L’ancien directeur général de la Fao appelle à des mesures d’urgence.
Même si la Goana fait des résultats satisfaisants, le Sénégal n’a pas pour autant atteint l’autosuffisance alimentaire. C’est la conviction de l’ancien directeur général de la Fao, Jacques Diouf. Il suffit, selon lui, d’aller au port de Dakar pour constater les importations de céréales qui n’ont pas cessé.
Jacques Diouf dément les libéraux. Pendant que la mouvance présidentielle soutient mordicus que notre pays a atteint l’autosuffisance alimentaire grâce à la mise en œuvre de l’idée « géniale » du président Wade, à travers la Grande offensive pour la nourriture et l’abondance (Goana), le directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) estime que le Sénégal n’a pas atteint la sécurité alimentaire. « Nous ne portons pas des jugements individuels sur des projets spécifiques de pays dans chacun des 191 Etat membres. Mais, du point de vue de la Fao, le Sénégal n’a pas atteint l’autosuffisance alimentaire. Il suffit d’aller au port pour voir combien de produits on importe », dit le directeur général de la Fao qui s’exprimait à Dakar lors d’un déjeuner de presse sur le thème : « Dernière Conférence de la Fao et mesures d’urgences contre la sécheresse, notamment dans la corne de l’Afrique ».
Diouf dément ainsi les libéraux. Eux qui ne manquent pas, pour polir le bilan du président Wade, de souligner que le Sénégal a atteint l’autosuffisance après seulement trois années de mise en œuvre de la Goana. En effet, avec une production rizicole qu’ils évaluent à 605 mille tonnes, comparée à la consommation annuelle du pays, et les 1,2 millions de tonnes d’arachide de la dernière campagne, ils ne cessent de défendre que le Sénégal est à l’abri de toute crise alimentaire. Mieux, qu’il peut même réexporter son surplus vers les pays limitrophes. « Sur la voie de l’émergence, il est heureux que la bonne nouvelle nous vienne, une fois de plus, du secteur agricole avec d’excellentes récoltes d’arachides, un cumul de 2 millions 630 mille tonnes pour le mil, le sorgho et le fonio et plus de 600 mille tonnes pour le riz. Ainsi, mes chers compatriotes, par la synergie de nos efforts et avec l’aide de Dieu, nous avons atteint l’autosuffisance alimentaire », déclarait le président de la République dans son traditionnel discours de fin d’année, le 31 décembre 2010.
Rappelant au Sénégal et aux autres pays du continent leur engagement pris à Maputo en 2003, Jacques Diouf les invite à investir davantage dans l’agriculture pour arriver à atteindre réellement la sécurité alimentaire et par ricochet contribuer à réduire de moitié ou à éradiquer la faim dans le monde. Cela d’autant plus que la situation est assez préoccupante, à savoir la sécheresse qui sévit dans le monde et qui frappe la corne de l’Afrique, montre que les défis subsistent toujours. En effet, selon le directeur de la Fao, un déficit de pluviométrie qui est en train de se traduire en déficit de production et de récoltes aux Etats-Unis et en Europe notamment avec une baisse de la production céréalière, de la disponibilité des aliments de bétail, plonge 12 millions de personnes dont 3,7 millions en Somalie, dans la famine. « Malheureusement, nous avons dû déclarer l’état de famine en Somalie. Ce qui est désolant, c’est que dans ce domaine, l’histoire est un éternel recommencement. En 2000, nous avions eu une situation similaire dans la corne de l’Afrique. Elle se répète parce qu’on n’a pas attaqué le problème structurel qui se pose à la base », peste Diouf. Qui pense que, pour faire face à la demande alimentaire, il faudra augmenter la production dans les pays en voie de développement à 100 % et de 70 % dans le monde. « Nous sommes aujourd’hui dans un monde où il y a à peu près 7 milliards de personnes dont 900 millions ont faim et nous allons devoir vivre dans un monde, à l’horizon 2050, de 9 milliards d’individus. Donc, il faut investir dans l’agriculture. La part de l’agriculture dans l’aide au développement qui était de 19 % en 1980 a commencé à baisser de manière drastique et a atteint 3 % en 2006 et tourne autour de 5 % actuellement. Ce n’est pas en diminuant ou en supprimant l’investissement dans un secteur qu’on va le développer », fait-il remarquer.
CULTURE DES BIOCARBURANTS : Une menace pour la sécurité alimentaire, selon le patron de la Fao.
Les 120 millions de tonnes de céréales qui sortent de la consommation humaine pour être utilisés dans les différents véhicules à titre de carburant ne sont pas pour plaire au directeur général de la Fao. Jacques Diouf y voit en effet un obstacle à la sécurité alimentaire. En effet, pour lui, non seulement des millions de tonnes de céréales volent en éclats mais les pays qui s’y sont tourné mettent des subventions de l’ordre de 13 milliards de dollars parce que ce type de carburant n’est pas compétitif. Pis, ils mettent aussi des barrières douanières essentiellement tarifaires pour empêcher des produits concurrentiels de venir sur les marchés. « Quand il y a eu la crise de 2007-2008, l’état des stocks mondiaux de céréales était de 435 millions de tonnes. Dès qu’il y a eu sècheresse dans certaines parties du monde, les stocks étaient à un niveau insuffisant et on a immédiatement vu la flambée des prix sur le plan international. Si nous avions eu ces 120 millions de tonnes, nous n’aurions pas connu la crise alimentaire. Ce n’est pas acceptable que l’on utilise des céréales alimentaires pour des véhicules », regrette le directeur de la Fao.