Cameroun En charge de l’opération Mains propres destinée initialement à lutter contre la corruption, Albert Ebene a été menacé de mort. Aujourd’hui réfugié en France, il a décidé d’être candidat à la présidentielle de 2011.
Fonctionnaire de haut rang dans la Sûreté nationale au Cameroun, le commissaire Albert Ebene a été parmi les protagonistes sur le terrain au démarrage de l’opération Mains propres, lancée officiellement pour lutter contre la corruption. Menacé pour avoir enquêté sur des proches de la présidence et exilé en France, il nous fait part de son expérience et de son projet de candidature à la présidentielle de 2011.
* Vous étiez chef du service de la recherche et des études, affecté à la Direction des Renseignements généraux à l’époque du déclenchement de « Mains propres ». Pourquoi le pouvoir s’est-il engagé dans cette initiative ?
– À l’origine, l’opération Mains propres n’est pas le fait des autorités camerounaises. Il faudrait d’ailleurs se demander pourquoi le président de la République Paul Biya, après vingt-trois ans de pouvoir, s’est tout d’un coup rendu compte, en 2005, que notre pays était gangrené par la corruption. L’opération, en réalité, démarre sous la pression des États-Unis. Dans le cadre de la recherche des filières de financement du terrorisme, les services américains découvrent que, dans les banques européennes et étasuniennes, des ressortissants d’un pays endetté censé être pauvre, et qui ne cesse de faire appel à l’aide internationale, sont titulaires de comptes faramineux ! Des agents du renseignement américains ont ainsi débarqué au Cameroun pour enquêter sur ces personnalités. Sous la menace du gel de leurs avoirs, le président Biya a été sommé d’agir, alors que la liste des dignitaires corrompus a fait la une dans la presse locale. Parmi eux, des proches de la présidence qui échapperont à la justice, et d’autres qui seront condamnés, notamment s’ils avaient des ambitions politiques.
* Comment vos ennuis ont-ils commencé ?
– En novembre 2005, à Douala, j’ai démantelé une usine clandestine de faux timbres fiscaux, les vrais étant fabriqués en France. Ce trafic avait rapporté environ 20 milliards de francs FCA en cinq ans et des hautes personnalités y étaient impliquées. J’ai reçu des intimidations, dont un braquage et une tentative d’empoisonnement. Donc, j’étais dans le viseur de certains hommes politiques quand, en février 2006, dans le cadre de Mains propres, l’opération Épervier a été lancée. J’ai participé personnellement aux premières arrestations et j’ai constaté que les fidèles de Biya tombés dans le filet ou susceptibles d’être arrêtés n’ont pas été inquiétés par la suite.
* Des noms ?
– Gervais Mendo Ze, ancien directeur général de la Télévision camerounaise et intime de la première dame ; Jean-Baptiste Bokam, ex-ministre des Travaux publics ; Edgar Alain Mebe Ngo’o, actuel ministre de la Défense et ancien directeur de cabinet de Paul Biya, présent dans de nombreux dossiers sur le détournement des deniers de l’État ; Ibrahim Talba Malla, directeur de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH). Ce dernier a notamment mobilisé ses réseaux pour bloquer l’enquête, alors que j’attendais des instructions pour l’interpeller. Son cas était parmi les plus sensibles, car la CSPH – qui devrait « contrôler » les fluctuations du cours du pétrole pour mettre le contribuable à l’abri de la hausse des prix de l’essence et des autres produits – est en réalité la caisse noire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le parti présidentiel. Par conséquent, il y a eu une accumulation de haine contre moi de la part des notables liés à l’entourage de Biya, et la tête du « super commissaire » a été mise à prix.
* D’autres mesures ont-elles été prises pour protéger les membres proches du cercle au pouvoir ?
– Fin 2008, un nouveau code de procédure pénale a été adopté. Selon l’article 64, ceux qui ont pillé dans les caisses de l’État peuvent être innocentés s’ils rendent l’argent. Les Camerounais, en revanche, souhaitent que tous ceux qui ont « avalé » la fortune publique répondent de leurs actes. Beaucoup ont critiqué cet article de loi. D’autant que la présidence et le ministère de la Justice gardent la haute main sur l’application de cette clause. Des accommodements ont même permis aux coupables de récupérer une partie des fonds détournés. En conclusion, l’opération Épervier a été dévoyée pour être utilisée dans des règlements de comptes au sein du pouvoir. Le but est de renforcer Biya vis-à-vis de ses adversaires potentiels et lui permettre de continuer à occuper la magistrature suprême sans concurrents véritables.
* Quand avez-vous quitté le Cameroun ?
– Quand je me suis rendu compte que ma vie était en danger. Fin 2006, je suis parti en Guinée équatoriale, puis je me suis rendu en France où un statut de réfugié politique m’a été accordé. Ici, j’ai pris la décision de me présenter à la présidentielle de 2011 et j’ai écrit un livre (1) pour raconter mon expérience et rendre public le programme de mon parti, l’Union républicaine pour le salut.
* On prête à Paul Biya l’intention d’anticiper l’élection cette année. Qu’en pensez-vous ?
– Dans l’intérêt du Cameroun, Biya ne doit pas avancer la date de l’élection et il ne devrait pas se présenter. Je me souviens qu’en 1984, lors d’une tentative de coup d’État, on avait fait état de la volonté de Biya de se rendre aux putschistes afin d’éviter une effusion de sang entre Camerounais. Cela a été une preuve d’amour pour la patrie. Vingt-six ans après, il est l’homme le plus détesté du peuple. Pourrait-il faire preuve du même amour en abrégeant la souffrance de ses compatriotes, et quitter le pouvoir ? Quant à la présidentielle anticipée, il sait que toute décision prise de sa part pourrait avoir des conséquences positives, mais aussi négatives. L’exemple du Niger est là pour lui rappeler !
* Le programme de votre parti prône en particulier de changements institutionnels. Lesquels ?
– Nous devons restructurer la présidence de la République, où le secrétaire général est un président-bis pouvant donner des ordres aux ministres, ce qui produit le phénomène néfaste du « gouvernement parallèle ». Ensuite, dans le cadre de la décentralisation, les gouverneurs des régions ne doivent pas être nommés, mais élus par le peuple. Il faut que la société civile soit associée à la gestion de l’État à travers les diverses instances de représentation des métiers, classes d’âge, sexes ou minorités, comme les albinos qui, chez nous, sont poursuivis. Il est aussi important d’impliquer les chefferies dans les projets de développement de leurs collectivités. Ces dernières pourront contrôler la conception, la réalisation et la bonne gestion des fonds alloués. Le cas de figure du fonctionnaire débarquant de la capitale à l’insu des villageois qui ne sont même pas au courant de l’existence du projet n’est plus viable.
* Le Cameroun peut-il vivre de ses moyens ?
– Nous ne sommes pas un pays pauvre. Nous avons un sol riche et un sous-sol très riche. Mais la sécurisation des recettes publiques fait défaut car 60 % sont empochées par les particuliers. Il suffirait que 85 % des recettes entrent dans les caisses de l’État pour que le Cameroun fasse partie du lot des pays émergents. Nous n’avons pas besoin de tendre la main ailleurs pour construire notre pays. Je suggère que le Parlement exerce son contrôle sur toute éventuelle demande d’aide à l’extérieur.
(1) Voici pourquoi ! Nous devons
changer le Cameroun, Albert Léopold Ebene, Éditions Ccinia, 112 p., 18 euros.