantes de Fathi Rajhi sur un plan de coup d'Etat anti-islamiste coordonné avec Alger. Le tout sur fond de troubles sécuritaires qui ont conduit le gouvernement à instaurer le couvre-feu?Et à nourrir le soupçon de vouloir faire taire la Tunisie «activiste».
On peut ajouter, en toile de fond, une appréhension, peut-être démesurée, d'une victoire des islamistes chez certains courants politiques et, aussi, il faut le souligner, dans les chancelleries étrangères. Paradoxalement, les islamistes tunisiens font preuve d'un calme remarquable au milieu de ces tensions où les théories du complot font florès.
Les Tunisiens ne se posent pourtant pas de faux problèmes. Ils doivent gérer dans un même mouvement le lourd passif d'une dictature, une crise sociale sérieuse et passer à un autre système qui reste à construire. Cette phase intérimaire de la transition est passionnante car il s'agit de créer un consensus entre des forces sociales aux intérêts divergents. C'est un exercice compliqué et un moment critique. Les Tunisiens, qui regardent beaucoup du côté de l'Algérie, ne doivent pas oublier que les coûts d'une transition ratée peuvent être exorbitants.