Soulagement à Kinshasa. Le chef des « bandits du village » qui avaient attaqué Mbandaka s’est rendu début mai. Dans ce contexte d’instabilité, le retrait d’une partie des Casques bleus semble prématuré, estiment nombre de personnes.
On les croyait définitivement neutralisés ou dispersés depuis la fin 2009, après qu’ils eurent provoqué l’exode de plus de 100 000 personnes vers le Congo-Brazzaville et la Centrafrique, au lendemain d’une querelle dont le motif apparent était le contrôle d’étangs poissonneux (1). Mais le 4 avril dernier, jour de Pâques, ils sont réapparus à quarante ou soixante, à quelque 400 km en aval, dans la capitale provinciale Mbandaka (600 000 habitants), y semant la panique et s’emparant plusieurs heures de l’aéroport. Bilan selon le gouvernement : dix-huit morts, dont neuf assaillants, six militaires congolais et trois membres de la Monuc, la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (RDC).
Rebelles ou militaires ?
La population a été sidérée à la vue de ces hommes, armés d’arcs et de flèches et de quelques fusils, portant des amulettes. Pourtant, il y avait eu des signes avant-coureurs : deux semaines auparavant, à Kinshasa, les armateurs avaient menacé de suspendre le trafic, après l’attaque d’un bateau par des pirates à quelques dizaines de kilomètres en amont de Mbandaka. Sans doute le même groupe. Mais l’avertissement n’a pas été entendu. Le 28 avril, à la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre Adolphe Muzito a dû admettre des défaillances dans le dispositif de défense de Mbandaka. Un euphémisme, car il n’y a pas eu de résistance. Le gouvernement a aussi reconnu que dix militaires, dont un colonel, ont été condamnés pour des actes de pillage et des exactions allant jusqu’au meurtre de trois pêcheurs. Quant à l’aéroport, c’est par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) qu’il a été pillé. Pas par les rebelles.
À sa décharge, l’armée a eu affaire à un adversaire imprévisible, n’exprimant pas de revendication et dépourvu de direction politique, constate le commandant en chef de la Monuc, le lieutenant-général sénégalais Babacar Gaye. Cela dit, les rebelles ont fait preuve d’un sens tactique surprenant de la part de simples pêcheurs aigris. Certains assaillants étaient équipés de téléphones satellitaires, a-t-on dit dans les milieux diplomatiques à Kinshasa. Du coup, les spéculations vont bon train sur l’éventuelle participation de militaires non démobilisés de l’Armée de libération du Congo, de Jean-Pierre Bemba, ou de l’ex-Division spéciale présidentielle de Mobutu. On parle aussi de caches d’armes. Indiscutablement, des gens ont cherché à les récupérer. À Kinshasa, le ton a monté. Lambert Mende, porte-parole du gouvernement, a accusé les députés d’opposition Charles Bofasa Djema et Patrick Mayombe, tous deux originaires de l’Équateur, d’être les auteurs intellectuels de l’attaque, suscitant des réactions indignées de leur part. Un conseiller du président dit avoir reçu des appels téléphoniques de gens de l’Équateur qui tentent d’exploiter les méfaits des rebelles en négociant des avantages pour eux-mêmes…
Le 22 avril, des combats violents étaient encore signalés par la Monuc dans les localités de Nganda-Bumba et de Secli-Wedji, au sud de Mbandaka. En définitive, il a fallu attendre l’annonce par Lambert Mendé de la capture par la population locale, à Dongo, du féticheur Ondjani, « chef militaire des terroristes enyele », pour que la fièvre tombe. Mais la révélation à l’Agence AFP d’un responsable de la police de Likouala, au Congo-Brazzaville, que le féticheur se serait rendu le 4 mai aux forces de sécurité du pays voisin laisse perplexe.
