Humanitaire Arrivé il y a un an à la tête de Médecins du monde, Olivier Bernard réaffirme l’indépendance de son organisation et refuse d’être le « service après-vente d’un monde libéralisé ».
Bras de fer avec le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale en France sur le soutien aux sans-papiers en détresse, refus de toute confusion entre militaire et humanitaire sur les terrains chauds des conflits armés, réserve sur le « droit d’ingérence », mais aussi coopération et dialogue avec les autorités… Médecins du monde (MDM) revendique une indépendance de tous les instants, partout où ses équipes sont amenées à intervenir.
C’est sous cette bannière qu’Olivier Bernard, comme ses prédécesseurs, veut placer l’action de l’organisation, un an après son élection à la tête du MDM. Dans son bureau de rue Marcadet, à Paris, il le souligne : « Nous n’avons de cesse de l’expliquer à nos interlocuteurs et à nos partenaires : nous intervenons pour porter secours et témoigner », en refusant tout amalgame entre l’humanitaire et l’action militaire, « aussi légitime cette dernière soit-elle ». Celle-ci se déploie en fonction d’un agenda qui lui est propre, différent de celui des organisations humanitaires. « Sur le terrain, nous refusons systématiquement les dons de gouvernements impliqués dans un conflit. » À la pression politique, s’ajoute la pression du marché, les deux devant être traitées avec la même vigilance. « Notre position est claire : nous sommes pour un système de protection sociale ouvert à tous. Nous ne sommes pas le service après-vente d’un monde libéralisé. »
« Nous ne mangeons pas de ce pain-là »
« Le droit d’ingérence est un concept daté. Ce qui était valable avant la chute du mur de Berlin ne l’est plus forcément de nos jours. Ce droit doit être considéré avec plus de précaution. Il y a nécessité de répondre aux besoins, mais il est exclu de faire de ce droit un “droit universel “Il faut en discuter au cas par cas et rester extrêmement mesuré et modéré à son propos. On est plus sur un devoir de solidarité que sur un droit d’ingérence. » Comme son prédécesseur Pierre Micheletti, Olivier Bernard veut marquer ses distances avec Bernard Kouchner, fondateur de Médecins sans frontières (MSF) et de MDM passé au Quai d’Orsay, mais dont les médias continuent à entretenir l’image du french doctor portant un sac de riz et le message controversé en faveur du droit d’ingérence au nom de l’action humanitaire.
« Les choses doivent être très claires. Bernard Kouchner n’est plus membre de MDM. Il ne pèse plus en rien sur nos décisions », martèle Olivier Bernard. La preuve ? MDM a retourné il y a un peu plus d’un an une contribution du Quai d’Orsay en faveur de Gaza, à la suite d’une déclaration ambiguë du ministre des Affaires étrangères laissant entendre que son département était informé de la situation sur le terrain par des organisations humanitaires françaises. La réaction de MDM comportait un message implicite : « Nous ne mangeons pas de ce pain-là. » Même refus d’une proposition américaine au Pakistan de contractualiser l’action humanitaire avec des ONG. « En France, nous sommes dans un bras de fer avec le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale au sujet du soutien humanitaire des sans-papiers. » Membre du Collectif des délinquants solidaires, MDM a pris part à la dénonciation d’un projet de loi gouvernemental incriminant le soutien aux sans-papiers en jouant de l’amalgame entre réseaux d’immigration clandestine et collectifs de la société civile d’aide aux pauvres hères échoués en France.
Olivier Bernard a lui-même fait son baptême du feu à la tête de l’organisation en se confrontant devant la justice avec le département de la Seine-Saint-Denis (département le plus pauvre de la banlieue parisienne) qui avait porté plainte contre MDM pour « occupation illégale » d’un terrain de l’État. Le terrain avait servi à l’implantation de tentes pour abriter des roms, les gens du voyage originaires d’Europe de l’Est. « Les problématiques françaises renvoient toujours à des questions relatives à l’émigration et à l’exclusion. » La justice, qui devait trancher entre droit de propriété et droits fondamentaux, a débouté l’État. « C’est un événement important, d’une grande portée symbolique », se félicite Olivier Bernard.
Engagé dans plus de soixante pays sur une centaine de théâtres, MDM revendique une « indépendance financière totale ». Selon Olivier Bernard, les fonds de l’organisation sont à 55-60 % d’origine privée, et à
35-45 % d’origine publique, dont la moitié provient de fonds européens. Un budget de 65 millions d’euros en 2010, qui se répartit en gros comme suit : sur 10 euros recueillis, 7 à 7,50 euros sont dépensés sur le terrain, 2 euros sont utilisés pour mobiliser des donateurs et 1 euro est consacré au fonctionnement de l’organisation. Le réseau de collecte s’appuie sur quelque 30 000 petits donateurs en France, ce qui donne à MDM une base populaire non négligeable.
L’Afrique vient en tête de la répartition géographique par pays, suivie de l’Asie, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient et de l’Europe, où les populations vulnérables sont en nette croissance. Haïti, à cause du récent tremblement de terre de janvier, et le Pakistan, en raison de la guerre d’Afghanistan, sont au premier plan des interventions d’urgence. Elles le resteront encore en 2010. L’an dernier, c’était Gaza à la suite de l’opération « plomb durci » d’Israël dans cette prison à ciel ouvert, placée sous embargo par les autorités israéliennes. « On est constamment en situation d’urgence, mais on arrive rapidement aux situations structurelles, avec des problèmes de fond à résoudre : accès aux soins des populations pauvres, prise en charge nutritionnelle des enfants, protection des femmes, renforcement des systèmes de santé défaillants, formation, etc. »
Suivi médical assuré au Niger
De retour d’Afrique, le président de MDM a rencontré à Bamako, au Mali, des expulsés de France dans un état physique et psychique déplorable. Ils ont fait parfois des centaines de kilomètres dans le désert pour gagner l’Europe dans des conditions périlleuses avant d’être refoulés. La chaîne de sécurisation mise en place ces dernières années au Niger fonctionne bien, du village au centre de santé. Les femmes enceintes sont ainsi assurées d’un suivi médical pendant leur grossesse et de pouvoir accoucher dans de bonnes conditions d’hygiène le moment venu.
« Au Niger, nous sommes entre 25 % et 30 % d’accouchements dans les centres de santé et nous avons pu multiplier par trois le nombre des consultations prénatales », se flatte Olivier Bernard. Son seul regret est d’être contraint à interrompre les activités des équipes sur place pour des raisons de sécurité. Comme lors des combats dans les zones de guerre au Darfour, au Soudan.