Avec sa voix haut perchée d’une justesse incomparable, Hadja Kouyaté est la digne descendante d’une lignée de prestigieux griots et griottes : en plein dans la modernité, et totalement ancrée dans sa culture plurimillénaire.
Quand la voix d'Hadja Kouyaté se lève, on a l'impression de voir défiler les images des savanes et de la brousse sahéliennes. Vents de sable qui tourbillonnent autour des maisons en banco, marchés des potières aux alentours d'une mosquée, palabres vespérales aux pieds d'un grand baobab… Puis le chant de la fille de Diéfadima Kanté s'étire dans les atmosphères festives des mariages et autres rituels de circoncision, ou s'alanguit dans la mémoire des gestes des guerriers et des nobles qui, à partir du début du deuxième millénaire, ont bâti empires et royaumes en Afrique de l'Ouest. Installés dans les hautes gammes, les phrasés paraboliques de la jeune femme de Géckédou, le bourg de la Guinée forestière d'où elle est native, évoquent la sagesse des ancêtres, petite lumière bienfaisante dans les ténèbres d'un présent de plus en plus incertain.
Dans cette vaste zone ouest-africaine comprise entre les dunes proches de la ville maure de Koumbi-Saleh, ancienne capitale de l'empire du Wagadou, et les plateaux verdoyants qui s'étagent vers les lagunes atlantiques de la Côte d'Ivoire, une aire culturelle fort homogène s'est développée dans les apports pluriels d'une mosaïque de peuples aux origines diverses. Ici, le génie africain a inventé une musique à consonance épique, enracinée dans l'histoire des terroirs, vigoureuse et nostalgique à la fois, tantôt témoin de ce passé illustre et messagère de ses enseignements, tantôt miroir de l'actualité et des mutations parfois bouleversantes des mœurs.
Hadja Kouyaté s'en est imprégnée, en a appris les techniques dès l'enfance, et pour cause : elle est issue d'un lignage prestigieux de femmes et d'hommes castés, les griots ou djeli, qui en sont les dépositaires depuis des siècles et transmettent leur savoir de père en fils. « À l'âge
de 5 ans, raconte cette djelimousso au port élégant, je suivais de village en village ma mère qui animait les baptêmes et mariages. Près de moi, les femmes m'invitaient à chanter. "Après, tu vas manger", me disaient-elles. Je démarrais mon chant avec un petit mot, "Iniba", qui veut dire "merci" dans ma langue natale, le malinké. Chez nous, la culture est très importante et j'y suis née dedans. Plus tard, j'ai évolué avec les jazzmen, où la respiration du chant est différente par rapport à la djeliya. »
Autour, balafon, kora, bolon et doundoun, les instruments typiques d'un répertoire qui a traversé les âges pour s'imposer jusque dans l'industrie musicale contemporaine, retentissaient dans les réjouissances populaires. Comme dans son dernier album, Tourou, le premier à être diffusé en Guinée après Manding-Ko (2001) et Yilimalo (2004), deux productions internationales, où la mélopée vertigineuse de la diva de Conakry se mêle aux effets de l'électronique. Kefuï, le morceau fétiche, n'arrête pas de faire des ravages à la télé en Afrique et aux Antilles.
Hadja, qui a grandi à l'école d'artistes comme Manfila Kanté ou Ousmane Kouyaté et a tourné dans le monde entier avec le projet African Divas, de Frédéric Galliano, est le prototype de la griotte moderne : « Je ne lâcherai jamais ma culture ni n'oublierai mon vécu. Je peux chanter avec les machines électroniques et je m'habille en
boubou. »
Tourou, Ideal Song Music.