Deux pays au sud du Sahara, l’un à l’est, l’autre à l’ouest, qui n’ont pas connu la colonisation – à l’exception d’une brève période pour l’Éthiopie. Mais qui n’ont pourtant rien à envier à la plupart des ex-colonies. S’ils ne portent pas les terribles cicatrices de la colonisation, ils n’ont pas pu, ou su, profiter de leur indépendance historique pour développer l’économie, s’affranchir des tutelles étrangères et viser une gouvernance démocratique.
Éthiopie.
Dans sa longue histoire, l’Éthiopie, l’un des États les plus anciens d’Afrique (viie siècle av. J.-C.), n’a quasiment jamais été colonisée. Les prétendants n’ont pas manqué : Ottomans, Égyptiens, Derviches, Italiens, Britanniques ont tous essayé de s’emparer de ce royaume qu’on pensait être le mythique pays des merveilles au Moyen Âge. Seule parmi les puissances colonialistes qui convoitaient l’Éthiopie à la conférence de Berlin de 1884-1885, l’Italie, après avoir gagné la Somalie, s’est lancée dans sa conquête. C’était sans compter avec les qualités guerrières des Éthiopiens qui gagnèrent la bataille d’Adoua (1896), une victoire rarissime de l’Afrique contre les colonisateurs européens. L’Italie fut obligée de reconnaître l’indépendance de l’Éthiopie tout en faisant de l’Érythrée sa colonie. Elle est restée indépendante jusqu’à ce que les troupes de Mussolini l’envahissent (1935) avant d’en être chassées en 1941. Une occupation qui a tué près d’un million d’Éthiopiens.
L’empereur Hailé Sélassié revint de son exil en Angleterre alors que la Couronne britannique tentait d’imposer une tutelle sur son pays. Son désir de contrôler l’Érythrée conduisit à une alliance avec Washington qui établit la base américaine de Kagnew, à Asmara. Accueilli comme un homme de modernité, l’empereur n’était, en réalité, qu’un autocrate féodal, avec une conscience de l’Afrique tardive et sans grande conviction. Certes, des militants sud-africains, y compris le jeune Nelson Mandela, furent (brièvement) entraînés en Éthiopie, des bourses d’études dans les universités du pays accordées aux Africains issus des pays colonisés, mais l’alliance de l’empereur avec les États-Unis restait prioritaire. Et si l’Organisation de l’Union Africain (OUA) fut créée à Addis-Abeba en 1963, ce fut, entre autres raisons, pour que son siège ne soit pas installé dans un pays plus radical.
L’Éthiopie a bénéficié du prestige d’avoir su rester indépendante, auprès des Africains colonisés et des Noirs opprimés ailleurs. L’empereur, dont le nom était Rastafarians avant son couronnement, fut considéré comme un « Dieu », par les Rastafarians de la Jamaïque. Néanmoins, elle restait un pays sous-développé et non démocratique. Quelque 85 % de la population était constituée de petits paysans pauvres esclavagisés. L’Érythrée continuait d’être un problème, Hailé Sélassié rompant unilatéralement l’accord fédéral de l’Onu tandis que l’OUA inventait le concept bizarre d’« intangibilité des frontières existantes » en réponse à la question de la légitimité des frontières coloniales.
En 1960, commençait la longue guerre de libération érythréenne qui devait conduire le pays à l’indépendance trente-trois ans plus tard. En 1973, l’empereur, qui s’était opposé à toute réforme interne, dut faire face à une famine dévastatrice – un million de victimes. Il fut renversé par la révolution de février 1974, usurpée par un groupe militaire totalitaire qui maintint une féroce dictature dans le pays jusqu’à la fuite de son leader, Mengistu Hailé Mariam, en 1991, après une guerre civile. Depuis, l’Éthiopie continue de s’enfoncer dans la pauvreté, souffre de la dictature, connaît des divisions ethniques et se trouve toujours sous l’emprise des États-Unis.
Liberia.
