Reconduit à la tête d’une Banque consolidée, le président veut en faire la principale institution de financement du développement de l’Afrique. Il devra néanmoins combler le fossé qui s’est installé entre pays riches et pays pauvres pour l’accès aux ressources de l’établissement.
Réélu fin mai 2010 à Abidjan par le conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement (Bad) après un premier quinquennat jugé positif par cette instance, l’ancien ministre rwandais des Finances, Donald Kaberuka, entame officiellement son second et théoriquement dernier mandat le 1er septembre à Tunis. Il fera une prestation de serment solennelle en présence de plusieurs personnalités politiques et économiques du continent et d’ailleurs.
Bad n’est pas Fad
« C’est la victoire d’un capitaine d’équipe », s’était réjoui Donald Kaberuka en mai, avant de dédier, gentleman, sa reconduction par acclamation (il était le seul candidat en lice) à la direction et au personnel de la banque. « J’ai été élu la première fois il y a cinq ans. La Banque a doublé de taille et la qualité est assurée. Mais, au cours des cinq prochaines années, nous devons consolider ce qui a été fait et porter l’Afrique sur la scène internationale », ajoutait-il, non sans légitime fierté.
La reconduction de Kaberuka intervient dans un contexte marqué par une augmentation de 200 % du capital de l’institution panafricaine, une action qui a constitué le principal cheval de bataille du Rwandais au cours des derniers mois. Estimant que les ressources de la Bad, fortement sollicitées par les pays membres, étaient désormais insuffisantes pour faire face aux multiples demandes des pays africains affectés par la crise financière mondiale, Kaberuka s’est employé à convaincre les pays riches membres de la Banque de tripler le capital de l’institution. D’où la grande satisfaction affichée par le banquier après la décision des gouverneurs de donner suite à ses requêtes : « Vous nous avez donné la force de frappe nécessaire pour augmenter nos prêts et répondre aux demandes de nos pays membres régionaux, à revenu intermédiaire comme à faible revenu. »
Que fera Donald Kaberuka de cette « force de frappe » avec laquelle il débute son dernier quinquennat ? En clôturant les assemblées annuelles de mai dernier, le président de la Bad avait été peu disert à ce sujet, se contentant de brosser rapidement quelques grands traits. La prestation de serment du 1er septembre devrait lui fournir le prétexte de faire connaître sa feuille de route concernant les priorités auxquelles seront affectées les ressources ainsi démultipliées, tout comme son ambitieuse stratégie de faire de la Bad la principale institution de financement du développement en Afrique.
Si pratiquement personne ne met en doute la volonté de réformes et le dynamisme qui animent Kaberuka, des voix se font de plus en plus entendre, du côté des pays africains à revenu intermédiaire ou à faible revenu, pour appeler la Bad à un surcroît d’attention. Le groupe de la Bad a en effet créé une division au sein des pays africains en ouvrant un guichet Bad non concessionnel, le « vrai » guichet en réalité puisque disposant de ressources abondantes auxquelles ne sont éligibles qu’une poignée de pays jugés solvables, et un guichet concessionnel pour pays pauvres, le Fonds africain de développement (Fad), peu doté. C’est l’essentiel des pays africains qui se voit ainsi marginalisé du fait des risques qu’il représenterait pour la trésorerie de la Bad. Si le guichet Bad peut être assuré de fonctionner davantage que par le passé avec le triplement du capital, ce n’est guère le cas du Fad qui peine à voir ses ressources reconstituées. De nouvelles négociations ont été lancées en vue de recapitaliser cette « banque des pauvres », mais nul ne sait si, en cette période de raréfaction des ressources, les donateurs répondront présents, et dans quelles proportions.
C’est peu dire que les pays pauvres – et parmi eux ceux tombés dans la catégorie États fragiles ayant plus besoin de la Bad que les pays à fort revenu – attendent beaucoup de Kaberuka. Ils reliront chaque phrase de son speech de Tunis à la recherche d’un « signe », mais ils ne seront pas seuls à le faire : leurs défenseurs aussi. Parmi eux, un certain Ken Sunquist, gouverneur temporaire pour le Canada, qui avait été on ne peut plus clair sur ce dossier, lors de la réunion annuelle de mai à Abidjan :
« La Banque connaît le continent mieux que quiconque et a le potentiel nécessaire pour devenir la “première institution de développement” de l’Afrique. Toutefois, cela dépend de la pertinence de nos programmes et de la capacité de la Banque à produire des résultats significatifs et à apporter les ressources qui correspondent à la capacité d’absorption des pays membres régionaux. Nous croyons que des règles, des procédures et des objectifs communs aux composantes du groupe de la Banque, c’est-à-dire au volet Bad et au volet Fad, renforceront considérablement la cohérence et le rendement du groupe. À titre d’exemples de changements utiles, permettez-moi de suggérer des objectifs et des secteurs prioritaires communs pour le Fonds et la Banque, un conseil d’administration commun et une approche mieux adaptée aux défis que pose l’intégration régionale pour permettre une participation inclusive des pays Bad et des pays Fad dans la programmation régionale. »