L’émission « Panorama » de la BBC a accusé quatre barons de la Fifa d’avoir été corrompus entre 1989 et 1999. Éclairages sur un scandale du football étouffé.
17 mars 1999, Lausanne, Château de Beaulieu, le Comité olympique international annonce : « L’assemblée générale du CIO a prononcé l’exclusion des cinq membres suivants : Jean-Claude Ganga (Congo), Lamine Keita (Mali), Zein El Abdin Ahmed Abdel Guadir (Soudan), Charles Mukora (Kenya) et Sergio Santander Fantini (Chili). » Quatre autres membres, Bashir Attarabulsi (Libye), David Sikhulumi Sibandze (Swaziland) et Pirjo Häggman (Finlande) sont contraints à la démission. Tous ont trempé dans le scandale des pots-de-vin offerts par le comité de candidature de la ville de Salt Lake City, États-Unis, pour les Jeux d’hiver de 2002.
À la question : « Le sport africain est-il pourri ? », feu le juge sénégalais Keba Mbaye, vice-président du CIO (de 1998 à 2002) et président du Tribunal arbitral du sport (de 1983 à 2007), nous avait, à l’époque, répondu : « Ce qui est reproché aux membres exclus ne constitue pas une infraction au sens commun du terme. Il s’agit d’une violation des règles du CIO, établies et acceptées par tous. Dans les dossiers examinés, on n’a pas décelé la moindre trace de ce qu’on peut appeler corruption.
Les dirigeants du sport africain doivent se remettre en cause, voir où est le mal et tenter de l’extirper. Ce mal – la corruption – n’est typiquement africain. Il n’a pas de patrie. Il est entré dans les mœurs, existe partout et plus grave, est toléré. Doit-on pour autant se résigner à vivre dans une atmosphère incompatible avec les idéaux du vrai sport ? Ce n’est point une affaire de générations. En ce qui concerne l’Afrique, les gens de mon âge n’ont pas connu la fortune, la vraie, si bien que tous les problèmes d’argent les étonnent et leur passent par-dessus la tête. Une société qui n’a pas de régime solide de sanctions et de récompenses est une société en voie de déliquescence. »Et d’ajouter : « La dignité humaine doit s’exprimer par l’honnêteté et celle-ci n’est pas fonction des besoins ou des possibilités matérielles. »
Ces sages paroles de Kéba Mbaye, on aurait aimé les voir reprises, ces dernières semaines, par le président de la Confédération africaine de football (Caf), Issa Hayatou, après la suspension, le 17 novembre, par la commission d’Éthique de la Fifa, de trois de ses affidés : Amos Adamu (Nigeria), Slim Aloulou (Tunisie) et Amadou Diakhité (Mali), convaincus de violation des divers articles du Code moral de la Fifa.
« Panorama » accuse
Si Sepp Blatter, le patron de la Fifa a précisé que les dirigeants sanctionnés (plus le Tahitien Reynald Temarii et le Botswanais Ismael Bhamjee) ne l’ont pas été pour corruption et qu’ils ont fait appel, et que « s’ils reconnaissent une faute, ils seraient immédiatement remplacés », Hayatou a, lui, choisi de servir à ses pairs du Comité exécutif de la Fifa, le couplet frelaté de la victimisation : « Les personnes mises en cause par le Sunday Times, viennent d’Afrique et d’Océanie, cela sent le racisme ! » Manque de pot pour le Camerounais, le 29 novembre, il est à son tour épinglé par l’émission Panorama de la BBC. Il est accusé d’avoir reçu, en 1995, 100 000 francs de la société de marketing International Sports and Leisure (ISL) qui avait obtenu l’exclusivité des droits de plusieurs Coupes du monde avant de faire faillite en 2001.
Hayatou s’est défendu en affirmant que les 100 000 francs n’étaient pas pour lui, mais une contribution d’ISL pour la commémoration du 40e anniversaire de la Caf. Soit, mais pourquoi ISL n’avait-elle pas viré la somme directement sur le compte de la Caf ?
Rappelons que, jusqu’à sa liquidation, ISL a été un partenaire commercial privilégié de la Caf. Et que son ex-directeur général, Jean-Marie Weber, est, depuis 2002, le conseiller en marketing d’Issa Hayatou et son « chef » de protocole.
L’enquêteur de Panorama, le journaliste Andrew Jennings, a aussi mis en cause trois autres piliers du Comité exécutif de la Fifa. Le Paraguayen Nicolas Leoz aurait reçu trois paiements de 200 000 dollars chacun. Le Brésilien Ricardo Teixeira (ex-gendre de l’ancien président de la Fifa, Joao Havelange) aurait perçu, via une société basée au Liechtenstein, 9, 5 millions de dollars, en 21 versements. Enfin, le vice-président Jack Warner (Trinité-et-Tobaggo) est accusé de revente des billets du Mondial 2010.
