Depuis le 7 avril dernier, Mahamadou Issoufou, élu président de la République au terme du scrutin du 12 mars, a pris ses quartiers au palais de Niamey, après une cérémonie officielle d’investiture qui a mis un terme à la transition militaire que vivait le Niger depuis février 2010.
Exit donc, la junte militaire du général Saliou Djibo, qui a tenu ses promesses en remettant de l’ordre dans une maison Niger autrefois défigurée par l’entêtement de l’ancien président Mamadou Tandja à prolonger son séjour à la tête de l’État, bien au-delà du maximum des deux quinquennats autorisé par la constitution. Pour diriger le pays pendant les cinq années à venir, les Nigériens ont choisi un civil n’ayant jamais revêtu l’uniforme militaire – pour le troquer plus tard pour les besoins de la cause –, un ingénieur des mines qui s’est illustré dans l’arène politique nigérienne par une grande combativité et par l’attachement à des valeurs idéalisées par les Nigériens, la justice sociale, la démocratie et l’État de droit.
On peut le dire, Mahamadou Issoufou, l’« opposant historique », précédé d’une réputation d’intégrité et de bonne gouvernance, démarre son quinquennat sous de bons auspices. À la cérémonie d’investiture, riche en symbole, on pouvait remarquer la présence de son adversaire malheureux du second tour, l’ex-premier ministre Seini Oumarou, qui avait reconnu rapidement sa défaite, épargnant à son pays les désordres électoraux et postélectoraux enregistrés dans la sous-région, notamment en Côte d’Ivoire. « C’est le signe d’une grande maturité politique dont on espère qu’elle va s’étendre à toute la classe politique et à l’ensemble de la sphère sociale », confie un proche de celui qui revendiquait l’héritage de Mamadou Tandja.
Le nouveau président n’avait eu de cesse de militer pour la renaissance du Niger. Depuis le 7 avril, il s’y attelle, à sa façon, par des actes fortement symboliques, comme la main tendue à l’opposition pour faire partie de son premier gouvernement. La coalition de l’opposition regroupée au sein de l’Alliance pour la réconciliation nationale (ARN) a certes décliné l’offre, invoquant le souci de se constituer en « opposition démocratique » forte, afin de mieux servir l’enracinement de la démocratie et de l’État de droit au Niger, mais elle a tenu à saluer « très positivement le sens de l’ouverture politique du président de la République ».
Le jour même de sa prise de fonction effective, Issoufou a également innové, en nommant au poste de premier ministre un Touareg d’Agadez (nord du pays) Brigi Rafini. Né le 7 avril 1953 à Iférouane, une localité aux confins du désert nigérien, dont l’attaque du camp militaire en février 2007 avait sonné le début la deuxième rébellion touarègue qui a pris fin en 2009, Rafini est devenu le symbole d’une gouvernance nouvelle qui se veut inclusive. Notamment à l’égard de la communauté touarègue dont les révoltes successives des années 1990 et 2000 ont été motivées par un sentiment d’exclusion et de marginalisation du pouvoir central de Niamey.
