
L’affiche officielle du Festival
Quand la ville antique d’Alexandrie a été choisie pour accueillir le Festival du film des pays méditerranéens, il y a près de quatre décennies, les initiateurs de ce grand événement cinématographique avaient sans doute à l’esprit le passé mythique de cette ville, phare de la pensée universelle où l’Occident avait pris naissance. Cette ville à l’histoire chargée de culture est encore aujourd’hui une métropole culturelle par excellence.
Par Mahmoud Al Rashed – Alexandrie

– Le président du Festival Alamir Abaza (droite) et Mahmoud Hemida.
Il n’y a pas que le légendaire phare d’Alexandrie, l’un des sept merveilles du monde, dont on commence à retrouver ses vestiges au large de cette ville, qui a fait sa renommée. Un autre phare a fait également la renommée de cette cité : la Bibliothèque d’Alexandrie. Construite il y a 23 siècles, elle était l’un des plus importants monuments de la pensée universelle dans l’Antiquité. Selon les historiens de l’Égypte ptoléméenne la bibliothèque, avec ses 400.000 ouvrages, faisait partie d’un ensemble plus vaste dédié aux Muses, les neuf déesses des arts (poésie épique, histoire, poésie lyrique et érotique, musique, tragédie et chant, rhétorique et éloquence, danse, comédie, astronomie). Avec le 38ème festival du film méditerranéen d’Alexandre, cette bibliothèque mythique, restaurée et modernisée, ressuscitée en 2002, s’est ouverte au 7ème Art. C’est dans ses enceintes que le festival a en effet inauguré et clôturé ses travaux. Tout un symbole ! Rappelons au passage que cette bibliothèque est classée première bibliothèque numérique du 21ème siècle et contient aujourd’hui plus de huit millions de livres. Elle est considérée également comme la plus grande et la plus riche bibliothèque publique arabe avec un répertoire comprenant les trésors de la production culturelle classique et moderne.

– Le réalisateur algérien Salah Issaad, premier prix du jury pour son film Soula.
Alexandrie fut également le siège de l’une des premiers centres du rayonnement de la pensée chrétienne dans la région avec son École théologique, fondée, vraisemblablement, par l’apôtre Saint Marc. Sa méthode théologique, influencée par la philosophie grecque, notamment Platon et Plotin, était symbolico-allégorique. Elle s’opposa à l’École théologique d’Antioche, en Syrie, qui prônait une méthode historico-littérale.
Le rapport de cette ville avec le 7ème art ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 1896, les Frères Lumières avaient choisi Alexandrie, à l’époque l’une des cités les plus cosmopolites de la Méditerranée, pour projeter leur premier court métrage qu’ils avaient, un an auparavant (28 décembre 1895), projeté au Salon Indien du Grand Café à Paris. Une première dans le monde arabe. Dans les années vingt du siècle dernier, le premier institut d’enseignement des arts cinématographiques a été créé à Alexandrie par le pionnier polyvalent du cinéma égyptien, Mohamed Bayoumi (1894-1963). A la fois peintre, photographe, poète et acteur, il s’intéresse au cinéma lors de son séjour à Rome et devient le caméraman du premier film, Au Pays de Toutankhamon réalisé par le cinéaste italien Victor Rossito. Il réalise plusieurs courts métrages documentaires pour les Actualités Amon, filmant en 1923 dans La Réception de Saad Zaghloul, le retour de l’exil du leader de la Révolution de 1919 contre l’occupation britannique, L’Ouverture du tombeau de Toutankhamon, le festival de sports des Gardes Royaux lors du Couronnement du roi à Abdine, La sortie de prison d’Abdel Rhaman Bey. Il aborde la fiction dès 1923 avec Barsoum cherche un Emploi (Barsoum yabhas’ an Wazifa), comédie qu’il réalise en 1923 avec Bishara Wakim et Adel Hamid. C’est la première œuvre de fiction du cinéma égyptien. Il tourne son dernier film muet, La Victime en 1928. Il dirige sa fille Dawlat Bayoumi dans Fiancé Numéro 13 dans le rôle de Zazu et joue à ses côtés laissant le soin à ses étudiants de réaliser le film qu’il supervise. Il clôture sa carrière avec le court métrage Une Nuit à retenir et quitte les Studios Misr suite à un différend avec la nouvelle société de production Misr avant de se consacrer à ses nombreuses autres occupations : la photographie dans le studio qu’il a créé à Alexandrie, directeur de cirque en Pologne, fondateur du Panthéon des Beaux-Arts d’Alexandrie. Bayoumi fonde en 1932 à Alexandrie le premier Institut du Cinéma au Moyen-Orient.
Alexandrie, qui s’étend sur une plage interminable (17 km) s’est transformée en une métropole culturelle mondiale et une incubatrice de talents et de créativité qui a attiré de nombreux artistes, interprètes et écrivains qui avaient plus tard connu une carrière internationale fulgurante. Le chanteur grec Demis Roussos, l’international égyptien Omar Sharif, la chanteuse Dalida, le compositeur novateur Sayed Darwich, Laurence Durell, le romancier britannique connu pour son célèbre Quatuor d’Alexandrie ont tous vécu dans cette ville. Khaled Abdel-Galil, Conseiller de la ministre égyptienne de la Culture, le Dr Nevin Al-Kilani, a tenu d’emblée à transmettre aux participants la gratitude de sa ministre de tutelle aux participants et aux invités qui « ont animé cette session et qui ont été à l’origine de sa réussite ». « Cette 38ème édition, comme toutes les éditions qui l’avaient précédée, déclara-t-il, a ouvert une fenêtre sur la créativité cinématographique des pays méditerranéens et engagé des débats ouvrant des perspectives de dialogue, de coopération et de partenariat entre les créateurs de l’Égypte et les artistes de la Méditerranée ». C’est Alamir Abaza, président du Festival, mais aussi écrivain, critique cinématographique renommé et président de l’Association égyptienne des écrivains et critiques de cinéma, qui a donné le sifflet de départ des activités de cette 38èmr édition. Il était entouré de l’artiste Mahmoud Hemida, dont cette édition porte le nom ainsi que de la fine fleur des célébrités cinématographiques dont Donia Samir Ghanem, Saeed Hamed, le réalisateur Mohamed Abdelaziz, l’actrice française Marianne Borgo, la vedette arméno-égypto-franco-américaine Nora Armani, Wajih El-Leithi, Imam Omar, et Omar Fahmy, caricaturiste et concepteur de l’affiche du festival intitulée : « rire pour le cinéma » (Laugh for Cinema).

