Côte d’Ivoire Déjà deux mois de coupures. La demande d’électricité a explosé et, avec des unités de production défaillantes, la lumière n’est pas prête de revenir. À moins que l’État ne consente enfin à investir.
Ça arrive d’un coup. Sur le chemin qui ramène au quartier. Dans la boutique, autour du « Drogba », la bière locale baptisée en hommage au footballeur ivoirien, bu entre amis… Coupure. Nuit noire. Des maisons, on entend monter le « non ! » teinté de colère. Un mois que la Côte d’Ivoire vit à l’heure du délestage. « Trop, c’est trop, on n’a pas mérité ça ! » Comme beaucoup de petits commerçants, Rosine n’a pas les moyens d’investir dans un groupe électrogène. Son unique moyen de subsistance ? La vente de sachets d’eau glacée. « Comment je vais faire pour payer la chambre ? » Et encore, elle n’est pas la plus mal lotie. Jusqu’ici, son congélateur a tenu le choc. Au moment où le courant revient, nombre de frigos, de télévisions, d’ordinateurs ont été brûlés par le survoltage. D’autres ont perdu tous leurs stocks de nourriture. Et ce ne sont pas les tentatives d’explication que donnent l’État et la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) qui mettront du baume aux cœurs.
Ex-exportateur d’énergie
Depuis le début février, l’État ivoirien n’accepte en effet qu’une responsabilité limitée sur le sujet. Il se retranche derrière une panne survenue à la centrale thermique d’Azito et d’un déficit en eau sur les sites hydroélectriques, du fait de la sécheresse. Il semblerait donc que ce soit une défaillance de l’entretien et des raisons météorologiques qui soient à l’origine de la crise. On peut en douter. Ils sont nombreux, à l’image de Jean-Louis Billon, président de la Chambre de commerce, a montré plutôt du doigt « les défaillances en termes d’équipement, et ce malgré les mises en garde répétées de la CIE ». D’autant que la demande n’a cessé de croître ces dix dernières années de « manière vertigineuse. » En gros 5 % par an, et un parc d’abonnés qui a augmenté de 50 % depuis 1999.
À l’heure actuelle, pour une puissance de 1 210 mégawatts (MW), et une disponible de 859 MW, la demande aux heures de pointe culmine à 876 MW, soit un déficit de 17 %. Et celui-ci ne cesse de se creuser. Les acteurs estiment en gros à 100 MW le déficit accru tous les deux ans. « La récente ouverture par la Ciprel d’une machine de production (110 MW) avait permis de résorber en partie ce manque. En partie seulement. Aujourd’hui les investissements nécessaires sont estimés à 250 milliards de francs CFA, qu’il s’agisse de centrales thermiques ou de nouveaux barrages, comme celui de Soubré, commente ce responsable de CIE. Qui d’autre que l’État peut intervenir ? »
Et pourtant, la Côte d’Ivoire a longtemps été un pays autosuffisant, voire exportateur d’énergie. Depuis 1959, et la construction d’Ayamé 1, six barrages hydroélectriques fournissaient à 60 % l’électricité nécessaire au pays. Puis au moment des grandes sécheresses de 1984, confronté qu’il était à l’assèchement des retenues, l’État met en route un programme thermique avec le site de Vridi. Dans cette même logique de production, une convention sera signée avec la Ciprel (1 994). Les trois années suivantes, quatre groupes thermiques sont fournis, pour un total de 210 MW. Et l’État décide encore la construction d’Azito. De cette façon, la Côte d’Ivoire peut tirer profit de ses gisements de gaz, répondre à la demande croissante, et même exporter de l’énergie vers ses voisins.
Vols et vandalisme
Depuis 2000, la politique ivoirienne ne paraît pas suivre le même chemin. Il y a eu certes des promesses d’investissements étrangers. Un équipement de turbines à gaz était prévu, sur un partenariat technique chinois et des capitaux libyens. Des négociations avaient été également menées entre le ministère des Mines et de l’Énergie et des Américains, pour la livraison d’une centrale de 118 MW. Projets restés sans lendemain. Le déficit énergétique s’est ainsi creusé d’année en année. Et la situation est devenue d’autant plus préoccupante que le transport et la distribution d’électricité ont également commencé de poser problème. Les lignes à haute tension, les transformateurs ne répondent plus à la demande. Et la CIE doit faire face à des actes de vandalisme, des vols répétés qui pénalisent encore son champ d’action. Les 250 milliards nécessaires à la remise en état du domaine électrique vont donc bien au-delà de la seule production.
Retour à Grand-Bassam, quartier d’Odoss, l’un des plus populaires de la ville. Baraquements de bois, pauvreté grandissante. Dans un maquis, les consommateurs ont acheté des bougies et boivent une bière Solibra, derniers flacons glacés. « Tu as travaillé toute la journée, et quand tu rentres d’Abidjan, ils coupent. Pas de ventilo, rien, c’est impossible de dormir… Et puis les gens ont même peur de sortir. À cause des agressions. Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? On peut plus dormir, plus travailler, même plus sortir… », se lamente cet habitué. À quelques rues de là, cette nuit de février, des pneus brûlent au carrefour de la Paix ou, plus loin, sur le pont de la lagune Ebrié, limite du quartier France. Les coupures, la situation électorale, la dissolution du gouvernement, le marasme ambiant, tout revient d’un coup sur le bitume. Il est neuf heures et demie. Amadou est entré dans le maquis avec son sac, ses bougies et ses lampes made in China. « Des LED, puissance maximale et 360 heures d’autonomie. » Il rigole Amadou ! Sa petite entreprise ne connaît pas la crise.