« Contrôlez le pétrole et vous contrôlerez les nations, contrôlez la nourriture et vous contrôlerez la population. »
« Contrôlez le pétrole et vous contrôlerez les nations, contrôlez la nourriture et vous contrôlerez la population. » Henry Kissinger
Ces mots de Kissinger cités par le professeur Michel Chossudovsky résument mieux que mille discours l’état des lieux du monde. En effet, cette devise est mise en oeuvre d’une façon magistrale. En effet, le pétrole est sous contrôle et on dit souvent suivez les routes du pétrole pour voir où sont implantées les bases américaines. De plus, à travers la nourriture, on peut tenir en apnée des peuples entiers et les faire basculer, à volonté, dans la famine par bioéthanol interposé. « Qu’en est-il de la récurrence des famines dans l’histoire ? La pénurie alimentaire se fit sentir dès le printemps. En chaque pays le prix du blé enfla : en France, l’hectolitre qui valait 17,15 francs monta à 39,75 francs et même à 43 francs à la fin de l’année… La crise des subsistances se traduisit aussitôt par des désordres populaires… » L’historien Charles Pouthas décrivait la situation agricole européenne entre 1847 et 1848. Parti d’Italie, le vent de révolte gagnait la France puis Vienne, tout l’Empire austro-hongrois et bientôt les Etats allemands et même la Suisse. Phillippe Chalmin fait l’analogie avec le Printemps arabe. En Tunisie, en Egypte, ils vivent la même exaltation. Une situation très difficile, le prix du pain est d’autant plus douloureusement ressenti que le travail manque : plus de la moitié des ouvriers parisiens sont au chômage. (1)
Pour l’histoire, l’Algérie connut aussi plusieurs famines, celle de 1868 fut particulièrement atroce, la population algérienne, d’environ 3 millions à la veille de 1830, était tombée à 2,2 millions en 1872, du fait des morts de la conquête que Jacques Frémeaux a évalué à environ 400.000, et des victimes de l’épouvantable famine de 1867-1868 qui fut peut-être bien à elle seule aussi meurtrière. Se produisit ensuite ce que les Québécois appellent une « revanche des berceaux ». (2)
Les causes des famines
Les émeutes de la faim se rappellent d’une façon récurrente à notre bon souvenir les pays du Sud dépendant pour leur survie d’un Nord opulent qui, à bien des égards, est responsable de ces malheurs. Certes, le Nord jette des miettes sous forme d’APD qui, malheureusement, demeure sans lendemain. Si on ajoute à cela l’hypocrisie des promesses du Millénaire (réduire de moitié la faim d’ici 2015) , nous avons un tableau complet de la mise en scène des pays industrialisés qui laissent en 2011 sur le bord de la route un milliard de personnes menacées par la faim. Pour éradiquer ce fléau, il suffirait de seulement 30 milliards de dollars par an. En comparaison, le budget militaire de base du Pentagone est de 533,7 milliards de dollars pour l’exercice 2010. Washington prévoit de vendre pour 46,1 milliards d’équipements et de services militaires soit près de 50% de plus qu’en 2010. Par ailleurs, les institutions financières américaines ont distribué, pour l’année 2010, 144 milliards de dollars en seuls bonus, primes et stock-options à leurs dirigeants.
