Une analyse de la politique du FMI par deux journalistes de la revue Foreign Policy.
(…) Tandis que les médias dissèquent les tentatives de viol d’une jeune femme africaine et commencent à diffuser d’autres informations sur les indiscrétions passées de Strauss-Kahn, nous ne pouvons nous empêcher de voir que cette situation, au delà de la vision féministe d’une histoire personnelle, est politique. Pour beaucoup, dans le monde en développement, le FMI et ses politiques draconiennes d’ajustement structurels (PAS) ont systématiquement violé la terre et les pauvres et violé les droits humains des femmes. Le mépris personnel et le manque de respect pour les femmes exprimé par l’homme le plus puissant du FMI ne sont que le reflet du parti pris inhérent aux politiques institutionnelles du FMI et à ses pratiques.
Le FMI et la Banque mondiale ont été créés dans l’après seconde guerre mondiale pour promouvoir le commerce international et la coopération monétaire en attribuant aux gouvernements des prêts, en cette période de crises budgétaires graves. Le FMI qui compte 184 membres, est contrôlé par seulement cinq pays – la France, l’Allemagne, le Japon, la Grande-Bretagne et les États-Unis – qui contrôlent 50% des votes attribués selon leur contribution respective. Le FMI a gagné sa mauvaise réputation dans le « Sud » où les gouvernements doivent accepter une série de mesures austères, les Programmes d’ajustement structurel (PAS), contre les prêts financiers. Le « package FMI » typique encourage la promotion des exportations aux dépens de la production pour une consommation locale. Il impose, également des tarifs douaniers bas et des coupes dans les programmes tels que la santé et le social. Au lieu de réduire la pauvreté, les milliards et milliards de dollars accordés par le FMI ont augmenté la pauvreté, particulièrement celle des femmes qui constituent 70% de la population pauvre du monde.
Les réductions des dépenses sociales exigées par le FMI ont souvent abouti à des coupes dans les emplois du secteur public qui touchent les femmes de façon disproportionnée. Elles détiennent les emplois publics les moins qualifiés et sont souvent les premières à être licenciées. De la même manière, quand des programmes comme l’aide sociale sont supprimés, les femmes doivent prendre en charge davantage de responsabilités domestiques, ce qui limite, en conséquence, leur accès à l’éducation et à d’autres emplois.
En échange d’un emprunt de 5,8 millions de dollars au FMI et à la Banque mondiale, la Tanzanie a accepté d’imposer des taxes sur les services de santé qui ont conduit à une baisse de la fréquentation des hôpitaux par les femmes, ou aux soins postnatals, d’où une hausse de la mortalité des mères. En Zambie, l’imposition des PAS a provoqué une chute significative de la fréquentation des écoles par les filles et une flambée de la prostitution pour poursuivre leur éducation.
Mais les mesures d’austérité ne s’appliquent pas seulement aux pays pauvres africains. En 1997, la Corée du Sud a reçu 57 milliards de dollars sous condition de l’introduction de la flexibilité du marché du travail, préalable à la compression des salaires et au licenciement des travailleurs en surplus, ainsi que des coupes budgétaires sur certains programmes et infrastructures.
Quand la crise financière a frappé, sept femmes pour un homme ont perdu leur emploi. Le gouvernement coréen, de façon perverse, lança alors une campagne, « Excitez votre mari ! » encourageant les femmes à soutenir leurs partenaires masculins déprimés tout en faisant la cuisine, la lessive et en s’occupant de tout le monde. Pratiquement 15 ans plus tard, pour les travailleurs sud-coréens, particulièrement les femmes, le scénario n’est pas joyeux. De tous les pays de l’OCDE, ce sont les Coréens qui travaillent le plus : 90% et 77% des femmes travaillent bien au-delà de 40 heures par semaine. Selon l’économiste Martin Hart-Landsberg, en 2000, 40% des travailleuses coréennes occupaient des emplois intérimaires.
La politique du FMI a aussi violé la terre en exigeant la privatisation des ressources naturelles dont la plupart des peuples dépendent pour leur survie, c’est-à-dire l’eau, la terre, les forêts et les ressources halieutiques. Les PAS ont aussi obligé les pays en développement à arrêter la production agricole destinée à la consommation domestique et à se concentrer sur les cultures de rente, comme les fleurs coupées et le café, destinées au marché mondial fluctuant. Cette politique a détruit les moyens d’existence des petits paysans dont la majorité sont des femmes. Les PAS du FMI ont obligé les pays pauvres à abandonner des politiques qui protégeaient leurs agriculteurs et leur production agricole, comme l’explique Henk Hobbelink, de GRAIN, une organisation internationale qui promeut l’agriculture durable et la biodiversité. « En conséquence, de nombreux pays sont devenus complètement dépendants des importations alimentaires, car les agriculteurs locaux ne pouvaient pas rivaliser avec les producteurs subventionnés du Nord. C’est là l’un des nombreux facteurs de la crise alimentaire actuelle dont le FMI est directement responsable. »
En République démocratique du Congo (RDC), les prêts du FMI ont pavé le chemin de la privatisation des mines du pays au profit de compagnies multinationales et des élites locales. Elle a forcé des milliers de Congolais à se déplacer dans un contexte où les femmes et les filles subissent à des niveaux inimaginables, l’esclavage sexuel et le viol dans les provinces orientales. Selon Gender Action, la Banque mondiale et le FMI ont accordé des prêts à la RDC pour restructurer le secteur minier. Cela se traduit par le licenciement de milliers de mineurs, dont des femmes et des filles, qui dépendent des activités minières pour leur survie. En outre, avec l’extension des mines et les privatisations, les femmes et les filles, responsable de l’approvisionnement en eau et en bois, doivent marcher toujours plus loin, ce qui les rend plus vulnérables aux crimes violents. (…)
(Traduction Christine Abdelkrim-Delanne)
*Christine Ahn est journaliste au Foreign Policy In Focus et chercheur-analyste du Global Fund for Women. Kavita N. Ramdas est collaboratrice du Foreign Policy In Focus, consultante à l’université de Stanford et ex-présidente du Global Fund for Women.
(Nous avons traduit pour nos lecteurs, les longs extraits de ce texte concernant exclusivement l’analyse de la politique du FMI. Par respect pour le droit à la présomption d’innocence, nous avons exclu les extraits se rapportant directement à l’affaire Strauss-Kahn.)