La paix dominicale a été rompue le 27 février quand, vers 13 h 30, un groupe de vingt à trente militaires a tenté de forcer un barrage de la Garde républicaine pour se rendre dans une résidence privée du chef de l’État, dans le quartier chic de la Gombe, au centre de la capitale. L’obstacle franchi, les mutins ont été arrêtés à un second barrage. Dans l’heure qui a suivi, un groupe de militaires, peut-être les rescapés de la bande ayant participé à l’attaque à la Gombe, a cherché à pénétrer dans le camp Kokolo, situé à 5 km de là, qui abrite le principal arsenal du pays, avant d’être encore repoussé. Le bilan officiel est de dix-neuf morts dont huit membres de la garde présidentielle et onze assaillants, selon le colonel Lole Onyondo, porte-parole de la police.
Le pouvoir a été échaudé. Dès le lendemain a été convoqué le Conseil supérieur de la défense, réunissant autour du chef de l’État, le premier ministre Adolphe Muzito, le ministre de la Défense Charles Mwando Nsimba et tous les responsables de la police et de l’armée. Conclusion : l’attaque du 27 février était « une offensive terroriste de type primaire » (sic) selon le ministre de la Communication Lambert Mende Omalanga, qui accuse les assaillants d’avoir voulu « jeter le pays dans l’épouvante ». Il est question de « commanditaires » nationaux et étrangers, cités par les assaillants capturés dont certains étaient porteurs de machettes « pour dépecer leurs victimes » et « d’amulettes fétichistes supposées leur assurer invisibilité et invincibilité », rapportent les médias officiels qui de jour en jour ont fait état d’un nombre croissant d’assaillants (126 au total). À en croire Lambert Mende, un ex-militant du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba figurait parmi les assaillants que d’autres officiels décrivent comme « lourdement armés », équipés même de lance-roquettes et d’une mitrailleuse, alors que les témoins autour de la maison de Kabila, n’ont entendu que des tirs de kalachnikov. En tout cas, la sénatrice du MLC Eve Bazaiba dément avec vigueur que son parti soit mêlé à l’incident, arguant qu’il y a huit ans que les combattants du MLC ont été intégrés dans l’armée et que la garde rapprochée de Bemba a été démantelée en mars 2007. Bemba, dont le procès est en cours à La Haye devant la Cour pénale internationale et dont les biens ont été saisis, n’a aucunement les moyens d’entretenir une milice, assure Eve Bazaiba.
Mais le porte-parole de la police, qui a affirmé le 7 mars à la presse que les insurgés visaient aussi l’aéroport et les installations de la télévision, reste arrimé à la thèse du complot. De leur côté, les suspects présentés à la presse le même jour ont crié leur innoncence et dit avoir été arrêtés sur leur lieu de travail. Bizarre autant qu’étranger. En tout cas, le sentiment général à Kinshasa est plutôt que l’incident résulte d’une nième tentative d’expression de leur ras-le-bol par des militaires qui a mal tourné. Car même si la situation s’est un peu améliorée, avec l’appui des officiers de l’UE qui ont sécurisé la chaîne de paiement des soldes (autrefois presque entièrement détournées par les officiers congolais) et réduit les effectifs des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) de 350 000 à 150 000 hommes, en éliminant des listes les fantômes, dont les salaires étaient aspirés par des officiers indélicats, les conditions de vie de la troupe restent déplorables. La solde a certes progressé de 10 à 50 dollars par mois ces dernières années, mais ce montant est encore trop dérisoire pour subvenir aux besoins d’une famille. En outre, il reste des oubliés. Citant des sources militaires, l’agence indépendante Apa rapportait le 3 mars qu’une quarantaine de soldats de la 4e région militaire (Kasaï Occidental) attendaient leur solde depuis près de deux ans.
