États-Unis En juillet prochain, les policiers de cet État pourront arrêter tous ceux qui n’ont pas « l’air américain ». Comprendre : les Hispaniques, très nombreux dans la région. La boîte de Pandore xénophobe est ouverte. La contestation aussi.
«Donnez-moi vos pauvres, vos exténués / Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres / Le rebut de tes rivages surpeuplés / Envoie-les moi, les déshérités que la tempête m’apporte / De ma lumière, j’éclaire la porte d’or ! » Des mots gravés sur la statue de Liberté (1), symbole d’une Amérique ouvrant ses bras à tous les peuples fuyant la misère et l’oppression. Et un beau rêve dont la réalité s’est bien éloignée. Surtout en ce début de xxie siècle où une vague de populisme d’extrême droite, rassemblant aussi bien les plus durs que des républicains « modérés », balaie les États-Unis. Tous semblent avoir succombé aux démons xénophobes vociférant contre les « étrangers ». Un phénomène rarement vu à ce niveau dans un pays créé par des immigrés.
Peur communautaire
Aujourd’hui, c’est l’Arizona qui mène le chemin à rebours sur la question de l’immigration. Le 23 avril dernier, cet État, frontalier avec le Mexique, a passé une loi que le quotidien New York Times a décrite comme « la plus vaste et la plus stricte mesure anti-immigration depuis des générations ». Son but, « poliment expliqué » : identifier et déporter les immigrants illégaux. Entre autres articles, cette loi oblige les officiers de police de l’État à demander ses papiers à quiconque leur semblera suspect quant à sa citoyenneté. Quiconque, c'est-à-dire « quiconque à l’air latino ». Si vous êtes un peu mat de peau et si vous n’avez pas vos papiers sur vous, c’est un aller simple vers la prison. Selon cette loi (dite S. B. 1070), celui ou celle qui ne porte pas de documents attestant de son identité est coupable de crime. La police locale hérite ainsi du pouvoir exorbitant de détenir dans ses geôles ceux qui, à ses yeux, n’ont pas la couleur locale et ont surtout l’air d’être « clandestins ». La gouverneure de l’État, la républicaine Jan Brewer, a affirmé que la loi prendra effet quatre-vingt-dix jours après la fin de la session législative.
Les Hispaniques se sont levés en bloc contre cette loi qui légalise les contrôles et arrestations au faciès, pour ne pas dire racistes. Pour eux, la pilule est plus qu’amère : il n’y a pas si longtemps, ils étaient encore courtisés par le Parti républicain en tant qu’électorat flottant. Ils savent que la loi enclenchera une spirale de méfiance et de peur communautaires, favorisant l’augmentation du « crime » nouveau et les contestations juridiques qui ne manqueront pas de suivre, avec des répercussions à travers toute la nation.
Bien que les contrôles d’identité soient devenus l’ordinaire dans le métro, sur les routes dans les lieux publics dans certains pays – dont la France –, l’Arizona est le premier État aux États-Unis à exiger que les immigrants portent sur eux les documents d’identité légitimant leur présence sur le territoire. Réagissant à certaines critiques, la gouverneure « assurait » qu’aucun profilage racial ne serait toléré, ajoutant : « Nous devons avoir foi dans nos forces de l’ordre. »
La mesure prise par l’Arizona est un violent reproche fait à l’ancienne gouverneure Janet Napolitano (démocrate), qui avait mis son veto au vote de lois semblables, avant d’être nommée secrétaire à la Sécurité par le président Obama.
La loi a ouvert une profonde cassure dans l’État, la majorité de ceux qui se sont exprimés demandant à Jan Brewer de la rejeter. Déjà, en 2007, quand le gouvernement fédéral avait échoué à faire passer une loi qui aurait régularisé 12 millions de clandestins (le Sénat n’avait pas voulu débattre, le projet de loi a donc été retiré), des centaines de lois sur l’immigration avaient été proposées ou votées à travers tout le pays. Aujourd’hui, les appels à boycotter l’Arizona et sa nouvelle loi se multiplient en même temps que d’autres États, suivant son exemple, ont commencé à adopter des lois draconiennes contre l’immigration : l’Utah, la Géorgie, le Colorado, le Maryland, l’Ohio, la Caroline du Nord, le Texas, le Missouri, l’Oklahoma et le Nebraska… – tous républicains excepté le Maryland.
