Le gouvernement a suscité une flambée de violences meurtrières en voulant augmenter le prix des produits de première nécessité. Entre subventions et exemptions d’impôt pour les géants miniers, son modèle est-il viable ?
Quatorze morts et plus de 600 blessés, 300 personnes interpellées… C’est le bilan de trois jours d’émeutes, début septembre, qui ont éclaté pour protester contre la cherté de la vie. Des milliers de Mozambicains avaient investi Maputo, la capitale, depuis les banlieues proches, dans un mouvement aussi spontané que violent, surgi peu après l’annonce de l’augmentation du prix du pain, du combustible, de l’électricité et de l’eau notamment. Autant de produits subventionnés par l’État à coup de millions de dollars. Une tendance devenue insoutenable, avaient expliqué les membres du gouvernement pour justifier la hausse, décidée, on ne peut plus maladroitement, simultanément pour l’ensemble des produits subventionnés. Dont le pain, devenu la base de l’alimentation, héritage de la colonisation surtout en zone urbaine. Le Mozambique ne produit que 5 % de ses besoins en farine de blé, évalués à 437 000 tonnes par an, et les restrictions des exportations de la Russie, après les incendies de juillet-août, ont entraîné une hausse des prix sur le marché mondial. L’augmentation était légitime, d’autant qu’elle avait obligé le gouvernement à porter les subsides à presque 40 millions de dollars. Mais qu’en est-il du pouvoir d’achat de la majorité des consommateurs ?
L’ampleur de la protestation a en tout cas fait reculer le gouvernement qui a aussitôt rétabli les prix des produits de première nécessité aux niveaux antérieurs. En attendant le résultat d’études sur des mesures plus substantielles à mettre en œuvre pour remédier au manque à gagner, le gouvernement a annoncé la réduction des dépenses publiques, en premier lieu le gel des salaires des cadres de la Fonction publique, la réduction des déplacements à l’étranger, etc. Mais suffiront-elles ? Lors des émeutes de 2008, qui avaient éclaté en réaction à l’augmentation des prix du combustible, l’État avait déjà reculé et rétabli les subventions, sans pour autant trouver des alternatives durables au coût qu’elles entraînent pour un État encore très dépendant de l’aide internationale.
Lutte contre la pauvreté
Avec une croissance élevée depuis le début de la décennie, le Mozambique a pourtant incarné la réussite aux yeux des institutions financières internationales, qui n’ont cessé de répéter que le pays pouvait se vanter d’avoir les meilleurs résultats parmi les pays sortant d’un long conflit armé. Ainsi la lutte contre la pauvreté, priorité proclamée par le président Armando Guebuza, confortablement réélu en 2008, a-t-elle produit des résultats très significatifs, selon les calculs de ces mêmes institutions. Mais la tâche était immense, et, surtout, le modèle de développement trop libéral pour assurer une redistribution plus équitable, alors même que l’enrichissement d’une nouvelle bourgeoisie, qui a notamment prospéré dans le cadre d’une sorte d’affirmative action à la mozambicaine, en tant que partenaire obligée des investisseurs étrangers, est perçue comme une provocation par les laissés-pour-compte des banlieues.
La corruption, dont se plaignent régulièrement les donateurs, achève de brouiller l’image d’une réussite que l’on a définie comme exemplaire. Quant aux subventions, elles ont été maintenues en dépit des pressions exercées par des donateurs favorables à une politique de « vérité des prix ». La marge de manœuvre est étroite et le gouvernement espère que la prochaine mise en production des mines de charbon de coke changera la donne. Pour Carlos Nuno Castel Branco, directeur de l’Institut d’études sociales et économiques (IESE), les subventions pouvaient être maintenues tant que le niveau de pauvreté les rendait nécessaires, si l’État n’avait pas exempté d’impôts les géants miniers et de l’aluminium installés depuis le début de la décennie (aluminium et gaz notamment). « Ce qui se traduit par un manque à gagner de 300 millions de dollars par an, soit deux tiers de l’aide budgétaire, ou huit fois la subvention du blé », soutient Castel Branco, convaincu que l’intérêt des grandes compagnies étrangères à opérer au Mozambique n’aurait pas été amoindri si l’impôt avait été instauré. « Mais, conclut-il, l’État semble avoir choisi de subventionner ces grands groupes mondiaux plutôt que les produits de première nécessité. »