Parlant de l’instabilité des prix, devenue structurelle, Philippe Chalmin souligne le passage du stable à l’instable avec la fin des prix producteurs pour les métaux et des marchés agricoles organisés. La volatilité de ces marchés a, une fois de plus participé à la révolte qui a balayé l’autre rive de la Méditerranée. La « mondialisation » s’est de même étendue à l’ensemble de la planète. Mais la conscience du bouleversement n’est pas totale, estime Philippe Chalmin. « Le Printemps des peuples et malédiction des matières premières », souligne le rapport avec la vague révolutionnaire qui a emporté l’Europe en 1848. S’il ne s’agit pas en 2011 d’émeutes de la faim en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la vie chère a fortement contribué à la naissance de ces mouvements. Et, encore une fois, ces mouvements ont eu lieu dans des pays qui se sont révélés incapables de gérer leurs richesses naturelles. (…) La situation est inquiétante pour les produits agricoles, avec des stocks de clôture en baisse, particulièrement pour le maïs. Des accidents climatiques majeurs auraient des conséquences catastrophiques, met-il en garde. (3)
Cette flambée des prix des matières premières en général et des produits alimentaires a connu une accélération ces dernières années. 2010 aura été l’année de toutes les hausses. Faiblesse du dollar, croissance chinoise, spéculation, raréfaction de l’offre, sont autant de facteurs qui tirent vers le haut le prix des matières premières. La part des spéculateurs sur les marchés alimentaires explique en partie la hausse continue des prix depuis l’été 2010. Les produits alimentaires sont devenus des actifs financiers comme les autres.
Difficile également de ne pas souligner le rôle des agrocarburants, qui ont détourné plus du tiers de la production de maïs des Etats-Unis, l’année dernière. Les Américains ont subventionné, en 2009, la transformation de 144 millions de tonnes de maïs et de centaines de millions de tonnes de blé en biodiesel et bioéthanol. Les terres qui y sont donc, consacrées, sont autant de terres disponibles en moins pour le soja ou le blé, ce qui explique la hausse corrélative des cours mondiaux, directement liés aux prix américains. De ce fait, la part des spéculateurs par rapport aux acteurs commerciaux (c’est-à-dire qui échangent réellement des biens agricoles) a explosé. Les produits alimentaires deviennent ainsi des actifs financiers comme les autres, dans une stratégie de rentabilité maximale des portefeuilles des investisseurs. (4)
Pour le professeur Michel Chossudovsky directeur du Centre d’analyse Mondialisation.ca, cette « mondialisation de la pauvreté, » qui a annulé bon nombre des progrès de la décolonisation d’après-guerre, a commencé dans le tiers-monde avec la crise de la dette du début des années 1980 et l’imposition des réformes économiques meurtrières du Fonds monétaire international (FMI). Avec de grands pans de la population mondiale déjà bien en dessous du seuil de pauvreté, la hausse des prix des denrées alimentaires de base, qui se produit sur une courte période, est dévastatrice. Des millions de personnes dans le monde sont dans l’incapacité d’acheter de la nourriture pour leur survie. Ces augmentations contribuent d’une manière très réelle à « éliminer les pauvres » à travers « la mort par la famine. » (…) L’escalade des prix des produits alimentaires est en grande partie le résultat d’une manipulation du marché. Elle est en grande partie attribuable à la spéculation boursière sur les marchés des matières premières. (…) Grâce à la manipulation concertée, les opérateurs institutionnels et les institutions financières font augmenter les prix. Ils placent alors leurs paris sur la hausse du prix d’un produit en particulier. La spéculation génère la volatilité du marché. À son tour, l’instabilité qui en résulte encourage la poursuite de l’activité spéculative. (…) Les famines à l’ère de la mondialisation sont le résultat de ces politiques. La famine n’est pas la conséquence d’un manque de nourriture, c’est en fait, tout le contraire : les surplus alimentaires mondiaux sont utilisés pour déstabiliser la production agricole dans les pays en développement. « Pourtant, écrit Michel Chossudovsky, qui dénonce le rôle des multinationales de l’agroalimentaire, l’agriculture mondiale a, pour la première fois de l’histoire, la capacité de satisfaire les besoins alimentaires de toute la planète, mais la nature même du marché mondial de ce système ne permet pas que ça se réalise ». (5)
Même appréciation de Jean Ziegler qui résume en quelques phrases le pourquoi de la désespérance et de l’impuissance des faibles à combattre la faim. Lui aussi cite le dumping, la spéculation, les agrocarburants : Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Près d’un milliard d’êtres humains sont gravement sous-alimentés. Un enfant qui meurt de faim est donc un enfant assassiné. Il cite aussi la dette extérieure. Au 31décembre 2009, celle des 122 pays dits du « tiers-monde », était de 2100 milliards de dollars. La presque totalité de leurs gains à l’exportation est donc absorbée par les intérêts de la dette. (6)
