Comment les nouveaux dirigeants Emiratis se transforment en supplétifs de l’Otan et de la France de Sarkozy.
Lors de la réunion du Groupe de contact à Istanbul (Turquie), Abdallah Bin Zayed, ministre émirati des Affaires étrangères, s’est illustré par un discours agressif contre la Libye. Il faut reconnaître que depuis le décès de leur père, Cheikh Zayed Al Nahyan, ses héritiers se sont mis ouvertement sous le parapluie militaire occidental, sans ménagement des sentiments de l’opinion publique arabe. Que ce soit vis-à-vis de l’Iran, de l’Irak ou de la Libye, les EAU commencent à adopter imprudemment une politique suiviste vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Union européenne, ouvrant leur territoire à des bases militaires (comme c’est le cas du Qatar) américaine, britannique et française. Ces bases, plutôt que d’assurer la sécurité des Emirats, les exposent, en cas de conflit armé avec l’Iran, à des représailles directes. Ces bases pourraient également déstabiliser ces émirats fragiles dans la mesure où une bonne partie de l’opinion émiratie et également une partie de sa population chiite et d’origine iranienne, sont choquées par ce suivisme aveugle.
L’ouverture en 2009 d’une base française à Abou Dhabi a non seulement choqué l’opinion émiratie, mais a également suscité un débat au sein du parlement français.
Ainsi, la sénatrice Michelle Demessine, parlant au nom du groupe CRG-SPG au Sénat (communiste et gauche), a dénoncé l’accord de défense signé avec les Emirats Arabes Unis.
Son intervention, qu’elle a prononcée le jour même du débat sur la guerre en Libye, le 12 juillet, et dont nous publions ci-dessous l’intégralité, donne des informations inédites sur cet accord de défense et explique en partie l’engagement militaire des EAU dans la guerre contre la Libye sous le parapluie de l’OTAN.
Intervention de la sénatrice Michelle Demessine :
« Monsieur le Président, Monsieur le ministre, Mes chers collègues,
Notre pays et les Emirats arabes unis ont signé à Abou Dhabi, le 26 mai 2009, lors de la visite officielle du Président de la République pour inaugurer une nouvelle base militaire interarmées, un accord de coopération en matière de défense.
Vous nous avez précisé, Monsieur le ministre, qu’il se substituait à un accord secret de 1995 devenu obsolète tant du point de vue du champ de la coopération couvert que de la protection offerte à nos personnels sur place. Par la suite, un échange de lettre dit « interprétatif » portant sur le dispositif juridique régissant nos forces, a eu lieu entre les deux parties en décembre de l’année dernière.
L’étendue des coopérations contenues dans cet accord en prouve assez l’importance.
A peine deux mois après la réintégration complète de la France dans le commandement militaire de l’Otan, le Président de la République procédait ainsi à une nouvelle réorientation stratégique majeure.
L’inauguration d’une base militaire permanente en dehors de l’ancien « pré carré » africain, était déjà en soi une première depuis cinquante ans. La signature de l’accord, dans la foulée, concrétisait la volonté d’installer durablement notre pays au centre d’un « arc de crise » défini par le Livre blanc. Celui-ci allant du Proche-Orient au Pakistan, en passant par l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan, concentre les risques de conflit les plus lourds de la planète. Cet accord révélait aussi une dispersion de nos capacités et un redéploiement de certaines d’entre elles pour nous aligner, une nouvelle fois, sur la politique des Etats-Unis en nous insérant dans leur dispositif dans cette région. Certes, ces décisions du Président de la République découlaient de certaines analyses du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui avaient été présentées devant le Parlement. Mon groupe ne les avait pas approuvées. Mais je déplore malgré tout, que de telles décision, aussi lourdes de conséquence, n’ait fait l’objet d’aucun débat stratégique, d’aucune concertation parlementaire préalable.