Ce pays a été fondé en 1822 quand les fonctionnaires de l’American Colonization Society, soutenus par la flotte américaine, prirent possession du cap Mesurado sur le continent pour y installer des esclaves libres américains. En 1847, la République était instaurée avec une Constitution basée sur celle des États-Unis. Établir un État fiable avec quelques milliers d’esclaves libérés fut une tâche difficile, voire impossible. Les populations locales furent obligées d’accepter le système de plantations et l’attribution de vastes terres à la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis. En 1919, le Liberia transféra plus de 500 000 hectares, dont il revendiquait la propriété, à la France, faute de pouvoir les contrôler. En 1912, un prêt de 1,7 million de dollars fut obtenu en échange du contrôle des Douanes par les États-Unis et trois autres puissances européennes. La compagnie de caoutchouc Firestone obtint un million d’hectares en 1926 et poursuivit l’exploitation du latex pendant trente ans. En 1951, le chiffre d’affaires de Firestone, après impôts payés au gouvernement du Liberia, était trois fois plus élevé que le produit intérieur brut (PIB) du pays.
En 1942, le Liberia, très important stratégiquement pendant la Deuxième Guerre mondiale en tant que producteur de latex, a signé un accord de défense avec Washington. Depuis, le pays est dominé par les États-Unis. Ses principales exportations sont le caoutchouc et le minerai de fer sous contrôle des sociétés américaines. Auparavant autosuffisant en riz, le pays a négligé l’agriculture au point d’être obligé d’en importer, devenant encore plus dépendant des États-Unis.
Depuis la fondation de l’État, le pays était dominé par une élite issue des arrivants américains – réunis dans le parti True Whig. En 1931, l’exploitation des peuples autochtones par les Américano-Libériens pour le compte des multinationales de l’industrie du caoutchouc était telle que la Société des Nations dut condamner les conditions de travail forcé, créant un scandale sur la scène internationale qui contraignit le gouvernement à démissionner. Les populations locales étaient privées du droit de vote. Il faudra attendre 1936 pour que le travail forcé soit interdit et 1945 pour l’attribution du droit de vote aux autochtones.
En 1944, l’Américano-Libérien William Tubman devint président et, à sa mort, en 1970, William Tolbert, également Américano-Libérien, bien qu’à moitié kpelle, lui succéda, sans rien changer au climat de corruption qui régnait sous son prédécesseur.
Quand le prix du caoutchouc commença à baisser sur les marchés internationaux, Tolbert se rapprocha de la Libye et de Cuba. C’est dans ce contexte que, le 12 avril 1980, le sergent Samuel Doe, un autochtone soutenu par Washington, renversa Tolbert et le parti True Whig au pouvoir. Le Liberia est alors utilisé comme principale base pour les opérations de la CIA contre la Libye. Au cours de la présidence Doe, de 1980 jusqu’à son assassinat en 1989, le Liberia a reçu des centaines de millions de dollars sous couvert d’aide américaine, mais à but militaire. D’origine kranh, l’un des seize groupes ethniques libériens, Doe a fait exécuter Tolbert et son gouvernement en signe de vengeance contre la classe américano-libérienne au pouvoir. Sa popularité, cependant, a fait long feu, car il favorisa ostensiblement son groupe ethnique dans un climat de corruption aggravé.
En 1989, la guerre civile éclate. Charles Taylor, à la tête du National Patriotic Front of Liberia (NPFL), arrive aux portes de Monrovia. La force d’interposition de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), l’Ecomog, intervient en envoyant 4 000 hommes. En 1990, des divergences au sein du NPFL entraînent la sécession de Prince Yormic Johnson qui crée l’Independant National Patriotic Front of Liberia (INPFL). Samuel Doe est capturé par Prince Johnson. Il meurt le 9 septembre 1990 sous la torture, traîné nu et mutilé dans les rues de Monrovia, sous l’objectif des caméras internationales.
1996 marque le retour à une paix relative. Les factions acceptent de tenir des élections sous l’égide de la Cédéao. Le 19 juillet 1997, Taylor est élu président de la république avec 75 % des voix. En 1998, l’Ecomog quitte le pays, mais la paix n’est pas garantie pour autant. Sous la pression de groupes rebelles venus des sanctuaires forestiers du nord, la guerre civile reprend. Un accord signé en 2003 y met fin alors que Taylor est obligé de démissionner. Il est accusé aujourd’hui, devant la cour à La Haye, de crimes de guerre et contre l’humanité commis en Sierra Leone. Après deux ans de gouvernement de transition sous contrôle de l’Onu, les élections, fin 2005, portent à la tête du pays la première femme africaine, Ellen Johnson Sirleaf.