L’alerte de l’ONG Oxfam
Pour nourrir les neuf milliards d’habitants de la planète en 2050, une réforme majeure du système alimentaire mondial s’impose alors que les récoltes de certaines régions sont menacées par le réchauffement climatique, a averti mardi l’organisation humanitaire Oxfam. Si rien n’est fait, le prix de certaines denrées alimentaires comme le maïs aura plus que doublé d’ici 2030, frappant en premier les plus pauvres qui dépensent déjà jusqu’à 80% de leurs revenus pour se nourrir, selon le rapport de l’ONG britannique. « Le système alimentaire ploie sous l’intense pression du changement climatique, de la dégradation écologique, de la croissance démographique, de la hausse des prix de l’énergie, de l’augmentation de la demande de viande et de produits laitiers, de la concurrence pour l’obtention de terres pour produire des biocarburants, de l’industrialisation et de l’urbanisation », selon le document. Selon l’ONG, la réforme du système alimentaire doit passer par davantage d’investissements dans l’agriculture paysanne et familiale, la valorisation des ressources naturelles, un meilleur accès aux marchés pour les petits exploitants, la lutte contre le gaspillage, d’eau notamment, et l’arrêt des subventions à la production de biocarburants dans les pays riches.
Le rapport a également, réclamé l’arrêt de la domination de quelques grandes multinationales sur le marché des matières premières agricoles et des semences. Prenant l’exemple de l’Inde, Oxfam a rappelé que la croissance économique y a plus que doublé entre 1990 et 2005 mais que le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de 65 millions. En effet, les populations pauvres en milieu rural restent exclues du développement économique. En parallèle, l’engouement des Etats-Unis pour le bio-éthanol a conduit à utiliser 15% du maïs mondial pour en faire du carburant, même en période de forte crise alimentaire. Et l’ONG de rappeler que la quantité de céréales nécessaires pour faire le plein d’éthanol d’un véhicule 4×4 peut nourrir une personne pendant un an. (7)
Comment nourrir la planète ?
Le plus sérieusement du monde, on dit que la FAO étudie un scénario se basant sur une alimentation complémentaire d’insecte ! « On dit que les sauterelles frites ont un goût qui se rapproche de la crevette et que la majorité des insectes ont un goût de noisette. Il faut savoir que plus de 95% des millions d’espèces d’insectes qui peuplent la planète sont comestibles et sont consommés quotidiennement en Afrique, en Asie et en Amérique centrale. Pour de nombreux spécialistes, l’élevage d’insectes nécessite beaucoup moins de ressources alimentaires et peut être une alternative intéressante pour les décennies à venir dans la mesure où cela permettrait de subvenir aux besoins alimentaires des dix milliards d’habitants de la planète ». (8)
Les partisans de la réduction de la population
Déjà au début des années 1960, le Rapport Meadows du Club de Rome : « Halte à la croissance » donnait le « La ». Pour les experts, il fallait réduire la population. En 2100, nous risquons d’être non pas 9 mais 10 milliards d’individus dans le monde. C’est en tout cas ce que prévoit un nouveau rapport des Nations unies. « A 9 milliards, se disait-on, il faudra se serrer. Mieux, partager les ressources et les richesses. Mais à 10 milliards ? Un rapport des Nations unies, publié le 3 mai penche plutôt vers une poursuite de l’augmentation. Et prévoit que 10,1 milliard d’individus arpenteront le monde en 2100. (…) Il semble impossible d’éviter la crise écologique globale. Tout au plus, pouvons-nous l’atténuer. C’est en tout cas la tâche à laquelle s’attelle l’association Démographie responsable. Oui, il faut en finir avec l’apologie des familles nombreuses dans les pays du Sud (et du Nord) et cela passe par l’amélioration du niveau de vie et une meilleure éducation… malheureusement ces deux derniers critères sont liés fortement à la consommation d’énergie et à la destruction de l’environnement. Alors, que faire ? La décroissance n’est pas seulement économique, elle doit être aussi démographique. Toujours les grands mots et les grandes utopies…mais la Terre : forêts, cours d’eau, océans… animaux sauvages… ne pourront survivre à une telle quantité d’humains qui ne sont pas prêts à sacrifier leur mode de vie à la survie de la planète et qui veulent tous un grand confort…si les humains ne sont pas capables de limiter leur nombre il est évident que « la nature » s’en chargera d’une façon ou d’une autre. (8)
Même si à l’heure actuelle de nombreuses organisations alimentaires recommandent de consommer de préférence des insectes plutôt que de la viande, à la fois pour des considérations économiques et écologiques, il paraît difficile de changer les mentalités occidentales et de convaincre les Européens de consommer ces nouvelles espèces » (9).
