Les sondages avaient tous prévu une défaite – plus ou moins grande – du Parti démocrate et à travers elle, celle du président Obama lui-même. Rien de bien surprenant en vérité. L’histoire nous enseigne que, sauf événement d’envergure majeure, le parti au pouvoir accuse toujours un recul au scrutin de mi-mandat.
Ces dernières élections de mi-mandat ne font que confirmer une tendance vieille de 75 ans : depuis 1934, tous les présidents américains ont perdu des sièges à la Chambre, à l’exception de Franklin Delano Roosevelt en 1934 (+10), Bill Clinton en 1998 (+5) et George W. Bush en 2002 (+7). Au Sénat, seuls Roosevelt en 1934 (+10), Kennedy en 1962 (+3), Nixon en 1970 (+2), Reagan en 1982 (+1), Clinton en 1998 (0) et Bush en 2002 (+2) ont réussi le tour de force de gagner ou ne pas perdre de sièges.
Mais le fait est là : en 2010, si les démocrates ont réussi à conserver sur le fil leur majorité au Sénat (52 %, – 3 sièges) – une majorité toute relative puisqu’il faut bizarrement 60 % de suffrages pour faire voter une loi –, ce sont les républicains, au nombre de 239, qui ont conquis la Chambre des représentants avec le bond le plus spectaculaire depuis un demi-siècle : + 60 sièges. Certes, le président y maintient son droit de veto, mais là encore, les républicains peuvent entraver sa mise en œuvre en refusant de le financer.
Deux principes généraux expliquent ce recul manifeste de l’administration Obama. Primo, la popularité des présidents, même les plus charismatiques, tend à diminuer avec le temps, car ils sont vite confrontés à des choix difficiles, ne peuvent tenir toutes leurs promesses et doivent prendre des décisions impopulaires. Secundo, en l’absence de course à la présidence, le parti au pouvoir éprouve toujours de grandes difficultés à convaincre ses partisans d’aller voter. En général, ceux-ci ne glissent un bulletin dans l’urne que pour faire connaître leur mécontentement. Ce fut en effet le cas. La situation sociale et économique a créé un grand sentiment de colère et de frustration, notamment chez ceux concernés par le chômage et la perte de leur maison. Bien que plusieurs économistes aient parlé de reprise, les quelque 15 millions d’Américains sans emploi ont eu du mal à “avaler” un quelconque bilan positif.
Cette désaffection démocrate a naturellement profité aux républicains, désormais convaincus que plus rien ne peut les arrêter. Tout en appelant vaguement leurs partisans à travailler avec le président, John Boehner, le vraisemblable prochain « speaker of the House » (président de la Chambre des représentants), et Mitch McConnell, le leader minoritaire au Sénat, ont spécifié que ce devait être sur « le programme souhaité par les Américains », une manière de dire « le programme républicain ».
Un premier test portera sur le prochain renouvellement des baisses d’impôts (y compris et surtout ceux des plus riches), vestige de l’époque de George W. Bush. Signe de la crispation ambiante, Mitch McConnell a affirmé, dans un discours enflammé, que le renvoi du président Obama était, ni plus ni moins, « la seule façon » de promouvoir l’agenda des républicains, ajoutant que ceux-ci allaient progressivement détruire la loi de réforme de santé d’ici 2012. Des paroles amères qui annoncent déjà un probable conflit.
D’autant que le leadership républicain a rapidement compris qu’il devait compter avec des membres influents du Tea Party, à commencer par la députée Michele Bachmann. « Héroïne » de ce mouvement réactionnaire, souvent vue ralliant ses activistes à des meetings, cette républicaine pure et dure du Minnesota a très vite annoncé qu’elle briguait la quatrième position parmi les républicains de la Chambre.
Cette candidature, qui a peu de chances d’aboutir, illustre néanmoins la forte tension à laquelle doivent faire face M. Boehner et son équipe, forcés de trouver un équilibre avec ces nouveaux députés, qui dénonçaient hier la mollesse de l’establishment républicain et refusent aujourd’hui la moindre compromission avec l’administration Obama.
Mme Bachmann est loin d’être la seule voix du Tea Party déterminée à exercer son influence au sein du nouveau congrès. Des anonymes ont aidé à l’élection de dizaines d’ultra-conservateurs en donnant des millions de dollars aux organisations nationales du Tea Party. L’équipe dirigeante républicaine ne cache d’ailleurs pas qu’elle veut intégrer le Tea Party à l’idéologie du parti. Mais rien n’est moins sûr. Des conflits entre ces deux courants menacent d’éclater. Quelque quarante députés républicains, fortement alliés au mouvement fanatique, ont juré de bloquer toute réforme des finances des campagnes.
