L’Union européenne a mandaté des experts pour observer puis analyser les élections en Centrafrique. Résultat : un rapport accablant. Réaction de l’UE ? Aucune…
Le rapport de la mission exploratoire de l’Union européenne (UE), établi par les experts électoraux envoyés en république centrafricaine pour analyser ce qui s’est passé lors des élections, présidentielle et législatives, est un véritable morceau d’anthologie. Un petit bijou. Il aurait dû être largement publié : au moins aurait-il renseigné les pays-membres et leur opinion publique sur le peu de cas que l’on a fait des fonds alloués à l’organisation de ces scrutins. Le processus électoral a reposé à 80 % sur la communauté internationale, au premier rang de laquelle l’UE s’est engagée à hauteur de 9,5 millions d’euros, soit presque les deux tiers des quelque 15 millions d’euros du budget total. La mascarade qui en a découlé, le 23 janvier dernier, date du premier tour, est plus que désespérante, elle est affligeante et les premières victimes en sont les citoyens centrafricains.
Pour commencer, selon les observateurs la campagne électorale a été « profondément déséquilibrée et disproportionnée du fait de l’écart des ressources entre les candidats du KNK [coalition au pouvoir, ndlr] et ceux de l’opposition ». Lors du déroulement des scrutins, d’importantes irrégularités ont été relevées, parmi lesquelles on peut noter, par exemple, le remplacement de la liste électorale informatisée par une liste manuelle, la diversité des justificatifs d’identité et d’inscription sur les listes acceptés par les autorités lors du vote, la décision de la CEI de faire voter les forces de sécurité le même jour que les civils, en violation du Code électoral, la rétention généralisée des copies des procès-verbaux de résultats ou encore le nombre très élevé de dérogations, ce qui constituait « des indices probants de votes multiples pratiqués le jour du scrutin, en particulier par les éléments de la Garde présidentielle. »
Dès après le vote, le taux de participation annoncé par la Commission électorale indépendante (CEI) en même temps que les résultats, était de 54,01 %. Il omettait 1 262 bureaux de vote, soit plus du quart du corps électoral. La CEI n’était d’ailleurs indépendante que sur le papier : elle était présidée par un proche du chef de l’État et entretenait des liens étroits avec le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation ainsi que, au niveau local, les chefs de village, sous-préfets et préfets.
L’analyse des résultats réserve son lot de « curiosités ». Les résultats provisoires proclamés par la CEI ont été fondé sur une compilation de seulement 72,67 % des bulletins de votes. A priori sans raison. Par ailleurs, on peut être étonné du nombre élevé de membres de la famille Bozizé élus dès le premier tour. Outre le président lui-même, élu député du 4ème arrondissement de Bangui, ont été déclarés vainqueurs son épouse Monique, ses deux enfants Jean-Francis et Socrate, son frère aîné Jean-Roger Ouéfio, sa sœur cadette Joséphine Kéléfio et son neveu, le colonel Sylvain Ndoutingai, ministre d’État en charge des Mines. L’Assemblée nationale accueillera également « la maîtresse du chef de l’État, Madeleine Sambo Bafatoro… miraculeusement donnée gagnante avec plus de 55 % des voix dans la circonscription de Carnot 1 ». A elle seule, la famille élargie de François Bozizé emporte huit des trente-cinq sièges attribués, soit presque le quart.
La description des fraudes et malversations s’étend sur les soixante-trois pages de ce rapport, de toute évidence fait avec beaucoup de sérieux et de professionnalisme, signé par ses auteurs et estampillé du logo de l’UE. Dès lors, on peut s’interroger sur la mention liminaire : « Ce rapport n’a été ni adopté ni approuvé de quelque façon que ce soit par les institutions de l’Union européenne et ne doit pas être invoqué en tant qu’expression de son opinion. » L’organisme supra-étatique a investi presque 10 millions d’euros dans cette opération et ferme les yeux sur l’utilisation qui a été faite de ses derniers. Ne serait-ce pas se moquer des Centrafricains, des citoyens européens et de ses propres bailleurs de fonds ?