Conclusion
L’astrophysicien bien connu Hubert Reeves voit dans l’anomie actuelle les signes d’une apocalypse. Il écrit « le gaspillage des ressources naturelles, les rejets de gaz carboniques et l’écart grandissant entre riches et pauvres sont en train de causer la perte de l’humanité ». Il s’en remet à une « volonté communautaire » pour que ce scénario catastrophe soit évité. D’après lui, la disparition de la race humaine bien qu’hypothétique, ne peut être écartée à court terme. « On ne touche pas à des milliers d’années, on parle d’une échelle de quelques décennies ». Si nous disparaissions, il s’agirait, depuis l’apparition de la vie sur terre, de la sixième extinction, la première depuis le départ des dinosaures il y a de cela 165 millions d’années. Reeves nous dit que « la seule différence, c’est que, pour la première fois, une espèce disparaîtra par sa faute ». Quand on y pense bien, la science qui devrait être la bouée de sauvetage de l’humanité, et somme toute, au service de notre bien-être, deviendrait-elle le fruit de notre décadence et de notre disparition ? » (10)
Le chauvinisme de la prospérité du Nord, la spéculation atroce, le détournement de la nourriture par bio-nécro-carburant interposés, pour les 4×4 et les changements climatiques de plus en plus récurrents, amènent inexorablement l’humanité au déclin. Cette anomie concerne, en priorité, les millions d’hommes de femmes et d’enfants des Sud épuisés qui seront les variables d’ajustements d’un eugénisme accepté tacitement dans ce XXIe siècle de tous les dangers. Manger pour rester en vie ou conduire d’une façon non indispensable l’humanité aura à choisir…
1. Philippe Chalmin 1848, 2011 : les révoltes de la faim, Le Monde économique 15.02.2011
2. Pierrette et Gilbert Meynier https://badjadja.e-monsite.com/rubrique,gilbert-meynier-4,797063.html
3. Daniel Krajka https://www.usinenouvelle.com/articl… Le 17 mai 2011
4. Chems Eddine Chitour : Les émeutes de la faim. Mondialisation.ca, Le 8 février 2011
5. Michel Chossudovsky : La famine mondiale Global Famine Traduit Dany Quirion Alter Info 4 mai 2008 :
6. Jean Ziegler : « Le massacre de la faim se déroule dans une normalité glacée » L’Humanité des débats. 5 Février 2011
7. Faim dans le monde : catastrophe en 2050 Al Manar. Mercredi 1er Juin 2011
8. https://www.come4news.com/index.php?…;task=view&id=44246&Itemid=999
9.https://www.terraeco.net/10-milliard…,17220.html# 5. 05.2011
10.Mehr Licht. L’humanité va-t-elle disparaître ? Site Oulala 5.11.2003
source : Le Grand Soir