Documentaire William Klein a filmé le premier Festival panafricain d’Alger, en 1969, cueillant un des moments les plus intenses de l’histoire du continent et de ses multiples combats pour son émancipation. Quarante ans plus tard, le DVD est disponible.
Les images défilent, nerveuses, caméra à la main, plans rapprochés. Portrait parfois impressionniste, toujours chaleureux. Témoignage d’une époque, c’est un document historique rare et précieux que nous offre William Klein dans cette œuvre pédagogique et engagée. Grâce aux travaux de restauration de la pellicule réalisés avec l’aide du ministère de la Culture algérien, le documentaire, diffusé par la chaîne franco-allemande Arte, en février dernier, connaît une nouvelle vie.
Public ébahi
Guère habitué au spectacle de rue que mettent en scène les festivaliers venus des quatre coins de l’Afrique, le public algérien accourt, nombreux. Il découvre, parfois ébahi, les danses et les rythmes du continent noir, les acrobates guinéens, l’accoutrement des chasseurs tchadiens, gabonais ou soudanais, les masques zambiens, le toy-toy sud-africain que swinguent les militants de l’African National Congress (ANC) en entonnant les chants libérateurs, mais aussi, le théâtre ivoirien ou congolais, les pièces épiques sur les grandes figures historiques de la résistance africaine à la colonisation, tel le Sénégalais Alboury Ndiaye. Et, encore et toujours, le saxo d’Archie Shepp ou la voix sublime de Miriam Makeba.
L’atmosphère est joyeuse, les enfants courent derrière les groupes culturels africains qui s’exhibent en défilant, tout comme les groupes algériens, les filles en gandoura de Constantine, les Touaregs du Sahara. Dans les cortèges, on discerne les sigles des mouvements de libération brandis par les militants venus nombreux à Alger, invités d’honneur du Festival. Car l’Afrique est alors encore pour un bon tiers sous le joug colonial ou sous la coupe des régimes racistes de l’Afrique australe.
De la tribune du symposium sur la culture, le président Boumediene affirme avec force : « La culture est au cœur de la lutte pour l’émancipation. Le colonialisme est un mal absolu, que nous avons tous subi, vécu, dont nous avons triomphé. Mais son mécanisme est complexe, le colonialisme est dans son essence et dans son esprit un acte total. Il ne peut qu’ajouter à sa domination matérielle une emprise sociale et culturelle. »
Le Festival se veut avant tout une affirmation des identités culturelles des Africains. Les Angolais Agostinho Neto et Mario de Andrade (du Mouvement populaire de libération de l’Angola, MPLA) rappellent l’importance des revendications culturelles dans la maturation du mouvement nationaliste. Et l’épanouissement de la culture dans le contexte « idéal » de la lutte de libération. À Alger, le MPLA venait d’ouvrir un centre culturel et d’études historiques sur l’Angola. Les cadres qui y travaillent figureront plus tard au nombre des grands écrivains angolais ou des commandants de la guérilla.
Dans ce qui est destiné à devenir un des rares documents filmés du leader guinéo-capverdien Amilcar Cabral, assassiné trois ans et demi plus tard, le fondateur du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), fait une synthèse efficace des méthodes d’enracinement de la lutte contre la domination étrangère. Et il note : « Après avoir assimilé tout ce qui était assimilable des autres expériences, nous avons adapté les tactiques de la lutte aux réalités socioculturelles et matérielles du pays. C’est à cette condition que nous avons pu mobiliser les campagnes contre la domination étrangère mais aussi contre l’exploitation. »
La voix off insiste sobrement sur cette nouvelle dimension de la culture des peuples en lutte dans la construction des nations libres, à travers notamment « une prise en charge critique de la tradition ». Par contraste avec les images de la répression en Afrique du Sud, de l’arrestation de Lumumba ou des détestables méthodes d’assimilation culturelles – « nos ancêtres les Gaulois » –, l’enthousiasme déployé par les troupes culturelles d’Africains prend valeur de renaissance.
Les Black Panthers
Klein s’attarde également, avec des séquences très suggestives, sur la fantasia, course de chevaux symbolisant la virtuosité guerrière algérienne. Mais il clôt le documentaire avec l’actualité du moment : la photo d’un guérillero angolais, au visage souriant encadré par un collier de munitions. Si les contre-révolutions africaines des années 1980, les guérillas insensées et cruelles menées au Liberia ou en Ouganda depuis, ont galvaudé, réduit à néant ce symbole de la dignité retrouvée, ce retour en arrière est encore plus salutaire.
Dans cette capitale de toutes les révolutions, Klein réalise au même moment un portrait émouvant d’Eldridge Cleaver, l’un des leaders du mouvement Black Panthers, exilé alors en Algérie.
Ce documentaire de 75 minutes, qui constitue le second DVD du coffret, s’y joint naturellement.
Festival panafricain
d’Alger + Eldridge Cleaver, Black Panthers, de William Klein. Coffret de deux DVD de 90 et 75 min, livret de 32 pages en bonus. Disponible chez Arte Vidéo, sur www.arteboutique.fr