Histoire À mille lieues de la version américaine dominante, le chercheur Piero Gleijeses met de l’image dans son texte pour retracer, dans « The Cuban Drumbeat »*, l’épopée cubaine en Afrique.
Dans un petit livre joliment illustré par l’artiste japonaise Setsuko Ono, son épouse (et sœur de Yoko, qui fut la compagne de John Lennon), le chercheur italo-américain Piero Gleijeses, auteur d’une somme sur la politique étrangère cubaine (1) qui a bouleversé nombre d’idées véhiculées par la grande presse, propose une synthèse de l’épopée cubaine en Afrique, la lutte contre l’expansionnisme et les agressions du pays de l’apartheid. « La plus belle des causes », selon les mots de Castro, pour laquelle l’île rebelle s’est battue. Celle qui a fait le plus « battre le cœur » du leader cubain. Il est ainsi beaucoup question de l’Angola où s’est jouée la bataille qui a ouvert la voie à la libération du sous-continent en 1975, et, en 1988, la fameuse bataille de Cuito Cuanavale qui a marqué le réengagement militaire cubain et la déroute définitive de Pretoria, et accéléré la fin de l’apartheid.
Les mises au point et révélations de Gleijeses qui, au cours de nombreuses années de travail, a eu accès aux archives américaines et cubaines, éclairent utilement ces événements et contredisent la version américaine d’alors qui influence encore aujourd’hui l’historiographie dominante. Ainsi, il n’est pas superflu de rappeler que le premier instructeur cubain est arrivé en Angola en août 1975, soit trois mois avant la date du 11 novembre prévue pour l’indépendance, et au moment où les forces du MPLA avaient, toutes seules, remporté des batailles décisives pour le contrôle du territoire après les tentatives des deux autres « mouvements de libération » angolais de l’écarter de la transition. Une victoire, note l’auteur, qui ne fut pas le fruit d’une plus grande puissance de feu : l’aide de l’Union soviétique était alors insignifiante, tandis que les rivaux du MPLA jouissaient des largesses des États-Unis et de l’Afrique du Sud, comme révélé avec force détails par l’ancien chef de la CIA au Zaïre, John Stockwell.
En août 1975, l’armée de l’Afrique du Sud est positionnée à la frontière avec la Namibie. Elle y prépare en grand secret l’opération militaire destinée à prendre la capitale avant l’indépendance. Débarquées en Angola cinq jours avant cette échéance, les troupes cubaines se déploient rapidement sur le front sud. Le 10 novembre, elles stoppent net l’avancée des forces sud-africaines à 200 km de Luanda. La Havane avait répondu à l’appel pressant lancé en octobre par le MPLA qui avait essuyé le refus d’autres alliés potentiels. La conjoncture était particulièrement délicate pour l’île. Les pays membres de l’Organisation des États américains s’apprêtaient à lever les sanctions décrétées en 1964, et Cuba avait grand besoin d’une ouverture vers le continent latino-américain.
Castro décide d’intervenir en prenant le risque d’accroître l’isolement de son pays et sans pouvoir compter avec l’aide logistique de Moscou, peu encline à mettre en péril la détente relative avec les États-Unis. Washington criera pourtant à l’invasion soviétique par le biais des « supplétifs cubains ». Les États-Unis enjoignaient Cuba à se retirer immédiatement, mais ne condamnaient qu’à mi-mots l’invasion sud-africaine. Dès 1976, le régime ségrégationniste fut encouragé par Washington à empêcher par tous les moyens la consolidation du pouvoir angolais qui abritait les mouvements
anti-apartheid. Mais ni les menaces de Reagan ni les pertes en combat (2 400 soldats périrent en Angola) ne vinrent au bout de la volonté des dirigeants cubains d’écrire cette page unique de l’histoire africaine.
* The Cuban Drumbeat
Éd. Seagull books, 15 dollars.
(1) Conflicting Missions :
La Havana, Washington and
Africa (1959-1976), University
of Press California, 2001.