Trois mois après les faits, l’enquête s’enlise sur le meurtre de Floribert Chebeya, figure emblématique de la société civile et principal activiste des droits de l’homme en République démocratique du Congo (RDC).
Confiées aux services de sécurité du président Kabila plutôt qu’aux magistrats du parquet, les investigations ont mis en cause le patron de la police, le général John Numbi, un des piliers du régime auparavant considéré intouchable. Suspendu, officiellement pour garantir l’impartialité de l’enquête, le général est également soupçonné d’ambitions putschistes. Cela ne serait pas étranger à sa disgrâce. Ses proches dénoncent une cabale de l’entourage du chef de l’État.
Opposant au pouvoir, Chebeya en pourfendait les abus : tortures, exécutions de journalistes, détentions arbitraires. On lui prêtait aussi le dessein d’intenter un procès contre des caciques du régime, parmi lesquels John Numbi, responsables présumés des massacres des militants du mouvement Bundu dia Kongo en 2007 et 2008.
Les ingrédients du crime d’État étant réunis, l’Occident a initialement mis la pression sur les autorités congolaises. L’Onu a de son côté demandé l’instruction d’une enquête indépendante, souhaitée par des opposants et d’autres ONG en RDC. Puis le profil bas a été adopté, comme si on ne voulait pas déstabiliser Kabila. La dette odieuse, contractée en bonne partie à l’époque de Mobutu, a été quasiment annulée. Début août, une mission de l’Onu s’est rendue à Kinshasa pour appuyer le gouvernement en vue de l’élection présidentielle de novembre 2011. Un soutien réitéré au chef de l’État, dont on vise ostensiblement le maintien aux affaires.
Le choix remonte au dialogue inter-congolais. L’ordre « impérial » établi par les puissances planétaires pour sortir la RDC de la guerre a imposé Joseph Kabila à la tête du pays, puis son sauvetage quand son pouvoir était menacé. Jean-Pierre Bemba et Laurent Nkunda, ses adversaires les plus aguerris, n’auraient pas été neutralisés en dehors de ce dispositif international. Cette stratégie est conditionnée par l’accès aux immenses richesses que le sol et le sous-sol de la RDC recèlent. Et Joseph Kabila est à la tête d’un lobby qui les contrôle et les exploite, une oligarchie politico-militaro-financière qui détient l’essentiel du pouvoir.
Le poids de cette élite est déterminant dans les décisions politiques et les transactions minières, dont l’opacité et la corruption sont la règle. Les contrats léonins signés avec des sociétés souvent fictives sont à l’origine de l’enrichissement démesuré de ses membres et de la braderie conséquente des ressources d’un pays qui détient les 50 % des réserves mondiales de cobalt, 10 % de cuivre et 30 % du diamant. La redistribution des bénéfices de ces opérations demeurant une utopie, les populations restent dans un état de pauvreté lamentable, privées des services élémentaires et avec un revenu par habitant parmi les plus faibles du continent. L’insécurité sévit dans les nombreux no man’s lands où l’autorité de l’État n’existe pas, les violences sexuelles contre les femmes se poursuivent et le nombre de déplacés atteint presque deux millions de personnes. La disparition violente de Chebeya, avec celle d’autres militants et journalistes, témoigne de la dérive dictatoriale du régime qui se manifeste également dans l’assujettissement de la justice.
Il est vrai que la tâche de reconstruire un pays ravagé par trente ans de mobutisme et sept d’un conflit particulièrement meurtrier qui attendait le président « démocratiquement élu » en 2006 était énorme. Mais il est aussi incontestable que la volonté politique d’au moins s’y atteler a fait manifestement défaut. Les « cinq chantiers » (école, santé, infrastructures, habitat et emploi) promis par le chef de l’État au lendemain de son intronisation restent au stade embryonnaire et le partenariat avec la Chine ne leur a pas donné l’élan escompté.
Force est de reconnaître que la refondation de l’État ne se fera pas avec les actuels dirigeants. De cette réalité doivent tenir compte les parrains de ces derniers et surtout le peuple congolais qui est en droit de se demander : « L’Onu et ses organisations doivent-elles systématiquement défendre le pouvoir en place considéré comme légitime ? » (1). Un changement de leadership est nécessaire, mais il ne verra pas le jour sans l’émergence d’une nouvelle classe politique dotée d’une vision de long terme. Encore faudra-t-il se passer de la tutelle encombrante et des intérêts pas forcément avouables de celle qu’on appelle avec angélisme « communauté internationale ».
(1) Document du Pole Institute de Goma, 2 juillet 2010.