Le « Maréchal » Haftar et sa clique qui règnent sur l’est de la Libye, et donc Benghazi, n’aiment pas la contradiction. Si un député de Benghazi manifeste trop d’opposition, surtout quand il s’agit de corruption, l’élu disparait.
Le président de la Chambre des représentants, le conseiller Aguila Saleh, n’a émis aucune déclaration concernant cet enlèvement. La poignée de journalistes qui s’intéresse encore au sort de Benghazi, « berceau de la Révolution contre Kadhafi » sont épatés. La lecture de quelques reportages est convaincante : la ville d’un million d’habitants, si violemment divisée et livrée à l’anarchie des milices religieuses, est en train de se remettre sur pieds. L’économie qui structure la société est en plein boom et les hommes d’affaires débarquent. Tableau surprenant dans une Libye écrasée par les « forces occidentales », Sarkozy et la France en tête.
C’est dans ce contexte de « résurrection », qu’un phénomène tragique se perpétue et vient ternir la jolie carte postale du Benghazi nouveau, il s’agit des disparitions qui se multiplient, celles d’individus plus ou moins engagés dans la société qui s’envolent comme fumée. L’enlèvement discret, et peut être derrière l’assassinat, est devenu une pratique de répression politique courante. Et tragique.
Le rapt qui fait actuellement le plus de bruit est celui d’Ibrahim al-Darssi un membre du Parlement de Benghazi, chargé de la condition des femmes et des enfants. Cet ancien imam était un homme parfait tant qu’il a entretenu des rapports chaleureux avec le maréchal Haftar, homme de l’Occident dans une Libye en pièces détachées . Haftar qui, naguère, « indignée » par l’anarchie régnant à Benghazi, a décidé, avec le soutien de Washington, de « reprendre en main Benghazi ». Ce qui est fait.
Que s’est-il passé entre le Maréchal et le député ? On l’ignore. Mais Ibrahim al-Darssi a disparu après une prise de parole qui ne pouvait que mécontenter Haftar et sa clique. Ibrahim Al-Darssi a subitement mis en garde le peuple de Benghazi contre le rôle trop important et trop visible joué par les proches du Maréchal dans la reconstruction de Benghazi. Il s’agit donc d’une querelle d’argent. Se sentant visés -et à juste titre-, dans leurs intérêts particuliers, les militaires ont mal vécu la saillie d’Ibrahim al-Darssi. Si mal vécu que, dans les jours qui ont suivi la courageuse déclaration du député, il a disparu subitement de sa maison de Benghazi.
Aujourd’hui on ignore tout du sort du député. Est-il mort est il vivant ? Bien embarrassées les « autorités » se démènent pour faire croire que cet enlèvement n’est que le fait de malfaiteurs, de voleurs de maisons. Version que personne ne peut et ne veut avaler à Benghazi. Comment, par magie, le député est passé du stade de supporteur enthousiaste de Haftar a celui d’ennemi à abattre ? Il semble qu’il ne fait pas bon déplaire aux chefs de « l’armée » du Maréchal. Surtout pour qui les accuse de trop bien prospérer de concert avec l’essor de la ville… La version officielle s’accroche à cette histoire de bandits, mais les fidèles de al-Darssi envisagent, eux, de lancer une campagne internationale dans des pays Occidentaux et à l’ONU, afin de retrouver leur député.
Ce tapage fait autour d’un leader politico-religieux met à mal le nouveau slogan de Haftar, celui sur la sécurité retrouvée à Benghazi. Une réputation inquiétante, mauvaise pour la bonne poursuite des affaires et celle de la reconstruction de la ville. Qui va maintenant se risquer dans un territoire où l’enlèvement vous guette ?
Deux jours après son enlèvement, une vidéo de sa voiture a circulé sur les réseaux sociaux. Le véhicule a été retrouvé dans la zone d’AlHawari, criblé de balles, avec des signes de fouille à l’intérieur et des traces dissimulées à l’aide d’épices. • Ces éléments contredisent la version donnée par la Direction de la sécurité, qui avait affirmé qu’il avait été enlevé à son https://x.com/aleasima_17/status/1791830026280734776 domicile.
D’autant que cette pratique violente et radicale est devenue courante. Après avoir débutée en 2014, c’est alors l’enlèvement, puis forcément le crime, contre le journaliste et militant des droits de l’homme Salwa Bouqaïs. Victime, lui-aussi, de son opposition à l’agenda militaire. Puis ce sera le tour de Faraj Bouhashem, lui aussi député, et opposé au raid de 2019 lancé par Haftar contre Tripoli .
Encore en 2019 c’est Sihem Serqiwa , aussi un député, qui est à son tout « effacé » du monde des visibles. Lui critiquait l’action d’Haftar dans l’Ouest libyen, un raid ayant une forte odeur de pétrole. Pour les quelques courageux qui on encore l’audace de s’exprimer : « ces crimes commis contre les citoyens, contre la liberté d’expression, contre la vie politique indique que, sous un dehors apaisé, le chaos règne toujours sous la tutelle d’Haftar ». on peut se poser la question : que vaut un régime où les députés qui s’opposent aux militaires disparaissent ? »
Qui est le député Ibrahim Dersi ?
• Ibrahim Aboubakr Abdelrahman Atiyallah AlDersi, né en 1971.
• Père de quatre enfants : Zakaria, Aboubakr, Yahya et Sultan.
• Diplômé en études islamiques de l’Université ouverte de Benghazi.
• Hafiz et enseignant du Coran depuis 1993.
• Imam à la mosquée Nour Al-Rahman dans le quartier Hay Al-Fateh à Benghazi.
• Membre du comité de la Zakat de Benghazi.
• Président du conseil local de Hay Al-Fateh depuis 2011.
• Membre de la Chambre des représentants depuis 2014
• Président de la Commission des Affaires religieuses et des Waqfs au sein du Parlement
• Membre de la Commission de la Femme et de l’Enfance à la Chambre des représentants
La dernière apparition publique de Al-Derssi remonte au même jour, lors de la célébration organisée par le Commandement général des forces armées dans l’est du pays, dirigé par le maréchal Khalifa Haftar, à l’occasion de l’anniversaire de ce qu’ils appellent la « Révolution de la Dignité » lancée par Haftar en 2014. Cette cérémonie a eu lieu le 16 mai 2024
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Par Brahim MADACI