Trois points particuliers me semblent soulever des questions fondamentales. La clause de sécurité, les articles relatifs au statut de nos forces, et d’une façon plus générale notre politique de défense dans la région.
L’une des singularités de cet accord de défense, se trouve notamment dans les articles 3 et 4 du texte signé. Ceux-ci comportent une clause dite de « sécurité », prévoyant une riposte militaire graduée à tout type de menace contre l’un de nos pays, pouvant aller jusqu’à l’engagement de nos forces.
Cela signifierait très concrètement, que dans l’hypothèse où les Emirats seraient soumis à une attaque contre ce qu’ils estimeraient être leurs intérêts vitaux, ou mettant en cause leur souveraineté nationale, nous pourrions être quasi mécaniquement amenés à un engagement militaire.
Cette clause est paradoxale et elle est contradictoire avec les politiques de coopération et de défense que votre gouvernement mène avec les pays d’Afrique. En effet, lors de la discussion parlementaire sur de nouveaux accords signés avec des Etats africains, vous aviez fortement insisté sur le refus de ce type de clauses d’assistance mutuelle.
Quand on connait la situation sensible de cette zone, avec la rivalité entre ces monarchies pétrolières soutenues par les Etats-Unis, et l’Iran qui veut s’imposer comme puissance régionale en utilisant le chantage nucléaire, on mesure tout le risque de l’engrenage dans lequel la France pourrait être entrainée.
Car l’Iran a clairement prévenu que s’il était lui-même agressé, une de ses ripostes pourrait viser les émirats du Golfe.
Et ce n’est pas une hypothèse d’école. Récemment encore, le général Ali Jafari, commandant suprême des Gardiens de la révolution, déclarait à une agence de presse que l’Iran était près à fermer le détroit d’Ormuz (par lequel je rappelle que transite 40% du trafic maritime mondial) s’il était menacé.
En outre, le texte de l’accord, en envisageant que la France puisse utiliser « tous les moyens militaires à sa disposition » pour défendre les Emirats arabes unis s’ils venaient à être agressés, introduit une certaine ambiguïté en ce qui concerne nos armes nucléaires.
Je sais que la convention prévoit une concertation entre les parties sur la nature de la menace et sur la nature de la réponse à apporter.
Mais l’engagement de l’arme nucléaire serait du seul ressort du Président de la République si les intérêts vitaux de la France étaient menacés. La doctrine de la dissuasion nucléaire ne définissant pas exactement ces intérêts vitaux, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous me précisiez si l’accord signé offre ou non notre parapluie nucléaire aux Emirats voisins de l’Iran ?
En ce qui concerne le statut de nos personnels sur place, la lettre interprétative porte sur les garanties dont ils pourraient bénéficier en cas de désaccord sur la nature de l’infraction commise. Ce pays étant régi par les lois islamiques de la Charia, je crains quelques difficultés d’application en cas de litige grave.
Enfin, il n’est pas possible d’évoquer un tel accord sans considérer l’attitude très négative des Emirats dans le domaine des droits de l’homme, en particulier dans leur façon de traiter les ressortissants étrangers. Nous ne pouvons non plus oublier l’intervention et les exactions commises à Bahrein. Approuver cet accord de défense c’est donc soutenir militairement une dictature pétrolière qui opprime ses populations et réprime alentour. Récemment, les parlementaires allemands se sont vivement affrontés à propos d’un projet de livraison de chars à l’Arabie saoudite. La polémique portait sur le non-respect des principes déontologiques fédéraux en matière d’exportation d’armement,
notamment en direction de pays fortement soupçonnés d’opprimer la population ou de violer les droits de l’homme.
Il y a- là pour nous un exemple à méditer.
Au total, il y a vraiment dans votre politique étrangère quelque contradiction à prétendre soutenir le « printemps arabe » pour la démocratie et le développement, et les relations très étroites que vous entretenez avec ce type de régime.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe CRC/SPG votera contre cet accord de défense avec les Emirats arabes unis. »