Après la décision de l’administration américaine, le 3 avril dernier, de repousser la publication de son rapport semestriel sur les taux de change mondiaux initialement prévue le 15 avril, la perspective d’une guerre des monnaies semble s’éloigner.
L’administration américaine veut laisser du temps aux négociations avec le gouvernement chinois sur la valeur du yuan, avant de prendre des mesures de rétorsion. Par cette décision, l’administration Obama a évité de mettre le feu aux poudres et de déclarer la guerre à la Chine. En effet, si ce rapport avait abouti à la conclusion que la Chine « manipule » sa monnaie pour accroître sa compétitivité, il aurait autorisé l’administration à appliquer la riposte commerciale sur les exportations chinoises aux États-Unis. Cette décision aurait pu être le début d’une escalade qui aurait certainement eu des effets néfastes sur une économie globale en convalescence, après le tsunami financier des derniers mois.
Il faut dire que la décision américaine faisait suite à quelques signaux d’ouverture de la part du gouvernement chinois. Le Comité de politique monétaire de la Banque centrale de Chine a nommé trois nouveaux membres issus du monde universitaire le 30 mars dernier. À peine désignés, deux d’entre eux se sont déclarés en faveur d’un relèvement du taux de change du yuan.
À l’origine de ce conflit, l’adoption par la Chine, en 2005, d’un régime de change avec une certaine flexibilité. Mais avec l’afflux de capitaux extérieurs et d’investisseurs étrangers venus s’installer dans « l’atelier du monde », ce régime a provoqué une forte réévaluation du yuan et, par conséquent, une baisse de la compétitivité des exportations chinoises. Du coup, les autorités chinoises ont changé leur fusil d’épaule et opté pour des taux de change fixes à partir de juillet 2008, soit quelques mois avant la faillite de la Lehman Brothers et l’éclatement de la crise financière. À partir de cette date, le dollar a été fixé autour de 6,83 yuans, et cette parité n’a pas changé.
Quelques mois après, la crise a mis à l’ordre du jour les grands déséquilibres macroéconomiques et le rôle qu’ils ont joué dans la dérive financière. La lutte contre ces déséquilibres est devenue un impératif. Parmi eux, les excédents des pays émergents et le déficit américain ont attiré l’attention des observateurs, des économistes mais aussi des hommes politiques. Ainsi, dès le début 2009, certains responsables, et notamment le secrétaire au Trésor américain Timothy Geitner, ont commencé à critiquer le bas taux de change de la Chine et appelé à sa réévaluation.
Barack Obama est monté au créneau et a affirmé que la politique chinoise de taux de change était responsable du déficit commercial des États-Unis. La riposte chinoise ne s’est pas fait attendre. Pékin a repoussé les accusations américaines et a surtout dénoncé « les accusations et pressions infondées qui ne vont pas aider à résoudre la question ». La Chine veut garder la maîtrise de sa politique de change. Et le premier ministre chinois de rappeler, lors de toutes ses interventions publiques, que la stabilité des monnaies, dont le yuan, est un élément essentiel pour assurer une reprise durable de l’économie mondiale.
Différentes études publiées ces dernières semaines aux États-Unis apportent de l’eau au moulin des va-t-en-guerre et de ceux qui poussent l’administration démocrate à prendre des mesures de rétorsion. Une étude publiée le 23 mars 2009 par l’Economic Policy Institue et l’Alliance for American Manufacturing, qui regroupe quelques grands exportateurs américains, dont le US Steel, indique que la sous-évaluation du yuan a été à l’origine d’une perte de 2,4 millions d’emplois aux États-Unis sur sept ans, dont 1,6 million dans l’industrie manufacturière. Par ailleurs, le déficit commercial américain avec la Chine, même s’il a diminué en passant de 268 milliards de dollars en 2008 à 227 milliards en 2009, représente toujours 40 % du déficit commercial total étasunien.
Autre question controversée chez les économistes : l’impact du surplus chinois sur le déclenchement de la crise. Les uns mettent l’accent sur le rôle des innovations financières dans la dérive des marchés, les autres soulignent qu’elle n’aurait pas été possible sans les réserves et les surplus des balances en quête de placements. Au-delà de ces débats et controverses, le temps est aujourd’hui au dialogue et à la concertation ouvrant la perspective de la coopération, dans un cadre multilatéral afin d’établir de nouvelles règles monétaires et sortir du chaos monétaire qui règne depuis l’éclatement du système de Bretton Woods en 1971.