Après l’arrestation du président sortant, la capitale économique reprend vie mais très lentement. La sécurité n’est toujours pas assurée dans les rues, qui portent de nombreux stigmates des pillages.
Abidjan, boulevard Giscard d’Estaing (VGE), mardi 12 avril, il est dix heures du matin. Crac, crac, crac ! Une voiture, dans sa course folle, vient d’écraser un emballage métallique abandonné sur la chaussée par un pilleur. Sitôt, tout le monde stoppe. On s’assure qu’il ne s’agit pas d’un crépitement d’arme automatique. Au lendemain de la capture de l’ex président Laurent Gbagbo par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) aux ordres du président élu Alassane Ouattara, Abidjan a repris son souffle mais la peur au ventre. Reliant les quartiers de Treichville, Marcory, Koumassy et Port-Bouët, le VGE, qui est aussi l’artère menant à l’aéroport international de la capitale économique, a grise mine en ce mardi 12 avril. Bordée de commerces, l’artère témoigne une reprise encore très timide des activités économiques. Pillées, saccagées voire incendiées, les grandes surfaces commerciales, PRIMA, OLCA DECO et leurs succursales, les garages automobiles, les boutiques de téléphonie mobile, tous montrent aux passant les pièces à conviction du pillage à grande échelle dont ils ont été victimes. Indices de la semaine de guerre : des voitures caillassées, ravalées sur le trottoir par des pelleteuses. Dans un garage, un camion de dépannage décharge des taxis de marque Toyota, couleur orange, tous hors d’état de circuler. De part et d’autre du boulevard, les immeubles d’habitation sont déserts. Ils abritaient des hommes d’affaires libanais, très présents dans le tissu économique ivoirien. Portails défoncés, fenêtres béantes, macadam surchargé de détritus : la tempête du pilage a soufflé sur ces immeubles. Leurs locataires ont dû se mettre sous la protection du 43ème BIMA, la force française basée à Port-Bouët. La tempête a été aggravée par le vent des rumeurs. Ainsi, à PRIMA, les vandales auraient bénéficié du coup de pouce d’hommes armés à la recherche de caches d’armes du pouvoir sortant. Nombre de stations-service, soupçonnées d’être la propriété des « Refondateurs », ces nouveaux riches émergés de l’entourage de l’ancien chef d’Etat Laurent Gbagbo pendant ses dix ans de règne, ont aussi été visées dans divers quartiers. Même quand elles n’avaient pas été pillées, la plupart affichaient porte close. Dans la matinée, des commerçants ont pointé le nez, comme au grand marché de Koumassi. Mais pour faire l’état de lieux, non pour sortir des étals. Dans ces conditions, le transport a repris à minima. De rares taxis communaux appelés « woro, woro » et des taxis-ville dits « taxis compteurs » tentaient de reprendre du service, de même que des mini-cars de transport urbain. Un état de convalescence en somme. Des Abidjanais ont pu s’offrir de l’attiéké, ce met très prisé, qui a manqué à beaucoup pendant une semaine. Des baguettes de pain se sont vendues au prix habituel de 150 francs CFA, alors qu’elles était passées de 250 à 500 F par endroits. Le long de l’avenue du Cameroun qui relie Koumassi à Marcory, un supermarché « cash center » a ouvert, sous bonne garde. Deux agents de sécurité, kalachnikov serrés entre les mains, sont plantés au portillon, le regard sévère. En face, un autre commerce et une station service n’ouvriront pas de sitôt. Ils ont été vandalisés. A quelques pas, un magasin « bon prix » filtre l’entrée de ses clients. Quand un 4X4 bourré d’hommes en armes, moitié treillis, moitié civils, a soudainement stationné à sa hauteur, les clients étaient au bord de l’infarctus. Heureusement, ces soldats ont juste débarqué ceux des leurs qui habitent dans les environs. Ouf ! Pour leur sécurité, les Ivoiriens attendront encore. Patrouille de gendarmes français à bord de blindés, 4X4 de soldats du FRCI, défilés de véhicules de la croix rouge ou de compagnies de sécurité ont continué mardi. Histoire de dire que le retour de la sécurité, après le recours aux armes, prendra du temps. Tout au moins, l’arrestation de Laurent Gbagbo et de sa famille a eu pour effet l’accalmie. « C’est la première fois que je dors toute une nuit depuis une semaine », indique un résident de la cité des arts, un sous-quartier de Cocody où les combats ont été rudes pour la prise de la résidence présidentielle et du siège de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI). En effet, entre le 11 et le 12 avril, les Abidjanais ont passé une nuit sans être réveillés par des déflagrations d’obus, hormis quelques détonations sporadiques.