L’ami Warner
Ce n’est pas la première fois que le patron de la Concacaf (Confédération de l’Amérique du Nord, du Centre et des Caraïbes) est épinglé. En 2006, Warner que Jennings décrit comme « un homme qui manœuvre, s’affaire, magouille » et « un manipulateur dont l’audace et le culot en disent long sur la Fifa de Blatter » est impliqué dans une affaire de revente de billets du Mondial – pour la bagatelle d’un million de dollars – à travers l’agence de voyages Simpaul Travel Service de Port of Spain. Saisie, la commission d’Éthique de la Fifa ne se prononça pas et renvoya la patate chaude au Comité exécutif. Le 7 septembre, celui-ci se contenta de « désapprouver la conduite du vice-président Jack Warner », lui rappela de faire attention « à l’avenir aux questions de billetterie » et lui demanda de « s’assurer que son fils, Daryan Warner, n’abuse nullement du poste qu’occupe son père » !
Warner affirme posséder chez lui des centres commerciaux, des hôtels, des bureaux, des entrepôts. Il a « quelques affaires » aux États-Unis achetées « avec le salaire (?)et les provisions reçus de la Fifa ». En tant que vice-président de la Fifa et de sa commission des Finances, il toucherait des « chèques d’indemnités proprement fantastiques ». Sa fortune a été estimée, en 2006, entre 15 et 30 millions d’euros. Il est intouchable à la Fifa. Parce que protégé par Blatter auquel il a apporté sur un plateau, en 1998 et 2002, les suffrages des 35 associations membres de la Concacaf. Jack Warner n’hésite pas à affirmer : « Je contrôle à la Fifa un budget de deux milliards de dollars et je n’ai jamais été témoin d’une once de corruption. » La Fifa octroie régulièrement, depuis 1998, des contrats à la famille de Jack, cet « ami merveilleux, loyal et très compétent. L’une des plus grandes sommités du monde du football (dixit Blatter) ».
En 2004, contre la promesse de voter pour l’Afrique du Sud, candidate à l’accueil du Mondial 2010, il exigea et obtint que Nelson Mandela et Desmond Tutu viennent visiter Trinité-et-Tobago. Sepp Blatter sauta sur l’occasion pour les rejoindre à Port of Spain.
Au printemps dernier, Jack Warner fut reçu à Moscou par Vladimir Poutine dans le cadre de la promotion de la candidature de la Russie pour le Mondial 2018. Et le 17 novembre, David Cameron, le premier ministre britannique l’invita à déjeuner. Le Trinitaire promit au Prince William qu’il votera pour l’Angleterre ! Mais, le 2 décembre, c’est la Russie qui l’emporte : « L’Angleterre, écrit le Daily Mail, a perdu son temps en courtisant Jack Warner, et en serrant la main à un homme odieux et de mauvaise foi ».
Vous avez dit « transparence » ?
Ricardo Teixeira préside, depuis 1989, la Confédération brésilienne de football (CBF), organisatrice du Mondial 2014. Il aurait, selon Panorama, reçu 9,5 millions de dollars d’ISL, à travers une société écran, Sanud. Une enquête du Sénat brésilien a établi que les versements de Sanud ont été secrètement dirigés vers une des compagnies que possède Teixeira. Divers scandales marquent sa gestion de la CBF, avec des accusations de népotisme, de paiements de voyages vers les pays organisateurs de la Coupe du monde à des magistrats et autre officiels ou encore la conclusion de contrats défavorables au football brésilien.
Teixeira utilisa également les moyens de la CBF pour les campagnes politiques des dirigeants sportifs aux fins de constituer au parlement un groupe (bancada) favorable à ses intérêts, qui se fit connaître sous le nom de bancada da bola. Cela lui permit d’assurer cinq réélections. Pelé l’accusa de corruption en 1993 et en 1998, il fut impliqué par des commissions d’investigation parlementaires, mais avec l’appui de sa bancada, il réussit à ne pas être inquiété. À Rio, il est concessionnaire automobile de la marque Hyundai, possède des boîtes de nuit et des restaurants. Il est en poste jusqu’en 2015.
« Dans le football, déclare Sepp Blatter, nous sommes 300 millions de personnes avec 208 associations nationales. Si on trouve deux ou trois cas de corruption, je pense que ce n’est que le reflet d’un phénomène de société. » « L’image de la Fifa, affirme par contre Jean-Pierre Méan, président de Transparency International Suisse, commence à être sérieusement écornée. Si celle-ci est perçue comme corrompue, toute l’intégrité des processus de décision est mise en cause. (…) Si la Fifa était une société commerciale, quel que soit le bien-fondé des allégations portées, les dirigeants seraient partis. » Le ministre suisse des Sports, Ueli Maurer, a ordonné à l’agence fédérale, Swiss Sports, d’enquêter sur la corruption dans le sport et sur les moyens de l’éradiquer. Pour Daniel Kaufmann, membre de la Brooking Institution à Washington et ancien directeur du département pour la bonne gouvernance et l’anticorruption à la Banque mondiale : « La Suisse a autorisé la Fifa et d’autres institutions sportives à fonctionner sans aucune transparence. »