À noter enfin que ces élections ont renforcé la stature de Sarah Palin qui avait tourné le dos à son parti (elle n’était pas candidate cette année) en soutenant plusieurs prétendants situés hors de l’establishment républicain et finalement élus.
Confortée lors de ce scrutin mais fragilisée par ses extrêmes, la majorité républicaine de la Chambre devra décider quelle sorte d’opposition elle veut être : plutôt raisonnable ou, suivant les discours des Sarah Palin, Rand Paul (prochain sénateur de Kentucky) et compagnie, plutôt enragée.
Dans ce contexte, quel avenir pour Barack Obama, son parti et le pays ? Contestant certains experts qui jugent que la situation actuelle n’est pas plus inquiétante que cela, Paul Krugman, Nobel d’économie et chroniqueur au New York Times, plus réaliste, l’envisage tristement : « Ça va être terrible, une catastrophe pour l’Amérique qui a condamné la nation à des années de chaos politique et de faiblesse économique ! »
Pourquoi raisonne-t-il ainsi ? « Vers la fin des années quatre-vingt-dix, les républicains et démocrates ont semblé travailler ensemble sur quelques grandes questions. Le président Obama a l’air de penser qu’on pourra faire la même chose aujourd’hui… Or cette ère de coopération partielle n’a été possible qu’après une confrontation totale orchestrée par les républicains, qui n’ont pas hésité à bloquer le gouvernement pour contraindre le président Clinton à céder à leurs demandes, notamment des coupes gigantesques dans le Medicare (système d’assurance santé pour les personnes âgées, ndlr)… » Ce « shutdown » (fermeture totale) du gouvernement a fini par léser politiquement les républicains qui, de ces années, ont retenu cette leçon incongrue : aujourd’hui, estiment-ils, ils vont devoir entrer encore plus fortement dans la confrontation…
Paul Krugman poursuit son analyse en expliquant que le pays a besoin d’une politique très active en matière économique (la situation actuelle est bien plus défavorable que celle des années quatre-vingt-dix), impossible à mener avec des républicains majoritaires à la Chambre. Ces derniers refuseront d’engager quoi que ce soit pour raviver l’économie, prétextant leurs inquiétudes sur le déficit, alors qu’ils augmenteront à long terme ce même déficit en procédant à des réductions d’impôts totalement irresponsables. Et l’économiste de conclure : « nous aurons le pire des mondes. »
À preuve, cette déclaration de John Boehner qui sonne les prémices d’une catastrophe : « L’administration Obama, a-t-il promis, n’obtiendra pas un dollar pour ses programmes, ni pour la loi sur l’énergie et le climat, ni pour celle sur l’immigration ». Triste avenir en effet !
Ces dernières élections menacent également de nuire à la politique conduite par Obama à l’étranger. On peut craindre en effet que les républicains n’acceptent de faire des concessions que si les décisions du président sur la scène internationale les satisfont. Ainsi, les réformes de l’éducation, la lutte contre la pauvreté ou la reprise économique prônées par les démocrates n’auraient de sens à leurs yeux que si les États-Unis adoucissent leur ton à l’égard d’Israël, adoptent une politique plus ferme contre l’Iran ou renoncent une fois pour toutes à certains traités internationaux comme le « Comprehensive test ban treaty », traité d’interdiction complète des essais nucléaires…
Si les enjeux de politique extérieure ne sont pas ceux qui retiennent le plus l’attention des Américains, l’impact des législatives de novembre dépassera très certainement les frontières du pays. Avec des risques qu’on n’ose imaginer. On peut sans peine imaginer que les partisans de l’« Obama 2008 » regrettent que les pères fondateurs de l’Amérique, James Madison, Alexander Hamilton et consorts, aient volontairement conçu un système politique qui, dans une époque dévolue aux monarchies, a ainsi permis de bloquer le pouvoir du n° 1 du pays. Aujourd’hui, il semble bien que le Congrès est en mesure de contrer les idéaux du président… à moins que ce dernier revienne aux fondamentaux qui ont fait son succès : l’audace, l’éloquence, l’émotion. Autrement dit, cette conviction que… « oui, nous le pouvons » !