– Photo tirée du film muet Barsoum cherche un Emploi (Barsoum yabhas’ an Wazifa), comédie de Mohamed Bayoumi réalisé en 1923 avec Bishara Wakim et Adel Hamid.
En marge du festival, s’est tenu un colloque mettant à l’honneur le cinéma tunisien, invité d’honneur du festival, en présence du producteur tunisien Hassan Daldoul, des deux réalisateurs égyptiens, Omar Abdel Aziz et Mohamed Abdel Aziz, et d’un grand groupe d’artistes, de critiques et d’amateurs du septième art.
Le cinquantième anniversaire de la mort du comédien Ismail Yassine a également été commémoré par le festival. Sa petite-fille Sarah Yassine y était présente, où elle a confirmé que cet honneur, même s’il arrive tardivement, montre néanmoins que cet artiste « est toujours parmi nous et ses œuvres sont toujours très regardés ». Il occupe par ailleurs, cinquante ans après sa disparition, la première place dans le panthéon du cinéma comique arabe.

– Le réalisateur égyptien Khairi Bechara, président du jury.
Le festival d’Alexandrie ne se satisfait pas de rendre hommage aux seuls grands noms disparus. Depuis sa création, et dans chacune des éditions, il rend aussi hommage aux grands noms du cinéma vivants qui continuent à enrichir le 7ème art avec leurs productions. Fidèles à cette belle tradition, les organisateurs ont donc dédié cette 38e édition au grand artiste égyptien Mahmoud Hemida.
Dans son discours inaugural, le président du festival Amir Abaza, a expliqué son choix. « Nous avons décidé, dit-il, de donner le nom de Mahmoud Hemida à cette édition en raison de sa riche contribution à l’essor du cinéma égyptien qu’il a enrichi avec ses 63 films qui comptent parmi les 100 films les plus importants du cinéma égyptien. Il a aussi lancé le magazine Al- Fann Al-Sabe’ (Le 7ème Art), premier média dédié au cinéma dans le monde arabe. »

