C’est parce qu’il n’a écouté que sa propre voix que le vieil Abdoulaye Wade essuie aujourd’hui un cuisant revers en Casamance, une région sous tension perpétuelle. À quelques mois de la prochaine présidentielle, cet échec n’est vraiment pas de bon augure.
« Ce n’était donc qu’une fanfaronnade ! »peste Djibril, un jeune casamançais qui participait, le mois dernier, à un festival organisé à Ziguinchor en Casamance, au sud-ouest du Sénégal, par des jeunes du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée-Bissau voisines ayant pour ambitionner de mobiliser les trois pays autour de la nécessité du retour à la paix dans cette région sénégalaise de Casamance, en proie à une rébellion indépendantiste depuis 1982.
La foucade de Djibril tient à un engagement qu’avait solennellement pris le président Abdoulaye Wade lors de sa première prestation de serment, le 3 avril 2000. Ce jour-là, dans un stade Léopold Sédar Senghor de Dakar plein à craquer, Wade, le père du « Sopi » (changement, en wolof), soulevait des acclamations nourries du public en annonçant péremptoirement qu’il lui suffisait de 100 jours, pas un de plus, pour régler définitivement la question casamançaise. L’heure étant alors à l’euphorie du changement, la plupart des Sénégalais ne s’étaient guère interrogés sur la recette magique par laquelle le professeur Wade allait changer en si peu de temps, le cours de l’histoire tumultueuse de cette région du sud-ouest du pays, coincée entre la Gambie du truculent Yaya jammeh et l’instable Guinée-Bissau, pays des coups d’État à répétition. Cent jours passèrent. Puis 100 semaines, 100 mois, et à présent plus de 120 longs mois. Pendant onze ans, Wade a bien tenté de tenir sa promesse mais, au bout du compte, rien n’a fondamentalement changé en Casamance. La région est toujours aussi instable, et des périodes d’accalmie sont immédiatement suivies d’accès de tensions armées, avec morts d’hommes, de part et d’autre.
« C’est triste à reconnaître, mais Abdoulaye Wade a lamentablement échoué en Casamance », tonne un opposant du front « Benno Siguil Senegaal » présent à un meeting organisé à la mi-mai à Ziguinchor par cette formation politique déçue des méthodes de Wade qui ont entraîné un pourrissement progressif de la situation. « Il y a eu beaucoup d’amateurisme dans la gestion de ce délicat dossier, et la méthode “m'as-tu-vu” et “cavalier seul” adoptée par Gorgui Wade n’a rien arrangé non plus », poursuit-il. « Le plus grave, se désole un paysan de Kolda, c’est que le président refuse de reconnaître qu’il a échoué, et par conséquent, de changer de politique. »
En effet, alors que l’insécurité s’aggrave dans la région, le chef de l’État sénégalais continue de fonctionner comme si tout allait pour le mieux. Ces dernières semaines, son camp faisait savoir à qui voulait l’entendre, que le règlement de la question casamançaise n’était plus loin. La raison de cet optimisme soudain tient à la nouvelle trouvaille d’Abdoulaye Wade : armes contre travail et nourriture. Le chef de l’État sénégalais a sorti de son chapeau cette nouvelle potion magique, en lançant un appel aux rebelles à déposer les armes avec en contrepartie la garantie de leur réinsertion sociale et économique. « Le problème, résume un ancien rebelle retourné à la vie civile il y a cinq ans, c’est que Wade n’est plus crédible aux yeux des Casamançais, et ses promesses les laissent désormais indifférents. Il y a bien d’anciens combattants qui ont déposé les armes par le passé, en espérant trouver un travail à Dakar ou ailleurs comme promis, mais ils se sont retrouvés à la rue. »
À quelques mois de la prochaine élection présidentielle à laquelle le président octogénaire veut se présenter, l’échec cuisant récolté en Casamance apparaît comme un gros boulet dans le pré du président-candidat. Lui qui aime à égrener la liste de ses réalisations et de ses succès, bute encore sur la terre remuante de Casamance. Ayant affiché très tôt et sur la place publique son succès attendu à Ziguinchor, Wade a de la peine à admettre son échec onze ans plus tard, et s’arc-boute derrière la souveraineté nationale et les prérogatives exclusives du gouvernement en matière de sécurisation du pays et de défense de son intégrité territoriale pour rejeter toute aide, y compris de la classe politique ou d’organisations sénégalaises désireuses d’apporter leur concours à la pacification de la région dont
le potentiel économique et touristique ne peut être judicieusement exploité en raison des attaques armées récurrentes.
Dès sa prise de fonction en 2000, Wade avait en effet décidé de rompre totalement avec la méthode Diouf faite de négociations avec diverses parties, y compris avec le recours aux États voisins. Il avait alors entrepris de discuter directement avec les rebelles, ou plus exactement une faction d’entre eux. Une initiative alors saluée comme démontrant l’attachement du président à régler rapidement ce dossier comme promis. Mais, surestimant sans doute sa connaissance du terrain casamançais, « il s’y est aventuré sans même connaître l’identité des combattants avec lesquels il entendait négocier », analyse un ancien militaire sénégalais ayant suivi le dossier des négociations du temps de Diouf. Fidèle à sa logique du « moi et moi seul », Wade a ignoré tout le travail abattu avant lui et a choisi ses proches, très souvent peu avertis de la question, pour jouer les « Monsieur Casamance ». Le dialogue direct eut bien lieu, mais avec des représentants casamançais rarement représentatifs. L’argent distribué pour amener à la paix ne servit finalement qu’à alimenter un business entre chefs de guerre autoproclamés. Par ailleurs, en faisant le dos rond aux Gambiens et aux Bissau-Guinéens dont l’implication est vitale pour la réussite de tout processus de paix durable en Casamance, Wade n’a fait qu’éloigner le règlement de ce conflit.
Aujourd’hui encore, le président sénégalais est persuadé qu’il détient seul, la solution, ce qui l’enferme dans une voie sans issue. C’est ainsi que, au moment où les Casamançais dans leur immense majorité appellent à se retrouver autour d’une table de négociations, Wade lance, unilatéralement, un appel à déposer les armes. Pour sûr, le dialogue de sourds n’est pas près de s’achever entre combattants et pouvoir central.
Pour éviter de s’entendre dire que c’est l’opposition qui a finalement trouvé le moyen de pallier les différentes insuffisances, Abdoulaye Wade a rejeté violemment les conclusions des « assises nationales » (un forum regroupant diverses personnalités et leaders d’opinion du Sénégal), qui estimaient que, pour mettre fin à la grave crise, « il est indispensable d’en faire une priorité nationale, en réalisant autour de sa solution le consensus le plus large possible des Sénégalais ». Des recommandations de bon sens qui ont fort déplu au « Vieux » qui s’est déchaîné en proférant des menaces contre ces « assises nationales » qui n’auraient pas d’existence juridique. C’est en n’écoutant que sa propre voix que l’échec est arrivé en Casamance. S’il devait s’entêter dans cette voie du « cavalier seul », il semble peu probable que le conflit casamançais tire à sa fin, surtout en cette période où le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) apparaît fractionné entre divers chefs n’obéissant qu’à eux-mêmes et plus soucieux de poursuivre le « business de guerre » et les divers trafics illicites mais juteux qu’il génère. D’un côté comme de l’autre ?