Plus ces lois seront controversées, plus les avocats de l’Immigration Reform Law Institute (l’Irli, le bras légal d’un groupe nativiste qui prône la haine (2)) auront des chances de gagner gros s’ils les défendent. L’Arizona pourrait être très lucratif pour eux, avec des contestations traînant en longueur. Les militants pour les droits civiques considèrent en effet que la nouvelle loi ira jusqu'à la Cour suprême. Mais l’éventuel « gain » de l’Irli signifiera aussi des pertes énormes : en termes de sommes engagées pour résoudre les litiges, d’activité économique, d’emplois (140 300). L’État le plus xénophobe de tous les États-Unis peut s’attendre à un grand exode hispanique. Non vers le Mexique mais vers Miami, Los Angeles, Chicago et d’autres grandes villes à fortes populations latinos, où ils pourront vivre sans craindre de se faire arrêter par la police en raison de la couleur de leur peau ou parce qu’ils parlent espagnol.
Selon certains analystes, la vraie raison de l’adoption de la loi serait de contrôler le nombre grandissant d’Hispaniques légaux, citoyens étasuniens qui osent voter. Et quand ils votent, c’est aux deux tiers en faveur de démocrates. Les républicains ont donc intérêt à arrêter la démographie des Américains d’origine latino s’ils ne veulent pas finir en « toast électoral » ou, si on préfère, en « tortillas ». Pour atteindre ce but, le texte n’hésiterait pas à se cacher derrière une xénophobie affichée qui ferait diversion.
Le président Barack Obama, au cours d’un voyage à travers le Middle West, a immédiatement réagi, déclarant que la nouvelle mesure menaçait les « valeurs fondamentales » des Américains et ne ferait qu’enflammer le débat « au lieu de résoudre le problème ». Le garde des Sceaux, Eric Holder, a également pris position contre la loi. Par ailleurs, une équipe d’avocats gouvernementaux a commencé, silencieusement, à étudier les stratégies légales pour combattre le texte. Il est probable que l’administration agira assez vite. Le président a néanmoins reconnu que le Congrès fédéral pourrait ne pas avoir l’appétit de mordre à pleines dents dans une question aussi « chaude » que celle de l’immigration cette année. Mais il a juré qu’il maintiendrait la pression sur les représentants et sénateurs pour qu’ils travaillent au plus vite à une loi refondant le système de l’immigration des États-Unis.
Et Obama ?
Entre-temps, l’Arizona risque devenir un État policier « à l’américaine ». Le délit de « sale gueule » sera la loi. Les Blancs, eux, seront épargnés, comme au temps de Jim Crow (3) dans le Sud. Cet État poussera-t-il les autres sur ce chemin ? Par le passé, l’Arizona a essayé de faire reculer le pays sur les questions raciales. Il a refusé, dans les années 1980, de reconnaître l’anniversaire de Martin Luther King comme journée nationale fériée. En avril, la Chambre basse de l’État a voté en faveur d’une loi demandant que le président Obama produise son certificat de naissance s’il veut être sur les bulletins de vote d’Arizona en 2012 ! Selon l’agence AP : « Ceux qui sont favorables à cette loi disent qu’elle aidera à mettre fin à la controverse demandant si oui ou non le président est né aux États-Unis. » (4) Évitez l’Arizona !
(1) Les derniers vers du poème « Le Nouveau Colosse », de l’Américaine Emma Lazarus, gravé sur une plaque de bronze sur le socle de la statue de la Liberté, inaugurée le 28 octobre 1886, à l’entrée de New York.
(2) Les nativistes refusent l’immigration dans des pays fondés sur l’immigration (États-Unis, Canada, Australie…).
(3) Jim Crow est à l’origine des lois ségrégationnistes légalement en vigueur dans le Sud dès la fin de l’esclavage et jusqu’à la fin des années 1960.
(4) Barack Obama est né à Hawaï, devenu
le 50e État des États-Unis en 1959. Il est né en 1961, donc sur le sol américain, fait connu et su par tous ceux qui suivent la logique et la loi.