– Ahmad Al Ahmad, membre du Jury.
Amir Abaza poursuit :
« Nous nous souvenons de ce jour du 6 octobre 1973 quand nous avions franchi le Canal de Suez et brisé la ligne Bar-Lev. 49 ans plus tard, cette édition qui commence également en ce début d’octobre, nous avons opté pour le sourire et le comique. Le poster de cette 38e session affiche la couleur : souriez, vous êtes à Alexandrie… ».
Prenant le relais du président du festival, l’acteur Mohyi Ismail, après avoir élogieusement mais malicieusement présenté Mahmoud Hemida, l’appelle à monter sur la tribune pour recevoir le prix.
Ce dernier, ému, déclare, sans perdre le sens de l’humour : « Je remercie Mohyi Ismail, qui m’a fait l’honneur de me présenter si ironiquement. Je l’aime beaucoup. » Et d’ajouter : « J’espère que d’autres festivals vont emboiter le pas au festival d’Alexandrie pour donner le nom de Mohyi Ismail à leurs prochaines éditions… »

– Le grand comédien égyptien, disparu en 1972, Ismail Yassine.
Reprenant son sérieux, il déclare avec émotion : « Ce moment est historique pour moi. Car comment se fait-il qu’un individu que personne ne connaissait avant d’avoir réalisé de nombreux films soit invité, pour la première fois de sa vie, à un festival aussi prestigieux que le Festival du film d’Alexandrie pour être honoré de son vivant de cette façon ? Donner mon nom à cette 38e édition est pour moi un grand honneur et un moment indescriptible. Un grand merci aux organisateurs du festival et à la population d’Alexandrie. »

– Photo tirée du film syrien « Ayyam al-rassas ».
À la fin du festival, voici venue l’heure du bilan. C’est à Alamir Abaza en sa double qualité de président du festival et de critique de cinéma qu’incomba cette tâche. Dans la conférence de presse de clôture, tenue à la Bibliothèque d’Alexandrie, il dresse un bilan flatteur.

– De droite à gauche : l’actrice Shirine, l’actrice Ilham Shahine et le réalisateur égyptien Omar Abdel Aziz.
29 pays arabes et européens ont participé à la 38ème session du Festival, dont 23 pays méditerranéens. 90 films ont été projetés. Le concours de scénarios s’est poursuivi pour la neuvième session consécutive. Dans l’édition de cette année la comédie a été à l’honneur. Le grand réalisateur égyptien Mohamed Abdel Aziz a obtenu la médaille de la Méditerranée alors que Samir Sabri a été primé pour sa longue carrière artistique entre chant, théâtre et danse.

– L’acteur Omar Fahmi à l’honneur : De droite à gauche, le président du Festival, Alamir Abaza avec Khaled Abdel-Galil, le Monsieur Cinéma au ministère égyptien de la culture, le caricaturiste Omar Fahmi et Mahmoud Hemida.
De nombreux autres acteurs et cinéastes ont été également honorés, dont le réalisateur soudanais Saeed Hamed et la star Donia Samir Ghanem, le producteur Wajih al-Leithi ainsi que journaliste Imam Omar.
Prix officiels du jury
Le prix du meilleur film de la compétition a été remporté le film SOULA de Salah Issaad (Algérie, 2021). Soula, jeune mère célibataire, est chassée du foyer familial. Prête à tout pour sa petite fille, elles se retrouvent toutes les deux embarquées de voiture en voiture afin de passer la nuit à l’abri. Sur l’asphalte des routes algériennes et au hasard des rencontres, cette aventure nocturne les conduit vers leur tragique destiné.

– La ministre de la culture égyptienne Nivine Al-Kilani.
Le jury a décerné le prix Omar Sharif du meilleur acteur à parts égales entre Pavel Simricic pour le film « White Castle » et Dylan Turney pour le film croate « The Conversation » réalisé par Dominic Seidler, avec Casper Philipson, Dylan Turner, Doris Picnic. Le film, basé sur des événements réels, relate la rencontre qui a eu lieu en 1945 entre le président yougoslave Joseph Tito et le chef de l’Église catholique en Croatie, Alozij Stepinak, et la durée du film est la durée réelle de l’importante rencontre qui a eu lieu à entre le président et le père catholique.

– Mirvat Omar, la vice-présidente du festival.
Quant au prix Ramses Marzouk de la meilleure photographie, il a été décerné au film « Soula » réalisé par Salah Issaad.
Par Mahmoud Al Rashed – Alexandrie