Madagascar L’installation d’un nombre croissant de retraités occidentaux, attirés par les charmes des jeunes femmes locales, assurent au pays des transferts d’argent stables et durables. Exemple dans la plus grande ville portuaire du nord.
Dans un pays soumis à l’une des plus graves crises de son existence depuis plus d’un an, la relative prospérité d’Antsiranana, deuxième port de la Grande Île, fait bien des jaloux. Des Malgaches venus des côtes desséchées du sud ou des faubourgs miséreux d’Antananarivo, la capitale, prennent de plus en plus souvent la route de la grande ville du nord pour y trouver une vie meilleure. Pourtant, à l’arrivée, nul travail ne les attend : aucune industrie ne s’y est plus créée depuis vingt ans, et celles qui existent encore survivent le plus souvent en décomptant les semaines ou les années qui les séparent d’une fermeture définitive. Ainsi de la Secren, un chantier de réparation des bateaux qui était, il y a deux décennies, une référence dans l’océan Indien et qui ne fournit plus aujourd’hui que de la main-d’œuvre aux thoniers espagnols de passage.
« Le lieu où l’on se mélange »
En réalité, la ville d’Antsiranana vit désormais sur un apport de revenus qui semble à l’abri des vicissitudes du marché et des crises politiques : les retraites des Européens venus s’installer sous les tropiques pour y passer des jours plus « entourés » et « chaleureux » que dans les pays du Nord. Le choix d’Antsiranana n’est pas un hasard : la ville a, dès son origine, développé un rapport de dépendance étroit à l’égard des étrangers, et plus particulièrement des Français, les anciens colonisateurs. En effet, la création et l’expansion de la ville, appelée autrefois Diego-Suarez, ont été assurées pendant tout le xxe siècle par la base militaire française restée dans le pays jusqu’en 1976. En outre, les militaires et fonctionnaires français venus travailler à Diego-Suarez n’ont pas hésité à se métisser, profitant de la liberté dont jouissent les filles antakarana, la population d’origine de la région. « Les femmes d’ici ont toujours bénéficié de droits exceptionnels, témoigne Cassam Aly, le président du musée régional de la ville. Pour ne prendre qu’un exemple : lorsqu’elles se mariaient de manière coutumière, elles pouvaient quitter leurs maris après un an d’essai et retrouver une entière liberté. C’est cette liberté qui leur a permis de se tourner vers les militaires français installés dans la ville, mais aussi vers les dockers comoriens ou yéménites. » Antsiranana, qui signifie « le lieu où l’on se mélange », est ainsi devenue la ville la plus métissée de Madagascar.
Aujourd’hui, les retraités prennent la route de Diego-Suarez le plus souvent pour trouver une compagne. Certes, quelques-uns ne sont que de passage et profitent de leur aisance financière pour s’offrir des filles. Mais beaucoup, la plupart français, cherchent à s’installer de manière durable. Certains sont d’anciens marins, d’autres d’ex-militaires ayant gardé la nostalgie de la ville lorsqu’ils y étaient en service. D’autres encore sont des particuliers isolés que la perspective d’une retraite solitaire pousse à l’expatriation. Ces hommes ne sont pas nécessairement venus à l’aventure. Certaines filles de Diego, en effet, s’activent sur les sites de rencontres pour attirer ceux à la recherche d’une âme sœur de l’autre côté du globe. « Notre première clientèle, ce sont les jeunes femmes qui vont sur ces sites, assure le gérant du plus gros cybercafé de la ville. Les filles elles-mêmes ne s’en cachent pas. « On cherche un vazaha [homme blanc] parce qu’ils font des maris plus stables », s’amuse l’une d’elles. « On les aime vieux parce qu’ils sont moins volages », ajoute une autre.
Moins volages, mais surtout plus rassurants sur le plan financier. Chacune sait que derrière le charme discret des tempes grisonnantes se cache une pépite : la retraite. « Le retraité vazaha ? Mais c’est de l’or ici ! », commente une jeune femme. Leur objectif à toutes n’est pas tant la séduction d’un soir ou d’une semaine que le mariage, perçu comme le moyen le plus sûr de bénéficier des revenus durables que constitue la retraite. Beaucoup parviennent à leurs fins : à la mairie de la ville, la majorité des mariages enregistrés sont conclus entre une jeune femme malgache et un retraité vazaha.
Depuis quelques années, ces unions se sont multipliées, créant une catégorie socio-économique nouvelle. C’est que l’argent des retraites bénéficie à l’épouse, mais aussi aux nombreux membres de sa famille, aux enfants métis issus de ces unions et parfois même à… l’ex-mari malgache, appelé ici « djombile », ou parasite. Sans avoir de statistiques précises, on peut mettre en avant quelques chiffres pour évaluer le poids grandissant des retraites dans l’économie d’Antsiranana. D’abord le nombre des retraités : environ 400 pour les seuls registres de l’immigration. Ensuite, leurs dépenses moyennes mensuelles : environ 1 100 euros, soit une rentrée d’argent dans la ville de 440 000 euros par mois. À ces chiffres, il faut ajouter les transferts par Western Union des retraités non résidents, soit 20 % en plus. Certaines filles, habiles manœuvrières des sites de rencontres et du chat sur Internet, toucheraient même jusqu’à 1 500 euros par mois en se « fidélisant » plusieurs retraités restés en France mais venant à Diego pour des séjours temporaires. Un certain nombre d’entre eux investit aussi dans l’immobilier ou divers projets de développement ou de commerce. Si bien qu’on peut évaluer la somme injectée annuellement par les retraités dans la ville à 6 ou 7 millions d’euros.
Par comparaison, le budget annuel d’Antsiranana représente quelque 3 milliards d’ariary (la monnaie malgache) soit 900 000 euros. Quant aux cinq plus gros employeurs de la ville, ils ont une masse salariale annuelle d’environ 10 milliards d’ariary, soit 3 millions d’euros.
Certes, les retraites ne font pas toute l’économie de la ville. La plupart des habitants vivent ou survivent en travaillant dans le secteur informel, dont l’importance n’est pas à sous-estimer. Une grande partie des foyers engrange de petits revenus issus le plus souvent du commerce de produits locaux ou importés. Mais le nouvel apport stable des retraites forme désormais un pilier de l’économie d’Antsiranana, loin devant l’industrie ou le tourisme. De plus, en cette période de crise où les aides au développement et les programmes des organisations non gouvernementales ont été suspendus, cet argent joue un rôle d’amortisseur social non négligeable.
échange inégal ?
Ce type de rapport Nord-Sud n’est pas l’apanage de Diego-Suarez, même si la ville constitue à cet égard un cas type. D’autres endroits dans le monde ayant le double avantage d’offrir une certaine douceur de vivre et des jeunes femmes peu farouches connaissent une évolution semblable. Que ce soit à Madagascar ou dans certaines villes d’Afrique ou d’Asie, les retraités blancs s’installent et apportent avec eux le confort d’un revenu important et régulier. Un nouvel avatar de l’échange inégal ?