À des degrés divers, presque la moitié des dix-sept pays africains souverains depuis un demi-siècle doit compter sur l’extérieur pour assurer la sécurité et le contrôle total du territoire. C’est la France qui se place au premier plan des ex-colonisateurs sollicités pour cette mission.
Quoique souverains depuis un demi-siècle, nombre de pays africains recourent à une assistance extérieure en matière de sécurité, dans un contexte souvent troublé. Dans sept des dix-sept pays qui fêtent en 2010 le cinquantenaire de leur indépendance (Centrafrique, République démocratique du Congo [RDC], Côte d’Ivoire, Centrafrique, Mali, Niger, Mauritanie et Tchad), le contrôle de l’État ne s’exerce pas sur l’intégralité du territoire. En Somalie, le gouvernement fédéral de transition, soutenu à bout de bras par l’Organisation des Nations unies (Onu), l’Union africaine (UA), les États-Unis et l’Union européenne (UE) ne contrôle qu’une portion de la capitale, Mogadiscio.
Accords secrets
Qu’on le veuille ou non, le maintien de bases militaires françaises au Gabon et à Djibouti, ainsi qu’une forte présence au Tchad, rend ces pays dépendants de l’ancienne métropole. Cette présence est toutefois globalement en train de se réduire avec l’accord du 4 avril dernier pour la restitution au Sénégal des bases situées dans ce pays et la dissolution, en 2009, du 43e bataillon d’infanterie de marine de Port-Bouët, près d’Abidjan. Plusieurs pays, (Gabon, Côte d’Ivoire, Togo, Sénégal, Niger, Bénin) restent cependant liés par des accords de défense avec l’ex-métropole, autrefois souvent complétés par des accords spéciaux tenus secrets, concernant parfois la fourniture préférentielle de matières premières stratégiques (hydrocarbures, lithium, uranium). Au Tchad, l’opération Épervier est déployée dans le cadre d’un simple accord de coopération militaire. À noter cependant, que, dans un effort de transparence, les nouveaux accords doivent faire l’objet d’une ratification du Parlement français et de celui du pays africain concerné.
Si la présence française stricto sensu se réduit, l’UE monte en puissance, comme l’a démontré le déploiement à deux reprises en RDC de la force européenne (Eufor). En 2003, il s’agissait de sécuriser un espace autour de Bunia afin de pouvoir distribuer l’aide humanitaire. En 2006, l’objectif était de tenir en respect les différents belligérants durant les élections. À ces opérations ponctuelles s’ajoutent, toujours en RDC – vrai laboratoire – les missions européennes Eupol, visant à renforcer les capacités de la Police nationale congolaise, et Eusec, ayant pour objet de séparer la chaîne de paiement de la chaîne de commandement au sein des Forces armées de RDC (FARDC) afin d’y assurer une bonne gouvernance en matière de sécurité.
Une autre mission Eufor a été envoyée au Tchad et en Centrafrique en 2008, pour protéger les camps de réfugiés du Darfour, les travailleurs humanitaires et le personnel onusien. Enfin, l’UE exécute actuellement, au large de la Somalie, l’opération Atalanta pour escorter les navires acheminant l’aide humanitaire et garantir la liberté de circulation face à la menace de la piraterie. À partir de mai 2010, des instructeurs européens doivent commencer à former quelque 2 000 membres des forces de sécurité somaliennes en Ouganda. Enfin, l’UE contribue au programme Amani-Africa visant à renforcer les capacités africaines de maintien de la paix, dans le cadre du « partenariat sur la paix et la sécurité » adopté lors du sommet UE-Afrique de Lisbonne, en décembre 2007.
