Un témoignage publié dans www.democracynow.org.
Non, l’Irak n’est pas un pays démocratique !
« Les villes irakiennes sont aujourd’hui bien plus détruites qu’elles ne l’étaient, je dirais, il y a cinq ans. Dans notre société, il y a 99% de pauvres et 1% de riches du fait de la politique qui a été imposée ici. Les femmes sont les grandes perdantes. Il y a entre un et deux millions de veuves en Irak, elles vivent pour la plupart avec 150$ par mois – à condition qu’elles aient des papiers d’identité pour les toucher. Pendant ce temps, 1% de riches vivent dans la « Zone Verte », et se noient dans un océan d’argent. Il y a eu le scandale de la disparition de 40 milliards de dollars du budget, personne n’a été tenu pour responsable. On peut dire qu’après neuf ans, nous avons le gouvernement le plus corrompu du monde.
Nous sommes aujourd’hui menacés par la division du pays sur des critères religieux – et ethniques, mais ça, c’est déjà fait ! Les Sunnites ne veulent plus dépendre du gouvernement central. Et en même temps, la destruction est partout. La pauvreté touche tout le monde sauf ces 1%. Le président Obama veut nous faire passer pour une société unie, ce n’est pas vrai. Nous vivons dans une gigantesque camp militaire où un million d’hommes irakiens sont recrutés par l’armée. À cela, il faut ajouter 50 000 membres de la milice du groupe Sadr et autres groupes islamistes qui ne sont pas seulement des milices locales, comme l’armée dans le pays, mais sont aujourd’hui exportés dans d’autres pays pour opprimé le Printemps arabe, en Syrie, notamment. Nous ne sommes pas un pays uni parce que la République d’Iran a la main mise sur l’Irak. Ce sont eux les décideurs, en Irak. Et les plus grands perdants dans tout cela, ce sont les femmes. Aujourd’hui, constitutionnellement, il y a des articles qui nous placent sous la charia islamique, alors que cela n’existait pas sous l’ancien régime. Aux termes de la charia, la femme vaut la moitié d’un homme, légalement, et un quart d’homme socialement dans le mariage. Et nous souffrons. En tant qu’organisation de femmes, nous rencontrons chaque jour des femmes qui peuvent être achetées et vendus sur le marché de la chair. Nous voyons des veuves qui n’ont aucune ressource et personne pour régler leurs problèmes de carte d’identité pour elles et leurs enfants, car elles ont été déplacées à l’intérieur du territoire. Et le gouvernement ne s’occupe pas beaucoup de ce genre de problème. Ils parlent beaucoup, mais n’agissent pas assez.
L’année dernière, on nous a dit que l’économie irakienne allait changer et qu’il y aurait une nouvelle phase d’investissements. Mais en réalité, ceux qui ont été invités dans la « Zone Verte » ont été surpris de voir qu’il s’agissait de privatisations, que nous aurions de nouvelles compagnies pétrolières. Certaines fonctionnent déjà dans le sud, comme la British Petroleum qui pompe déjà du pétrole. Ils ont importé des travailleurs étrangers et ils pratiquent la discrimination salariale par rapport aux travailleurs irakiens. On peut aussi parler de racisme dans la manière dont sont traités les Irakiens par rapport aux étrangers. Dans quel cadre contractuel ces compagnies viennent-elles et fonctionnent-elles en Irak. Nous le peuple irakien, nous ne le savons pas. Comme la British Petroleum : elle dispose de nombreux champs pétrolifères. Elle fonctionne. Elle extrait du pétrole irakien. Autre question est, pourquoi tout cet argent est partagé entre le 1% qui dirige l’Irak, l’administration américaine et toutes ces multinationales, tandis que les veuves irakiennes ne peuvent pas toucher leurs 150$ mensuels ? La plus part de celles que nous voyons dans notre organisation n’ont pas même un sou en poche. Personne, au gouvernement, ne se sent responsable des femmes irakiennes qui vivent cette situation à cause de la guerre.
Il existe une nouvelle génération de femmes et d’hommes en Irak qui sont totalement illettrés. Une femme dans ses vingt ans peut avoir eu des enfants, ou pas, mais elle n’a reçu aucune éducation à cause de la guerre sectaire, à cause de la guerre en Irak. C’est une génération d’illettrés, alors que, avant cette guerre, nous savons que l’Irak des années 1980 et même des années suivantes, avait le plus haut niveau de lettrisme du monde arabe[1].
Le Printemps arabe a éclaté en Irak le 25 février. Lorsque le gouvernement a imposé le couvre-feu dans toutes les villes irakiennes, particulièrement à Bagdad, nous avions marché trois heures pour atteindre la place Tahrir de la capitale. Il y avait environ 25000 personnes qui exprimaient leur volonté politique et dire qu’ils ne veulent pas du gouvernement islamiste de la Charia qui opprime tous les autres. Nous les femmes nous étions là, nous étions respectées. Personne ne nous a dit de mettre le voile, alors qu’à la même période, le cabinet du Premier ministre mettait en place des mesures obligeant les femmes travaillant dans le secteur public à « s’habiller décemment, décemment comme le veut « notre » culture ». Le Premier ministre impose une mentalité de discrimination à l’encontre des femmes basée sur la charia islamique, alors que les manifestants du Printemps arabe veulent une société égalitaire.
Nous avons vu ce qu’était la nouvelle démocratie irakienne. Ils ont été parmi les meilleurs dans la répression du <<<<<< Printemps arabe. À Tahrir Square, ils ont envoyé la police, l’armée et des unités anti-émeutes pour nous tirer dessus avec des balles réelles. Ils ont arrêté et torturé des centaines de manifestants. Et tout ça, parce que nous voulions seulement manifester librement. Et il ne s’agit pas seulement d’une manifestation. Tous les vendredis, depuis le début du mois de février, il y a eu des manifestations sur toutes les places des grandes villes irakiennes – Bagdad, Sulaymaniyah, Bassora, Samarra. Les gens viennent sur les places, on n’entend aucun slogan demandant un gouvernement religieux !L’administration américaine est venue en Irak : elle a divisé les Irakiens en religions, en sectes, en ethnies. Diviser pour régner. Et maintenant nous avons des unités anti-émeutes style américain. Les gros véhicules qui nous jettent de l’eau chaude polluée, des bombes sonores, nous poussent hors des places. En 2003, après la chute de Bagdad, Donald Rumsfeld parlait de l’Irak qui célébrait la liberté, des gens heureux qui montaient sur les chars américains, etc. Je pense que les parents de victimes et les victimes de cette guerre, les 500 000 morts, n’ont pas été invités aux célébrations militaires américaines. Ils auraient dû être invités pour dire ce qu’ils pensaient de cette guerre qui a laissé des familles affamées et pauvres, sans aide et sans perspectives.
(Propos recueillis par Amy Goodman pour democracynow.org)