Pour Hassoumi Massaoudou, directeur de cabinet du nouveau président, « M. Rafini est un bon choix qui donne le signal du rassemblement des Nigériens ». Au-delà de ces considérations de politique régionaliste, le choix porté sur Rafini témoigne aussi de la priorité que le nouveau chef de l’exécutif accorde au règlement de la question de l’instabilité dans la partie nord du pays, d’où partent la plupart des mouvements touaregs qui défraient la chronique, et qui est devenue progressivement un repaire du groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Issoufou prend le témoin, précisément à l’heure où ces menaces de déstabilisation du Niger n’ont jamais été aussi grandes, du fait notamment de la situation de quasi-guerre civile en Libye voisine ainsi que des troubles en Côte d’Ivoire. Dans son premier message à la nation, le nouveau chef de l’État a pointé ces événements, qui aggravent ces menaces du fait des mouvements massifs des populations qu’ils provoquent et des risques qu’ils créent de dissémination d’armes de tout calibre. « Pour toutes ces raisons, a-t-il souligné, le Niger s’engagera, avec détermination, dans la recherche de la restauration de la paix en République de Côte d’Ivoire et en Libye. La situation que nous vivons aujourd’hui illustre bien, pour un pays donné, la disparition de la frontière entre défense extérieure et sécurité intérieure. Les menaces sont devenues mondiales et naturellement ces menaces nécessitent des réponses mondiales ou, à tout le moins, régionales et sous-régionales. Par conséquent, pour assurer notre sécurité commune, je plaide pour une coopération plus forte entre les pays de la Cedeao et les pays de la zone sahélo-saharienne. Pour assurer la sécurité du Niger et contribuer à la sécurité commune, j’envisage une solution globale, à la fois sécuritaire, administrative, économique et sociale. Il s’agira de concevoir et de mettre en œuvre un meilleur encadrement administratif et un vaste programme de développement économique et social des zones pastorales. Il s’agira aussi de rétablir le monopole de la violence de l’État, seul censé détenir des armes de guerre sur l’ensemble du territoire national. Il s’agira, enfin, de doter nos Forces de défense et de sécurité (FDS) de ressources humaines bien formées et bien entraînées ainsi que d’équipements en quantité et en qualité suffisantes. Je veillerai personnellement, en tant que chef des armées, à la consolidation de l’unité et de la cohésion ainsi qu’au renforcement du moral de ceux qui ont la lourde mission d’assurer la sécurité des Nigériens et de leurs biens, de protéger nos frontières, et au-delà, de contribuer à la sécurité internationale. » Si les nouvelles autorités au pouvoir à Niamey ont accueilli avec satisfaction le dénouement moins violent que prévu de la crise en Côte d’Ivoire où vivent des centaines de milliers de Nigériens, elles espèrent fortement un retour à la normale en Libye qui conditionnera la stabilisation du nord du pays et la mise en œuvre effective des différents programmes de développement annoncés par le président Issoufou.
Celui-ci hérite, en effet, d’un pays certes politiquement apaisé – mais aux deux tiers désertiques –, qui demeure pauvre en dépit de sa richesse principalement en uranium, avec à la clé des crises alimentaires à répétition. « Dans un tel contexte, la démocratie c’est bien, les élections transparentes c’est super, mais la démocratie et le pain ensemble, c’est encore mieux », résume Al Hoceine, un paysan de Zinder, au sud du pays.
Pour Mahamadou Issoufou, il est temps que la liberté conquise s’accompagne aussi de pain pour tous les citoyens. Le peuple nigérien, a-t-il souligné, a un immense défi à relever, « un défi qui a un rapport avec sa dignité et son honneur : le défi de l’éradication de la faim. Il est choquant que, de manière récurrente, nous soyons réduits à mendier notre pain quotidien auprès des autres peuples. Comme en témoignent les dernières élections, notre peuple a conquis sa liberté politique : il lui reste, maintenant, à réaliser l’alliance de la liberté et du pain ». Pour réaliser cette alliance, le nouveau chef de l’État a promis que son gouvernement « s’attaquera à la réalisation de l’initiative “3 N”, c’est-à-dire les ‘‘Nigériens Nourrissent les Nigériens’’. Cela est possible, car en plus des eaux de surface, comme celles du fleuve Niger, nous disposons d’immenses gisements d’eau souterraine. Cela est possible, car nous avons des terres irrigables. En mobilisant toutes ces ressources ainsi que les eaux pluviales, les sécheresses récurrentes ne seront plus synonymes de famines, car nous parviendrons, inch’allah, à mieux organiser le combat contre les effets des changements climatiques, à accroître les rendements des cultures pluviales, à promouvoir l’agriculture irriguée et à moderniser l’élevage. »
Différentes mesures sont envisagées à cet effet, comme le rétablissement des subventions de l’État aux producteurs afin de leur faciliter l’accès aux intrants et de leur permettre de se nourrir de leur propre travail « plutôt que de laisser se développer en eux cette mentalité d’assistés qui est la conséquence inévitable de l’aide humanitaire : autrement dit, aux subventions en aval de la production, nous allons substituer les subventions en amont de la production », et cela dès la prochaine campagne agricole a promis le président.
Construction de routes, de chemins de fer, et réalisation de différentes infrastructures de développement pour favoriser une meilleure exploitation des gisements miniers du pays figurent également au programme du nouveau quinquennat. Les Nigériens, autrefois fatalistes, se reprennent à rêver.