Le sommet France-Afrique, réduit depuis sa création à une grand-messe, se renouvelle à l’occasion de son édition 2010 à Nice et copie la Chine : un peu plus d’égards envers les chefs d’État et de gouvernement africains, un volet économique. Pâle copie en vérité… En novembre 2006 à Beijing, le tapis rouge était déroulé devant les dirigeants africains. L’actualité intérieure chinoise était reléguée au second rang, loin derrière le sommet Chine-Afrique retransmis de bout en bout à la télé. L’Afrique était à l’honneur : sa faune, sa flore, etc., étaient représentés partout. Des portraits géants de dirigeants africains trônaient, le bon peuple chinois avait été entraîné pour marquer son attachement aux amis africains. Et les chefs d’État et de gouvernement africains se sentaient libres comme poissons dans l’eau, se rendaient en visite dans les régions chinoises de leur choix. Les membres des différentes délégations pouvaient faire leurs courses comme ils l’entendaient, sans craindre de voir la liste de leurs achats étalée le lendemain dans un organe de presse. Surtout, à la fin du sommet, il y eut des décisions concrètes sur les nouveaux volumes d’aide ou d’échanges commerciaux pour les années futures, des engagements précis et chiffrés.
Un sommet Chine-Afrique, c’est aussi des invitations adressées à tous les dirigeants des cinquante-trois États du continent. Même les pays n’entretenant pas de relations avec la Chine reçoivent leurs cartons et peuvent assister au sommet comme observateurs.
Voyons à présent ce qu’est un France-Afrique, à Nice, sous Sarkozy : des invitations sélectives sur la base de critères à géométrie variable, des discours moralisateurs de l’ancienne puissance coloniale, des résolutions économiques vagues, des promesses suffisamment évasives pour éviter d’être un jour respectées, des séances photos et des dîners, des déclarations intempestives, souvent contradictoires, de membres du gouvernement français, des interviews d’experts autoproclamés des affaires africaines ayant vaguement entendu parler de l’Afrique. Le sommet France-Afrique est donc tout sauf un sommet entre amis, encore moins entre partenaires qui se respectent. Pour mieux embrouiller les honnêtes gens, Sarkozy dit une chose, Kouchner en dit une autre. Tous les sourires ou presque sont faux, les rires calculés les embrassades de pure convenance.
Tandis que le sommet Chine-Afrique est conçu et présenté, ne serait-ce que formellement, comme une rencontre horizontale entre amis et partenaires gagnants-gagnants, le sommet France-Afrique se présente toujours, malgré l’emballage, comme un chef-d’œuvre de verticalité. C’est la France qui décide quel pays inviter, et à l’intérieur de celui-ci lequel des responsables peut déjeuner à la même table que Sarkozy. Alors que le sommet devait se dérouler en Égypte et que, à ce titre, le pays des Pharaons mettait un point d’honneur à délivrer des invitations à tous, y compris à son voisin soudanais Omar al-Bachir, devenu plus indésirable que le Zimbabwéen Mugabe, Sarkozy a obtenu de Moubarak que la rencontre se déroule en France. Il peut ainsi choisir ses invités, tordant le coup au principe de l’alternance institué dans l’organisation de ces réunions. Quand la loi n’arrange pas le business français, la France la change.
Le plus dramatique dans l’affaire, c’est sans doute l’attitude des dirigeants africains. Ces derniers ont, dans leur grande majorité, approuvé tacitement la « délocalisation » du sommet égyptien, et certains se rendront à Nice sans se soucier de leurs pairs ostracisés. L’Union africaine soutient pourtant Omar al-Bachir et a officiellement rejeté le mandat d’arrêt émis contre lui. Ainsi va l’Afrique : désunie face à la France, désunie face à l’« ami » chinois.
Comment décrire le comportement des dirigeants africains, surtout ceux de l’espace francophone, qui courent toujours vers la France, au moment où la France court vers la Chine ? C’est inscrit dans l’Histoire : quelle que soit encore la volonté de la France de maintenir une illusion de puissance en organisant des sommets France-Afrique, elle finira par se heurter aux réalités du monde où la Chine deviendra l’interlocuteur principal et incontournable. France-Afrique, c’est le passé. Le présent et l’avenir, c’est Chine-Afrique. Les articles au vitriol de la presse du Nord contre les Africains qui vont se faire dévorer par l’ogre chinois n’y changeront rien, pas plus que les manœuvres déloyales des entreprises occidentales contre les investisseurs chinois.
Alors, Shanghai ou Nice ? L’original ou la copie ? Hors d’Afrique, la question ne se pose pas. Au lieu d’aller perdre du temps sur la côte d’Azur, les dirigeants africains feraient mieux d’aller visiter l’exposition universelle de Shanghai.