Nigeria Le décès attendu du président Yar’Adua n’a pas provoqué l’instabilité politique qu’annonçaient bien des Cassandre. Goodluck Jonathan, président par intérim, a été officiellement investi le 6 mai. Sa tâche reste rude.
Le président Umaru Musa Yar’Adua est mort à 58 ans, le 5 mai 2010, après une agonie de plus de six mois. Parti se faire soigner en Arabie Saoudite le 24 novembre 2009, il était rentré discrètement au pays le 24 février 2010. Il n’avait plus jamais fait de réapparition sur la scène publique, alimentant toutes les rumeurs dans ce pays qui les aime tant. Après bien des atermoiements, le vice-président Goodluck Jonathan avait été investi des pouvoirs présidentiels par intérim le 9 février, au prix d’une petite manipulation politique qui n’avait pas recueilli tous les suffrages. Le pays avait tenu bon.
Bilan décevant mais…
Toutes les Cassandre du continent et d’ailleurs peuvent aller se rhabiller : il n’y aura pas d’effondrement du Nigeria. Pas de violence, pas de coup d’État militaire mais un deuil national de sept jours, digne et sobre, et la continuité de l’État. Les institutions du pays sont restées solides et l’engagement républicain de ceux qui en ont la charge mérite d’être salué. Il semblerait que le géant n’ait plus les pieds d’argile qu’on lui a tant reprochés. Bien sûr, les mauvaises langues ont remarqué que Goodluck Jonathan a été accueilli de façon distante aux obsèques. Était-ce un signe de désaffection ? Seule l’ignorance de la qualité de la famille Yar’Adua – une lignée aristocratique très ancienne – et de la fonction traditionnelle prestigieuse du défunt : il était mutawalli, c’est-à-dire « gardien du trésor royal », pouvait amener à le croire. La tradition a été observée à la lettre, comme partout en Afrique de l’Ouest en pareille circonstance, et tous ceux qui n’étaient pas sur le même pied n’ont été admis aux funérailles qu’en qualité d’invités, président de la République compris. Celui-ci ne s’en est d’ailleurs pas offusqué.
On trace aussi à grands traits le bilan « décevant » de Yar’Adua : pas de refonte spectaculaire du secteur énergétique ; pas de réforme du système électoral, pourtant tellement critiqué pour les fraudes commises lors des élections générales de 2007 ; persistance des difficultés dans le delta du Niger, lesquelles causent bien du tracas aux compagnies pétrolières multinationales et à la population, et enfin résurgences des violences entre chrétiens et musulmans dans le nord du pays. C’est oublier un peu vite l’immensité du chantier et faire fi de la force d’inertie inhérente à toutes les administrations du monde. Néanmoins, les chiffres sont là : 130e place sur 180 sur l’échelle de perception de la corruption éditée par l’organisation Transparency International ; indice de développement humain : 0,52, avec une progression de 59 % en trente-deux ans. À titre de comparaison, il est de 0,69 en Afrique du Sud, avec une progression de 5 % en trente-deux ans. PIB par habitant : 1 924 dollars (à parité pouvoir d’achat, en dollars constants valeur année 2000). Toujours à titre de comparaison : ce PIB est à 9 483 dollars en Afrique du Sud. Bilan : peut mieux faire, c’est sûr.
Jurisprudence
Quoi qu’il en soit, les Nigérians tirent plusieurs leçons des soubresauts politiques qu’ils viennent de traverser. Tout d’abord, ils sont désormais conscients de l’importance du président de la République. Étrange analyse, mais qui repose sur un constat : le pouvoir présidentiel doit être préservé des convoitises pouvant être exercées par des personnalités non élues et qui privilégieraient leur agenda personnel au détriment du bien commun. Entendez par là : le vice-président Jonathan. Désormais, le cas Yar’Adua fera jurisprudence face à l’article 145 de la Constitution qui stipule que tout président ou gouverneur peut refuser de transmettre ses pouvoirs même s’il prévoit une absence prolongée de son poste. Ensuite, l’état de santé des candidats à la présidence ou au gouvernorat devra être soigneusement examiné et pourra constituer un motif d’inéligibilité. Tout le monde savait que Yar’Adua était malade. Lorsqu’il était gouverneur de l’État de Katsina, entre 1999 et 2007, il partait souvent à l’étranger se faire soigner. S’il a été élu, c’est bien grâce à son prédécesseur, Olusegun Obasanjo, qui l’a poussé de toutes ses forces, et pas vraiment de façon très « régulière »…
Reste que c’est désormais Goodluck Jonathan qui gouverne le pays et les Ijaws – son ethnie – considèrent cela comme une victoire pour leur communauté. On peut trouver dommage que, à l’aube du xxie siècle, les relations entre Nigérians soient encore fondées sur les appartenances ethniques. Sera-t-il le candidat du People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir) lors des prochaines élections ? Devra-t-il se choisir un vice-président issu du Nord, selon l’alternance géographique non écrite mais tacite qui prévaut désormais ? Ne sera-t-il pas plutôt remplacé par un homme du Nord, puisque Umaru Yar’Adua n’a gouverné que deux ans et demi, contre huit pour son prédécesseur du Sud ? Réponses dans les semaines qui viennent. En prêtant serment, Goodluck Jonathan s’est engagé à organiser des élections libres et transparentes en 2011. Le temps lui est compté.