Entretien avec Scott Gration, envoyé spécial du président Barak Obama au Soudan
L’administration Obama a proposé de reprendre ses relations diplomatiques avec le Soudan et de réviser les sanctions prises contre ce pays, à condition que Khartoum remplisse certaines conditions. Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?
Les États-Unis cherchent réellement ce qui pourrait être entrepris pour parvenir mettre en œuvre l’Accord de paix global, et font tout leur possible pour trouver des moyens de ramener la paix dans la région du Darfour. Nous voulons également intensifier la lutte contre le terrorisme.
Nous voulons trouver une voie de normalisation de nos relations. Nous avons d’ailleurs pris une décision unilatérale : en septembre, nous avons accordé des licences commerciales pour la fourniture de biens et de services en provenance des États-Unis. Nous souhaitons ainsi démontrer au gouvernement soudanais que nous prenons ces questions très au sérieux et au peuple soudanais que leur destin nous intéresse. Ces licences concernent le secteur agricole et servent à l’amélioration des récoltes. Bien d’autres décisions vont être prises. Nous avons proposé à la communauté bancaire, en liaison avec la Banque mondiale, d’étudier des moyens de réduire la dette.
En ce qui concerne le référendum, si tout se déroule de façon apaisée et que les résultats reflètent bien le choix des populations, nous rétablirons notre ambassade. Nous travaillerons également à faciliter les relations entre le Soudan et les institutions financières internationales de façon à résoudre les problèmes économiques majeurs du pays. Lorsque la paix totale sera rétablie au Darfour, nous annulerons les sanctions économiques et retirerons le pays de la liste des « États soutenant le terrorisme ».
En dépit du fait que vous considérez toujours le Soudan comme soutenant le terrorisme, est-il exact que la collaboration entre les services secrets soudanais et américains existe bel et bien en matière de lutte contre ce fléau ?
Je peux juste dire que le Soudan a pris des positions significatives contre le terrorisme. La situation est très différente de celle des années quatre-vingt-dix, lorsqu’Oussama Ben Laden utilisait le pays comme sanctuaire et comme base arrière pour ses opérations.
La secrétaire d’État Hillary Clinton a dit que le référendum était une « bombe à retardement » et que des mesures étaient prises pour des opérations d’aide et de maintien de la paix en rapport avec ce qui pourrait se passer après le scrutin. Estimez-vous qu’il y a un risque éventuel de conflit ?
Hillary Clinton voulait probablement dire que toutes les parties en présence ne prennent pas encore l’exacte mesure des actions à mener pour que tout se déroule de façon optimale. Si la Commission référendaire du Sud-Soudan ne remplit pas les termes de son mandat, il est difficile de prédire ce qui se passera. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et la communauté internationale, y compris l’Union africaine et les Nations unies sont mobilisées et apportent leur aide, y compris sur le terrain. Le président Obama a été clair : il veut la paix, la prospérité, la stabilité et la sécurité pour l’ensemble du Soudan. Les Soudanais ont connu une trop longue guerre, ils méritent la paix.
Les Sud-Soudanais peuvent-ils voter sereinement alors que la région est contrôlée par un parti unique et armé ? Les conditions d’une campagne libre et contradictoire sont-elles réunies ?
L’Accord de paix global a défini une situation dans laquelle la population doit se prononcer pour l’unité ou pour l’indépendance. Les États-Unis n’ont pas choisi cet accord, ils ne sont ni pour une option, ni pour l’autre. Ils sont engagés dans un processus qui va permettre aux Soudanais, y compris ceux qui sont réfugiés à l’étranger, de donner leur avis.
Une possible sécession priverait le Nord d’un tiers de son territoire et de 80 % des réserves de pétroles connues. Ne craignez-vous pas que cela entraîne la déstabilisation du pouvoir nordiste et ouvre une nouvelle ère d’incertitude dans toute la région ?
S’il y a séparation sans aucune période de transition, ni accord entre les deux parties sur le partage de richesses, il y a effectivement un risque de déstabilisation de l’économie. C’est la raison pour laquelle Thabo Mbeki, président du panel de l’Union africaine chargé de ce dossier, comme moi-même et les autres représentants des instances internationales, travaillons à ce que le NCP (Parti du Congrès national, nordiste, au pouvoir) et le SPLM (Mouvement de libération du peuple du Soudan, sudiste) parviennent à un accord de transition économique. Il faut que ce soit gagnant-gagnant. Le Sud doit continuer à avoir accès aux infrastructures, au pipeline et aux stations de pompage qui sont dans le nord et le Nord doit évoluer vers une économie moins dépendante du pétrole, et mettre en valeur ses autres potentialités. Si des progrès sont faits dans le domaine de l’agriculture ou de l’industrie de transformation, cela pourra générer des devises et diversifier l’économie. Il faut de toute façon une transition économique apaisée.
Le Sud-Soudan éventuellement indépendant courrait-il le risque de devenir un « État défaillant », vus le manque de structures administratives, la mauvaise définition de ses frontières, la difficulté à gérer les revenus du pétrole ?
Bonne question ! Le pays a besoin d’une politique nationale forte, d’un budget conséquent et d’un volet fiscal clairement établi depuis l’échelon national jusqu’au niveau local. Il faut aussi un programme agricole capable d’écarter tout risque de famine, lequel pèse actuellement sur plusieurs millions de personnes. Les services publics doivent aussi être améliorés : il va y avoir un problème dans le secteur de l’éducation au développement duquel de nombreux Sudistes lettrés vivant dans le nord peuvent contribuer, même s’ils ne parlent que l’arabe. Il faut aussi s’occuper de l’analphabétisme des adultes qui n’ont jamais été scolarisés à cause du conflit et fournir à ceux-ci une remise à niveau. Il va falloir aussi s’occuper de la jeunesse, proposer des formations pour les métiers qui peuvent être utiles au Sud. En matière de sécurité, beaucoup de choses restent à faire, y compris en direction des tribus nomades qui pratiquent encore trop souvent des razzias sur le bétail ou sur les réserves des groupes sédentaires. Seul un environnement et des infrastructures performantes peuvent faire cesser ces pratiques et garantir la prospérité et le développement pour tous.