Cette année, quatorze pays africains commémorent le cinquantenaire de leur indépendance. Parmi eux, d’anciennes colonies françaises dont des contingents ont même défilé, suprême offense à la mémoire des combattants de la liberté tombés sous les balles des occupants, sur les Champs-Élysées devant le président français et des dirigeants africains heureux de parader à Paris un 14-Juillet. « Lorsque la honte t’a quitté, enseigne une maxime, alors fais ce que tu veux. »
Des chefs d’État de pays où des patriotes sont morts pour avoir demandé leur indépendance et leur liberté se sont affranchis de tout orgueil, allant en France faire ce qu’ils voulaient. Honnis soient ceux par qui ce malheur est arrivé !
Pour un gros malheur, c’en fut un, et à double titre. Non seulement les martyrs de nos indépendances ont été humiliés, mais pis, il se trouve que pour nombre d’anciens colonisateurs, les indépendances africaines, dont on parle tant, n’en sont point. Beaucoup continuent à se comporter, sur le sol africain, comme si le temps colonial n’était pas encore dépassé. C’est le cas de ce lieutenant-colonel français Romuald Létondot, envoyé à Lomé, au Togo, comme formateur dans l’armée togolaise, qui s’est illustré par des actes de mépris et de menaces violentes envers un journaliste togolais.
« Tu sais qui je suis », enrage le soldat français à l’encontre du journaliste Didier Ledoux qui venait de le surprendre sur les lieux d’une manifestation de l’opposition réprimée par l’armée. Alors qu’il estimait que notre confrère Ledoux devait immédiatement obéir à ses injonctions et lui remettre l’appareil photo ayant immortalisé sa présence suspecte, au besoin en lui présentant des excuses, l’officier français était devenu tout rouge de colère à la vue de ce « petit » Africain osant lui résister. Et le gradé d’en appeler à ses attributions pour effrayer encore le journaliste : « Je suis le conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre. Est-ce que tu veux que j’appelle le RCGP [Régiment commando de la garde présidentielle] pour foutre un peu d’ordre là-dedans ? » Dans un Togo où ce régiment ne jouit pas d’une réputation de défenseur des droits de l’homme et de l’intégrité physique de ceux qui se mettent en travers de son chemin, l’allusion de l’officier français était claire.
L’histoire de Létondot, il y en a des milliers en Afrique, surtout subsaharienne. D’habitude, tout se passe selon les désirs du soldat ou de tout autre citoyen de l’ancienne puissance coloniale en « mission » ou en villégiature dans l’ex-colonie. Les soldats du pays prétendument indépendant s’emparent de l’impertinent, le brutalisent devant l’officier « blanc », puis vont le jeter dans un sordide cachot pour le punir, avant de revenir vers le « maître » pour le rassurer que le trouble-fête ne nuira plus. L’officier récompense alors ses valeureux protecteurs qui le quittent en multipliant génuflexions et autres signes de servilité.
À Lomé, les choses ne se sont pas passées comme d’habitude. Au grand dam de l’officier français, Ledoux n’a pas répété ce qu’il est coutume pour d’autres Africains malmenés dans leurs propres pays de faire et a résisté à l’arrogant. Pour lui permettre d’échapper à la justice togolaise devant laquelle l’intrépide Ledoux voulait le traîner, la France a rapidement rappelé son soldat, après avoir orchestré une piteuse cérémonie d’excuses de l’officier devant caméras, qui s’est empressé par la suite de se présenter devant les journaux français comme une « victime ». En un rien de temps, l’histoire a été changée, et le bourreau s’est transformé en agneau. Pour ne pas perdre la face dans cette histoire honteuse, le ministère français de la Défense a prétendu que Létondot avait, par son comportement, porté atteinte au renom de l’armée française, une armée au-dessus de tout soupçon.
De quel renom s’agit-il ? Les exactions de l’armée coloniale française en Afrique sont connues : les assassinats politiques, les crimes de guerre, les viols collectifs et même des contributions à des actions que l’on nommerait aujourd’hui génocide, si le tribunal international qui siège à La Haye avait gardé quelque sens du devoir et de l’honneur.
Plus près de nous, en mai 2005, des soldats et officiers français avaient condamné à mort et exécuté sans état d’âme un jeune Ivoirien avec une sauvagerie digne des coupeurs de mains de la rébellion sierra-léonaise. Alors que l’Ivoirien Firmin Mahé était blessé, l’armée française a ajouté une palme à son « renom » en étouffant le prisonnier avec un sac en plastique jusqu’à ce que mort s’ensuive. Toujours en Côte d’Ivoire, des soldats français ont volé de l’argent provenant d’une banque éventrée par des rebelles. Plus tard, ils ont tiré sur des manifestants civils, à balles réelles, devant l’hôtel Ivoire d’Abidjan.
Des sanctions envers les fautifs ? Oui, il y en a eu, comme celle-ci : l’officier agresseur de journaliste a passé dix jours sans possibilité d’aller où il voulait quand il voulait. Dix jours de repos pour un militaire ayant souillé l’honneur (ou ce qui en reste) de l’armée française à l’étranger ?