À qui profitaient les « bandits » de l’armée burkinabè ?
Ça y est. C’est fait. Après quelques semaines de traque des mutins et de leurs butins, la hiérarchie militaire a fini par dénicher les indisciplinés. Et la sanction est sans pitié. Conformément à l’arrêté signé par le sinistre de la “Défonce” nationale qui n’est autre que le Blaiso national, 566 militaires ont vu leurs «contrats résiliés pour compter du 7 juillet 2010 pour faute particulièrement grave contre l’honneur, la probité avec incitation au désordre». Finis, la plaisanterie et le «yel kayé». Voici venu le temps des sanctions. ?Droit dans ses bottes et brillant de ses étoiles de Général de brigade, le Chef d’état-major général des armées (Cemga) n’est pas allé par quatre chemins pour édicter le new deal ou la nouvelle marche à suivre. «Plus personne n’enverra son bandit dans l’armée», a martelé Honoré Nabéré Traoré. Quoi de plus normal que de ne pas faire de notre armée un repaire de délinquants, de vandales, de voleurs et de violeurs de tout acabit. L’armée, c’est la discipline, et tout le monde doit s’y soumettre ou se démettre. Mais ce que le général n’a pas dit ou n’a pas eu le courage de dire, c’est à qui profitaient les «bandits» qu’on a été obligé de virer maintenant par centaines. Pourquoi attendre que ces brigands poussent l’outrecuidance jusqu’à salir l’honneur et la probité de nos Forces armées nationales avant de mettre fin à leur contrat? Le commandement militaire n’était-il pas au parfum des intentions de cette racaille dont on ne se sépare bruyamment que maintenant? Fallait-il attendre de les voir se mutiner pour les «dégager» en aussi grand nombre au risque de les envoyer grossir les rangs des bandits de grands chemins qui écument déjà nos villes et nos campagnes??On veut bien comprendre que les différentes mutineries que le Faso a connues ces mois derniers ont occasionné des dégâts, jusque-là jamais imaginés de la part des Forces armées du pays. Aussi bien matériellement, symboliquement que diplomatiquement, ces préjudices ont plus que terni l’image intérieure et extérieure de ce pays qui vit en grande partie grâce à la coopération internationale. Ce n’est pas exagéré de dire que cette délinquance militaire-là a amené certains bailleurs de fonds et investisseurs étrangers à se demander si c’était encore la peine de mettre leur argent dans le Burkina. En tout cas, au niveau du gouvernement et particulièrement du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, on a toujours du mal à reconquérir la confiance effritée par des balles perdues ou intentionnelles. ?Il fallait donc «un signal fort à l’attention de la communauté nationale quant à la ferme volonté des Forces armées nationales de demeurer toujours une armée républicaine respectueuse des lois et intimement liée à la Nation», comme l’a si bien relevé le Gal Honoré Nabéré Traoré. Il fallait surtout que le ministre de la Défense montre clairement qu’il y a un capitaine – au propre comme au figuré – dans le bateau. Mais de là à ne taper que sur des sous-fifres et des «lacrous» sans toucher au commandement de ces hommes qui sont supposés ne jamais agir de leur propre gré, il y a probablement un goût d’inachevé dans les sanctions du 7 juillet.?Certes, le décret leur notifiant la résiliation de contrat stipule que «Les intéressés sont autorisés à faire valoir leurs droits». Sans présager de quels «droits» il s’agit, on peut s’imaginer que les «radiés» sont plus guidés par le règlement militaire qui dicte qu’il faut «l’exécution avant la réclamation» que par la volonté d’engager un débat contradictoire avec leur hiérarchie. Sauf peut-être pour ceux qui doivent comparaître devant la justice militaire. Même là, il ne faut peut-être pas s’attendre à des «révélations» du genre à éclabousser quelque haut gradé que ce soit. À moins que certaines têtes brûlées ou cabris morts qui n’ont plus peur du couteau ne se décident à laver tout le linge sale de l’armée sur la place publique.?Quoi qu’il en soit, l’effet d’annonce provoqué par la résiliation des contrats, les radiations et les poursuites judiciaires constitue un coup d’éclat pour une armée burkinabè qui veut redorer son blason. Mais elle ne rassure pas pour autant en déversant dans la nature plus de 500 militaires considérés – à raison ou à tort – comme des «délinquants» et des «bandits». Surtout pas dans un contexte sociopolitique sous-régional où ces hommes peuvent devenir des proies faciles pour des chefs de guerre et des rebelles en manque de bataillon. Les mutineries semblent avoir plutôt révélé un malaise profond de l’armée burkinabè. On ne devrait pas se contenter simplement d’arracher de supposées mauvaises herbes comme on l’a fait maintenant, mais de traiter le problème jusqu’à la racine. Pour ce faire, il paraît judicieux de se demander: à qui profitaient ces «bandits» dans l’armée? Qui avait intérêt à ce qu’ils soient enrôlés et pour faire quoi??Lorsque le Blaiso national, qui s’est arrogé le maroquin de la Défense, ainsi que le Cemga et son staff se donneront la peine de répondre à ces questions cruciales, ils pourront ainsi déclencher une véritable introspection qui va nécessairement au-delà des coups d’éclats pour engager l’armée burkinabè sur des réformes conséquentes afin de lui donner ce nouvel éclat pour lequel il est illusoire de vouloir emprunter des raccourcis ou des chemins détournés.
F. Quophy