L’issue de la 24e conférence de l’ANCYL est de la plus haute importance pour l’avenir immédiat de l’ANC. Explications.
L’issue de la 24e conférence de l’ANCYL est de la plus haute importance pour l’avenir immédiat de l’ANC. Elle pourrait être déterminante quant à la prochaine présidence de la République et aux orientations du prochain gouvernement issu des élections générales de 2012. Au centre de la bataille, Julius Malema.
Dans son discours d’ouverture de la 24e Conférence de l’ANCYL (ANC Youth League, Ligue de la Jeunesse de l’ANC), Julius Malema, son président dont la réélection ne fait pas de doute, a prononcé un discours offensif de 90 minutes. Véritable « parti dans le parti », l’ANCYL n’est pas une simple organisation de jeunes mais, au contraire, a toujours joué un rôle primordial dans la politique de l’ANC. Elle fut créée, en 1944, par, entre autres légendes du mouvement, Nelson Mandela, Walter Sisulu et Oliver Tambo et elle prit le contrôle de l’ANC à la fin des années 1940, changeant radicalement la stratégie et la nature du mouvement. En 2005, l’élection de Fikile Mbalula a redonné à l’ANCYL toute son influence. Elle est revenue sur le devant de la scène politique sud-africaine, notamment en soutenant Jacob Zuma de façon très active lors de son élection à la tête de l’ANC et dans l’éviction de Thabo Mbeki à la tête du pouvoir.
L’élection de Julius Malema, en avril 2008, a marqué une nouvelle étape dans la radicalisation de l’organisation. Personnage excessif dans ses attitudes et ses propos, souvent incontrôlable, propulsé par Jacob Zuma, dans un premier temps, sur la scène nationale, Julius Malema s’est, au cours de son mandat, démarqué de façon de plus en plus brutale, des « anciens » de l’ANC et de la direction du parti au pouvoir. Au point d’être rappelé à l’ordre à plusieurs reprises et d’avoir été convoqué devant les instances de disciplines de l’organisation. Ses propos anti-« Blancs » sinon racistes (son hymne favori est le chant de lutte « Kill the Boer » (« Tue le Boer ») interdit par un tribunal et par l’ANC par souci d’unité nationale et de réconciliation), sexistes, anticommunistes, antimédias et anti-intellectuels, virulents et populistes l’ont rendu célèbre… et dangereux.
Son attitude de défi par rapport à son ancien mentor, Jacob Zuma – comme, par exemple, les relations nouées avec le Zimbabwe où il fut reçu en chef d’État, en avril 2010, alors que le président était en train de mener une médiation pour tenter de régler la crise politique zimbabwéenne – a clairement envoyé le message que l’ANCYL était bien décidée à jouer un rôle de premier rang dans la vie politique sud-africaine. L’entrée de Malema dans la salle du Congrès accompagné de Jacob Zuma, chantant et dansant, cette fois, l’hymne favori du président, tout aussi controversé, Umshini Wam (« Passe moi ma mitraillette ») ne trompe personne. Julius Malema et ses proches l’ont déjà clairement dit : ils ne soutiendront pas la candidature de Jacob Zuma pour nouveau mandat à la tête de l’ANC, en 2012 et tenteront de placer Fikile Mbalula au poste crucial de secrétaire général, avec la ferme intention de prendre à nouveau le contrôle du parti au pouvoir. Plus encore, les récentes déclarations de Malema selon lesquelles l’ancien président Thabo Mbeki – « viré », en septembre 2008, de la présidence de l’ANC et « obligé » de démissionner de la présidence de la République par les mêmes Jacob Zuma et ANCYL – avait été le « meilleur président d’Afrique du Sud », ont été interprétées comme une véritable provocation. Enfin, pour consacrer la rupture, il est, également, clair pour tout le monde que Zuma et l’ANC soutiennent le concurrent de Julius Malema, Lebogang Maile, comme candidat à la tête de l’ANCYL.
Très contesté et critiqué, très proche de certains milliardaires sud-africains, soupçonné lui-même d’être à la tête d’une fortune mal acquise, Julius Malema s’est acquis un large soutien populaire en envoyant ses troupes dans les townships. Il a su utiliser les revendications des millions de pauvres auxquelles l’ANC au pouvoir depuis 1994 n’a pas su ou pu répondre. Il a lancé ses troupes à la tête de nombre de manifestations populaires qui, si elles sont justifiées, ont souvent été manipulées pour tourner en affrontements violents.
Mais Julius Malema ne s’arrête pas à la fourniture d’électricité, d’eau potable, de sanitaires et d’habitat décent. Depuis deux ans, il avance avec beaucoup de véhémence des exigences touchant aux orientations mêmes de la politique sud-africaine, en opposition avec les engagements de l’ANC. Son discours de 90 minutes à l’ouverture du Congrès a donné le ton. Il s’est focalisé, essentiellement, sur deux questions. « Notre appel à la nationalisation des mines et à l’expropriation des terres sans compensation est, en ce moment, ce qui est le plus important », a-t-il déclaré. Derrière cette rhétorique, certains voient, inévitablement, une fois de plus, la manifestation de sa haine pour les « Blancs », propriétaires terriens et groupes miniers ou bancaires. Depuis plusieurs mois, il attise la haine chez les plus défavorisés par des discours démagogiques plus que politiques sur ce thème.
Julius Malema a, également, insisté sur la nécessité pour l’ANC de gagner largement les élections de 2012 afin d’être en mesure de changer la Constitution pour pouvoir légaliser l’expropriation des terres, rappelant que Jacob Zuma n’avait pas obtenu, aux élections nationales de 2009, la majorité lui permettant de procéder à cette modification. « L’ANC Youth League doit être la voix des ouvriers du pétrole, des garçons de café, des ouvriers agricoles et des porteurs de choux », a-t-il ajouté, tout en fustigeant les alliés de l’ANC, le Parti communiste et la Confédération COSATU, les accusant d’avoir abandonné leur rôle « d’avant-garde de la classe ouvrière. » Et en manière de salut final, il a entonné le chant qui l’a conduit devant l’Equality Court, tribunal chargé des affaires touchant aux violations de la loi sur la promotion de l’égalité et la prévention de la discrimination. Tout en prenant la précaution de changer « Kill the Boer » (Tue le Boer) par « Kiss the Boer » (Baise le Boer), inspiré par sa légendaire grossièreté. Mais ne nous méprenons pas, au-delà des turpitudes de Julius Malema, ce qui se joue, ce week-end, à la 24e Conférence de l’ANCYL, à Midrand, Johannesburg, c’est la prochaine présidence de la République sud-africaine et les orientations du futur gouvernement ANC. Si Julius Malema et la direction de l’ANCYL sortent victorieux du Congrès, ils pourront lancer des milliers d’adhérents de la branche la plus puissante de l’ANC dans la bataille pour leur candidat à la future présidence de l’ANC et du pays. Ils pourront, alors, pousser le gouvernment à adopter sa politique radicale d’expropriation des terres, de nationalisation des banques et des mines, et de renforcement du Black Economic Empowerment (BEE) dans les entreprises « blanches ». Au sein de l’ANC, comme au sein de l’ANCYL, la bataille fait rage, ce sont deux lignes politiques qui s’affrontent.