Il ne fait pas bon s’opposer, de près comme de loin, au président Paul Biya, lequel engrangera bientôt trente ans de pouvoir sans partage. Thierry Atangana qui croupit entre quatre murs en est la tragique démonstration.
Michel Thierry Atangana Abega est en prison. Depuis treize ans, il est détenu dans les sous-sols du secrétariat d’État à la Défense, à Yaoundé. Dans cette prison non officielle, il ne bénéficie d’aucun droit de visite ni du minimum de confort. Il purge une peine d’emprisonnement de quinze ans pour détournement de fonds publics, dans le cadre de sa gestion d’un organisme d’économie mixte dénommé Comité de pilotage et de suivi des projets de construction des axes routiers Yaoundé – Kribi et Ayos – Bertoua, plus facilement abrégé en Copisur. Alors qu’il voit se profiler sa libération d’ici deux ans, un nouveau dossier à charge a été exhumé des archives judiciaires camerounaises, sur lequel aucune enquête n’avait été diligentée au moment des faits, en 1997. Bien qu’il ne s’agisse que d’une autre accusation de détournement de fonds, rendue encore plus complexe par la multiplicité des intermédiaires mis en cause, il pourrait en coûter quinze nouvelles années de détention au malheureux prisonnier. C’est Me Gilbert Collard, pénaliste bien connu en Afrique, dernièrement dans l’affaire du journaliste français Jean-Paul Ney arrêté et emprisonné à Abidjan (Côte d'Ivoire) en 2007, qui assure sa défense.
Déroulons le fil de cette histoire camerounaise, destinée infliger à un prisonnier un doublement de peine simplement pour repousser d’éventuelles ambitions non de lui-même, mais de son ancien associé ! Michel Thierry Atangana Abega est un natif de Nsimeyong, dans la région de Yaoundé. Économiste, spécialiste en finances publiques et privées, cet homme, aujourd’hui âgé de 46 ans, voyait s’ouvrir un avenir radieux devant lui. Employé par le groupe de travaux publics Jean Lefebvre, en 1994 il est appelé conjointement par son patron et par le pouvoir camerounais pour présider le Copisur.
À cette époque, les opérateurs économiques étrangers accumulent de gros arriérés de paiement de leurs créances sur l’État, dus principalement à la crise économique subie par le Cameroun. Beaucoup ferment leurs entreprises. L’idée qui préside à la création du Copisur est qu’en utilisant le bitume, les carburants, les huiles, les gaz et autres hydrocarbures produits par les sociétés pétrolières Elf, Mobil, Shell et Texaco sur ses chantiers, l’entreprise de travaux publics Jean Lefebvre pouvait reprendre ses activités. Ces fournitures, jointes à lataxe spéciale sur les produits pétroliers, permettent le règlement de ses créances en souffrance. Par ailleurs, ce redémarrage octroie au Trésor camerounais des retombées fiscales particulièrement bienvenues en période de crise, avec comme corollaire la reprise des constructions routières particulièrement créatrices d’emplois. Le Copisur représente des enjeux à la fois géostratégiques, sociaux et économiques.
Tout serait pour le mieux au pays de Paul Biya si la politique n’était venue semer la zizanie. Il faut noter qu’en mai 1995, Dieudonné Ambassa Zang, attaché à la présidence de la République et représentant de l’État dans le Copisur, a été remplacé par Titus Edzoa, nouveau secrétaire général de la présidence. Celui-ci restera à ce poste jusqu’au 19 septembre 1996, date de sa nomination comme ministre de la Santé publique. Le 20 avril de l’année suivante, il annonce sa démission du gouvernement en même temps que sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre suivant. Diable, un concurrent pour Paul Biya… Dangereuse posture. D’autant plus qu’il est question d’une alliance avec l’opposant historique John Fru Ndi, leader du Social Democratic Front (SDF). Les représailles ne tardent pas : trois semaines plus tard, il est arrêté et placé sous mandat de dépôt en même temps de Thierry Atangana, lequel est assimilé dans la foulée à son « homme de main ». D’écoutes téléphoniques illégales en violation des droits de la défense, les deux hommes ont été condamnés à quinze ans d’emprisonnement, premier volet de la « pièce de théâtre » qui se rejoue aujourd’hui au Tribunal correctionnel de Yaoundé.