Histoire Il y a vingt ans en Roumanie, un soulèvement populaire renversait celui que ses thuriféraires qualifiaient de « génie des Carpates ». Le livre passionnant des historiens Catherine Durandin et Guy Hoedts démystifie cet épisode.
«Il faut que tout change pour que tout reste pareil », affirme l’un des héros de Guiseppe Tomasi de Lampedusa dans son roman Le Guépard. Cet aristocrate prend parti pour l’unification de l’Italie en 1860 et trahit son roi afin de conserver ses privilèges de classe, en dépit des bouleversements. C’est ce même sentiment que dégage le récit haletant de La Mort des Ceausescu, la vérité sur un coup d’État communiste, où Catherine Durandin raconte, avec Guy Hoedts, la chute du régime de Nicola Ceausescu.
Mécanique de la chute
Rédigé à la manière d’une enquête, ce livre introduit au fur et à mesure les protagonistes essentiels de cette histoire et définit leur participation à la chute du dernier régime autoritaire du pacte de Varsovie, en décembre 1989. Ce drame s’enclenche à partir de la contestation du pouvoir dans la rue et s’achève avec l’exécution du vieux dictateur et de son épouse Elena, tués par les militaires censés les protéger.
À cette occasion, émergent des interrogations sur les véritables enjeux, les motivations et les intérêts des uns et des autres. Nos auteurs les mettent en relief, cherchent à y répondre sans imposer leurs opinions. Ils puisent dans les mémoires des principaux acteurs, en interrogent plusieurs sur place et recoupent de nombreuses sources. Le lecteur peut s’orienter grâce à un index, deux cartes et une bibliographie. L’approche est prudente, mais dégage de nouvelles perspectives.
On reste saisi, comme dans un roman policier. Quelles ont été les causes intérieures et internationales ayant conduit à l’effondrement du communisme roumain ? L’insupportable austérité d’une vie sans horizon a été le levier populaire employé par les communistes réformateurs pour en finir avec le néostalinisme. Ils se sont surtout appuyés sur l’armée et sur les liens que la Sécurité roumaine (Securitate) entretenait avec les services secrets du bloc soviétique (URSS et Hongrie en particulier). Ils étaient devenus les propagateurs de la libéralisation depuis la Perestroïka. Dans l’ombre, les États-Unis comptaient les coups et préparaient déjà la relève avec des hommes du système qu’ils sélectionnaient et préparaient.
L’implication dans le complot des cadres communistes opposés à Ceausescu et l’installation du nouveau régime, autour d’Ion Illiescu et Petre Roman, a remis en selle une bonne partie de l’ancienne nomenklatura. Aujourd’hui encore, elle contrôle de nombreux rouages de la jeune démocratie roumaine. Cette thèse, séduisante, est bien argumentée par les auteurs.
Ce n’est que l’un des nombreux volets de ce livre qui a le mérite de fournir une excellente synthèse sur cette prise de pouvoir. Ce soulèvement, en pleines fêtes de Noël, a permis de tester la première désinformation à grande échelle. On lança pour l’occasion le mythe de milliers de morts et d’inqualifiables exactions, forgés sur mesure, pour mieux enfoncer le vieillard irréductible. Depuis lors, la fable des armes de destruction massive en Irak, et bien d’autres, nous ont menés encore plus loin dans le mensonge.
La Mort des Ceausescu,
la vérité sur un coup d’État communiste, Catherine Durandin, avec Guy Hoedts, Bourin Éditeur, 2009, 217 p., 20 euros.