Le plus inquiétant est que cette mutinerie n’est pas un acte isolé. Le 4 février vers trois heures du matin, une vingtaine d’hommes en armes, mais en civil, le front ceint d’un bandeau blanc et rouge aux couleurs du drapeau katangais, avaient tenté de prendre le contrôle de l’aéroport de Lubumbashi, au Katanga, surprenant la Garde républicaine. Ils avaient également hissé un drapeau katangais à la place du drapeau congolais, raconte un employé de l’aéroport, finalement repris vers 7 heures du matin, par la Garde républicaine après la fuite des assaillants, qui se sont enfuis sans être capturés, en enlevant leur bandeau pour se fondre dans l’anonymat. Sans doute cet « acte de mutinerie » trahit-il plus que de simples revendications de salaires. Mais les faits sont là : les soldats katangais sont mécontents. Aux griefs classiques des militaires congolais s’ajoute leur refus d’être mutés hors de la province par un Joseph Kabila méfiant, comme son père envers les fils des anciens gendarmes katangais du Front de libération nationale du Congo (FLNC). L’attaque avait surtout un but démonstratif, mais à ne pas prendre à la légère car elle survient dans un contexte de montée des revendications sécessionnistes.
En mai, une vingtaine de partisans du président du FLNC, Elie Kapend Kanyimbu, candidat déclaré à la présidentielle de novembre 2011, avaient été arrêtés, alors qu’ils projetaient de semer le désordre dans Lubumbashi avec des armes de guerre, selon le ministre provincial de l’intérieur, Kikanga Kazadi. Puis, le 11 juillet 2010, date anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Katanga, de nouveau vingt personnes avaient été arrêtées par la police lors d’une manifestation interdite d’une centaine de militants venus réclamer l’indépendance du Katanga sur la Grande place de la Poste, rebaptisée place Moïse Tshombé. Selon Georges Kimba, représentant de la Communauté katangaise d’Outre-mer, cette mauvaise humeur devrait s’accroître avec la nouvelle frustration qu’a représenté pour les Katangais, le vote par le parlement le 15 janvier dernier d’une réforme de la constitution qui signifie un recul par rapport aux aspirations des autonomistes, autorisant le président de la République à dissoudre les assemblées provinciales et à révoquer les gouverneurs, avec l’aval du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Enfin, le 12 janvier, le sénateur Jacques Mbadu (majorité présidentielle) annonçait en séance plénière l’arrestation par les habitants de six localités du Bas-Congo de soixante-douze rebelles qui, selon lui, s’apprêtaient à faire sauter les barrages hydro-électriques d’Inga à la dynamite. Condamnés à de lourdes peines par le tribunal militaire de Matadi, le 4 mars dernier, ces hommes seraient, selon l’accusation, des anciens des ex-Forces armées zaïroises qu’aurait recrutés pour son « armée de résistance populaire » le général Faustin Munene, ancien vice-ministre de l’Intérieur et ancien chef d’état-major de la force aérienne congolaise, sous le défunt Laurent Kabila, qui avait fui en septembre 2010, au Congo-Brazzaville où il a été arrêté le 17 janvier dernier à Pointe-Noire. Mais hormis chez les inconditionnels de la mouvance présidentielle au Sénat, on s’étonne que d’anciens militaires aient pu être maîtrisés par de simples paysans. Le doute règne aussi quant à leur intention de faire sauter les barrages dans la mesure où un tel projet exigerait de grandes quantités d’explosifs, un savoir-faire nécessaire et un mobile…
Plus de quatorze ans après la chute de Mobutu, l’armée congolaise, excepté les quelque 10 000 hommes de la Garde républicaine, reste paupérisée. Et le mécontentement persiste alors que jamais le Congo n’a fait l’objet d’autant de programmes de coopération militaire. Aux Européens et aux Américains, s’ajoutent les Sud-Africains qui viennent de former au centre d’instruction de Mura au Katanga, les 42e et 43e bataillons d’intervention rapide. En attendant, les premiers à faire les frais de la colère des FARDC sont les habitants. Comme l’a démontré le pillage en février d’un centre médical dans le quartier de Kingabwa à Kinshasa par des « hommes en uniforme » ou l’abandon total dans lequel se trouvent les ressortissants de la Province orientale, subissant enlèvements, pillages et exodes, provoqués par les combattants de l’Armée de résistance du Seigneur et les éleveurs nomades Mbororo, armés jusqu’aux dents.