Est-ce pour autant la fin du cauchemar ? Patience. Car les séquelles de l’épopée risquent de se faire encore longtemps sentir à Mbandaka. L’attaque rebelle a en effet entraîné un déploiement de militaires autour de la ville qui a eu un effet néfaste : il a dissuadé, des semaines durant, paysans et pêcheurs des environs d’approvisionner Mbandaka, de peur d’être rackettés par les FARDC. Du coup, les prix des denrées vivrières ont explosé. Autre défi : l’organisation du rapatriement des 120 000 réfugiés de la région de Dongo, partis sur la rive du Congo-Brazzaville. Ce ne sera pas aisé. De passage dans la zone, le secrétaire général adjoint de l’Onu pour les affaires humanitaires, John Holmes, a constaté que les réfugiés hésitaient à rentrer, craignant d’autres attaques.
En tout cas, ce nouvel épisode a démontré à suffisance la vulnérabilité de l’armée congolaise et révélé des lacunes de la part de la Monuc, dont un responsable reconnaît qu’elle manque d’effectifs, notamment en matière de renseignements, pour prévenir une telle crise. Néanmoins, le lieutenant-général Babacar Gaye a annoncé le 25 avril le retrait prochain des Casques bleus sénégalais du poste de Dingila, situé à 500 km au nord de Kisangani, dans le district du Bas-Uélé dans la Province Orientale. Avec d’autres soldats béninois du Katanga et des deux Kasaï, ils seront 2 000 à devoir quitter le pays d’ici au 30 juin. Devraient suivre le retrait de 9 000 autres hommes à la fin décembre 2010 et celui des 9 000 derniers Casques bleus à la fin 2011, selon un plan évoqué par Kevin Kennedy, le chef de l’information publique à la Monuc, qui doit encore être validé par le Conseil de sécurité. Le tout conformément au vœu de la présidence congolaise, « plus fondé sur des considérations politiques que sécuritaires », commente un diplomate.
On peut comprendre l’impatience du président Joseph Kabila à se libérer de la tutelle onusienne, avant de se représenter devant les électeurs en 2 011. Mais cette ligne va à l’encontre des aspirations des populations des zones les plus menacées. À Dingira, la société civile a remis au lieutenant-général Gaye un mémorandum exprimant un souhait : voir la Monuc maintenir un contingent dans la zone écumée par les rebelles ougandais de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Deux mois auparavant, lors de l’attaque du village de Niangara, dans la Province Orientale, ses combattants ont encore tué une centaine d’habitants, mutilant une jeune femme dont ils ont coupé les oreilles et les lèvres, a constaté sur place John Holmes début mai. « La LRA a perdu une bonne part de ses effectifs mais elle est encore capable de faire beaucoup de mal, rapporte le lieutenant-général Gaye. De surcroît, elle est devenue un problème transfrontalier. Ses combattants sont très mobiles. Il y en a dans la partie ouest du parc de la Garamba (Haut-Uélé), en Centrafrique et au Sud-Soudan. Ils recrutent aussi en Centrafrique. La Monuc a d’ailleurs déjà rapatrié des combattants vers ce pays. »
Des chars mais pas de salaires
Au Nord-Kivu, la situation est critique, au point qu’à Beni et Lubero, la société civile locale a boycotté les cérémonies du Premier Mai pour protester contre les tueries des bandes armées et contre les extorsions auxquelles se livrent les militaires des FARDC. Même si Babacar Gaye estime que les FARDC sont parvenues à neutraliser 60 % des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), la milice la plus redoutable, des notables de la région de Walikale (Nord-Kivu) ont expliqué, fin avril, au représentant adjoint du secrétaire général de l’Onu, Fidèle Sarassoro, que les rebelles hutu rwandais continuaient de sévir, pillant les récoltes et percevant les taxes sur les marchés. Enfin, en faisant partie des troupes d’une Monuc formée tout de même de douze brigades des FARDC, le gouvernement ne va guère contribuer à accroître les capacités de son armée. Las ! au lieu d’investir dans la formation et la paie régulière de ses militaires, le gouvernement a fait l’acquisition d’une cinquantaine de chars ukrainiens, débarqués en mars au port de Matadi. Il semble pourtant douteux qu’ils soient fort efficaces sur les collines du Kivu ou dans la forêt équatoriale…
(1) Voir Afrique Asie de février 2010.