Les deux animateurs du bimensuel évoquent des risques de censure. Le directeur de publication met en cause des « dysfonctionnements financiers ».
De graves tensions secouent depuis quelques semaines la revue Défense, organe bimensuel de l'Union-IHEDN pour la défense et la sécurité. Cette association regroupe tous les auditeurs des sessions nationales, régionales et internationales de l'Institut des hautes études de la défense nationale. La crise s'est ouverte début mars, après la publication du numéro 149 de la revue. Les pages 52 et 53 accueillent une interview du général Vincent Desportes, qui n'est plus en activité et appartient désormais au "cadre de réserve". Dans son entretien, publié dans un espace éditorial particulier intitulé Débats et opinions, le général exprime un point de vue assez classique chez les cadres militaires français. Il souligne que les principes stratégiques américains se sont imposés en France et que "beaucoup de choix militaires ne nous appartiennent plus". "Nous sommes aujourd'hui dans une situation de baisse préoccupante de nos capacités opérationnelles", ajoute-t-il.
Le Canard enchaînéconnaît-il beaucoup de généraux affirmant que les capacités opérationnelles françaises sont dans une "situation d'amélioration satisfaisante" ? Toujours est-il qu'il écrit dans son édition du 2 mars que Vincent Desportes "vient à nouveau de mettre en fureur l'état-major des armées et l'Élysée". Cette étrange affirmation reçoit une traduction immédiate. Le jour même de la parution de l'hebdomadaire satirique, les deux animateurs bénévoles de la revue Défense Richard Labévière et Yannick de Prémorel reçoivent un courrier furibard de Jean-Raphaël Notton, président de l'Union-IHEDN et directeur de publication de la revue. Le ton n'appelle pas de réplique : "Je vous ai demandé à plusieurs reprises de me transmettre le projet de revue avant parution. Vous l'avez refusé. Je vous prie de noter que, désormais, quel qu'en soit le support, aucune publication relevant de la revue Défense ne se fera sans mon accord formel préalable, conformément à mes responsabilités de directeur de la publication." Dans l'heure, Labévière et Prémorel avisent Notton qu'ils "quittent leurs fonctions immédiatement", ajoutant à l'attention de la rédaction : "[Notton] savait depuis longtemps que nous n'accepterions jamais de relecture par lui avant publication, forme de censure que nous refusons."
Censure ou dysfonctionnements ?
Le 14 mars, Jean-Raphaël Notton reçoit une nouvelle lettre. C'est une démission collective signée par la majorité des membres du comité de rédaction bénévole de la revue, composé de journalistes professionnels, d'universitaires et d'officiers (François d'Alançon, Joël-François Dumont, Jean-Louis Dufour, Jean-Pierre Ferey, Stéphane Kotovtchikhine, Pascal Le Pautremat, Philippe Leymarie, Henri Pinard-Legry, Jean-Pierre Quittard, Linda Thisse). Employant le tutoiement de règle entre anciens de l'IHEDN, les rédacteurs précisent à Notton : "En imposant au directeur délégué et au rédacteur en chef ton accord formel préalable à toute publication dans la revue, tu mets directement en cause son autonomie éditoriale. Cette exigence inhabituelle dans le métier de la presse et de l'édition nous semble traduire une volonté de contrôle et de censure, incompatible avec la liberté indispensable à l'exercice d'une activité éditoriale de qualité." Résultat : la revue Défense, dont le numéro 150 aurait dû paraître début mars, est bloquée et en attente d'une nouvelle équipe.
Jean-Raphaël Notton dément, quant à lui, tout lien entre l'interview de Vincent Desportes et le départ de l'équipe de rédaction de la revue : "En aucun cas, notre différend ne concerne les aspects rédactionnels et éditoriaux. Ce que j'ai dit, c'est que notre association exige un fonctionnement juridique et financier rigoureux. Or des engagements concernant la fabrication et des partenariats ont été pris sans avoir été soumis au conseil d'administration. Des dépenses ont été engagées sans autorisation, et certaines recettes de la revue n'ont pas été encaissées par l'association, mais par une société prestataire. Ces dysfonctionnements financiers ne sont pas acceptables, et je m'apprête à saisir un avocat."
Selon Jean-Raphaël Notton, plusieurs démissionnaires seraient revenus sur leur décision, il aurait "plusieurs dizaines de candidatures spontanées" pour rejoindre le comité de rédaction, et le nouveau numéro de la revue serait "en cours de bouclage". Affaire à suivre…