L’avenir laisse entrevoir une coordination euro-américaine des efforts. Le 4 mars dernier, une délégation de l’Africa Command (Africom) de l’armée américaine, basé à Stuttgart (Allemagne), composée de son directeur pour la stratégie, le major général Richard Sherlock, et de l’ambassadeur Anthony Holmes, adjoint du commandant pour les affaires militaro-civiles, a discuté avec les responsables européens à Bruxelles de la répartition des tâches pour la stabilisation du continent. Cet empressement est surprenant de la part de Washington qui, d’ordinaire, snobe la politique européenne de défense balbutiante, articulée en marge de l’Otan. Elle s’explique en partie par la baisse de 10,4 % du budget de l’Africom, raboté de 310 à 278 millions de dollars entre 2009 et 2010.
Les deux parties semblent trouver leur intérêt dans cette collaboration, en raison de la complémentarité de leurs dispositifs. Ils se retrouvent aussi sur plusieurs théâtres comme en RDC. Les deux officiels américains ont d’ailleurs assisté fin février à Kisangani à la cérémonie inaugurale de la mission de formation d’un bataillon d’infanterie d’un millier d’hommes, par quatre-vingts instructeurs de l’US Army et de la firme privée Military Professional Resources Incorporated (MPRI), constituée d’anciens du Pentagone. Naguère, on aurait dit des mercenaires ; à l’heure de la privatisation à tout va, ce vocabulaire est banni dans les états-majors.
Des formations multiples
Quoi qu’il en soit, le but, explique le major général Sherlock, est de créer « un centre d’excellence » au sein des FARDC. La perspective d’un retrait graduel de la Mission de l’Onu en RDC (Monuc), à partir de juillet prochain, rend d’autant plus urgent le succès des missions entreprises par Washington, les Européens et d’autres. Car la RDC bénéficie de coopérations militaires en provenance de quatre continents, si l’on prend en compte les Angolais, les Sud-Africains, les Chinois et les Israéliens.
La Somalie offre également le spectacle de synergies, au-delà des opérations de lutte anti-piraterie maritime. Washington a conclu un accord avec l’UE en vertu duquel l’Africom va équiper les 2 000 soldats du gouvernement fédéral de transition formés par les instructeurs européens en Ouganda. Par ailleurs, la société militaire privée américaine, Dyncorp, assure la logistique de la mission africaine de l’UA en Somalie, transportant du 5 au 16 mars dernier, d’Entebbe à Mogadiscio, quelque 1 700 Casques blancs ougandais.
Dans le golfe de Guinée, des instructeurs belges et américains forment à Douala des officiers de marine du Cameroun, du Congo-Brazzaville, du Bénin et du Togo, aux techniques de surveillance, de stabilité et de lutte contre la piraterie maritime. Africom forme les militaires de pays producteurs de pétrole comme le Nigeria et la Guinée équatoriale, bien qu’elle prétende que l’accès aux ressources naturelles n’entre pas dans sa stratégie. Africom occupe aussi des espaces laissés vacants par la coopération européenne en s’impliquant dans le partenariat transsaharien contre le terrorisme. C’est ainsi qu’au Burkina-Faso, des instructeurs de Xe – une société militaire privée connue sous le nom de Blackwater jusqu’à ce que ses grosses bavures lui aient valu d’être expulsée d’Irak – apportent une formation à l’armée locale. L’objectif est d’aider les partenaires africains à améliorer le contrôle de leur territoire afin d’empêcher les groupes terroristes de disposer de sanctuaires, expliquent les officiels d’Africom.
Washington est train d’exécuter pas moins de seize programmes dans le cadre des International Military Education and Training Programs (Imet). Elle a déjà formé, dans le cadre de l’Africa Contingency Operations Training and Assistance Program (Acota), destiné à améliorer la capacité africaine de répondre aux crises, quelque 45 000 soldats africains envoyés pour des missions de paix en RDC, au Liberia, au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Soudan (Darfour), en Somalie et au Liban.
Sans doute l’Afrique n’est-elle pas le seul continent à abriter, à la demande de ses propres États et de l’Union africaine, des troupes étrangères et des accords avec l’étranger. Mais, comme dans le domaine économique, la relation est asymétrique : la consultance et le conseil stratégique vont du Nord vers le Sud.