La guerre en Afghanistan devient impopulaire aux Etats-Unis. Sur place, les réseaux peinent à organiser un retrait américain.
Un sondage effectué par la chaîne américaine CNN et ORC International, fin octobre, a révélé que seulement 34% des Américains soutenaient aujourd’hui la guerre en Afghanistan. 63% y sont opposés et la mort de treize Américains quelques jours après le sondage, tués par une attaque suicide à Kaboul aura, sans doute, encore fait progresser ce chiffre. À ce jour, 1700 soldats américains ont perdu la vie et les personnes interrogées ont estimé à 58% que la guerre en Afghanistan était « similaire à celle du Vietnam. » Barack Obama a un problème avec ses partisans, car la même enquête a montré, également, que six Républicains sur dix soutenaient encore la présence américaine en Afghanistan contre un démocrate sur quatre. Le retrait de 30 000 soldats envoyés sur le terrain dans la précipitation après son accession à la présidence des États-Unis, est prévu pour la fin 2012. Pendant ce temps, Washington met en place la leur stratégie du double jeu « discuter tout en frappant » avec les Talibans et autres groupes extrémistes. « Nous voulons combattre, parler, et construire, tout à la fois. C’est pour cette raison que nous testons la volonté de ces organisations de négocier de bonne foi », a déclaré Hillary Clinton devant le Congrès.
La révélation des rencontres secrètes avec les dirigeants du groupe islamiste combattant le plus important, Haqqani, confirmées par la secrétaire d’État, est l’illustration la plus évidente de cette stratégie du double jeu.
Le groupe Haqqani a été créé par Djalâlouddine Haqqani, homme politique et chef militaire afghan né dans les années 1950, membre de la tribu pachtoune des Zadran. Diplômé de la madrasa de Dâr ul Ulum Haqqâniya, il a combattu lors de la première guerre d’Afghanistan contre l’Union soviétique, fut ministre de la Justice du gouvernement taliban après la chute de Kaboul, en 1995 et est devenu l’un des principaux chef de guerre, avec son fils Sirajouddine, lors de la seconde guerre d’Afghanistan, à partir de 2001, contre les États-Unis et leurs alliés. Il met alors en place le réseau Haqqani qui introduit la tactique des attentats-suicides et serait à l’origine de celui du 30 décembre 2009 contre la base américaine de Chapman au cours de laquelle plusieurs agents de la CIA furent tués. Il est devenu, aujourd’hui, l’ennemi n°1 déclaré de Washington avec lequel….Washington discute.
Mais Djalâlouddine Haqqani est aussi une vieille connaissance des Américains, ceci expliquant peut-être aussi cela. Lors du djihâd contre l’Armée rouge, il gagne son statut de figure proéminente des moudjahiddines en combattant dans les rangs du Hezb-e Islami de Mohammad Yunus Khalis. Il commande l’armée afghane contre les Soviétiques durant l’opération Magistral de novembre 1987 à janvier 1988. Mais surtout, c’est l’époque où il devient un incontournable pour les services pakistanais et, surtout pour la CIA dans le cadre du « Programme afghan ». On se souvient comment, à l’époque, la CIA a organisé les camps d’entraînement de ceux qu’elle combat aujourd’hui avec le Pentagone. Dans son livre Ghost Wars, The Secret History of the CIA, Afghanistan, and bin Laden, from the Soviet invasion to Septembre 10,2001, le journaliste américain Steve Coll explique, entre autres, comment la CIA a lui verse des sommes astronomiques pour mener la guerre contre les Soviétiques. Il a des liens étroits avec l’ISI, la branche la plus puissante des services pakistanais et bénéficie des faveurs de l’Arabie saoudite. Il sera fêté en héros par tous ses amis hors les frontières après la prise de la ville de Khost.
Haqqani et son réseau – dirigé aujourd’hui par son fils, Sirajuddin Haqqani – sans doute le plus important au sein des forces talibanes, sont donc des vieilles relations de Washington et il n’est pas étonnant, comme l’a reconnu Hillary Clinton, qu’il ait été dernièrement, sollicité par des représentants américains, pour discuter de la possibilité de négocier la fin des hostilités. Ce qui n’empêche pas la guerre de continuer entre les deux camps, selon la stratégie « discuter tout en frappant ».
Le 13 septembre dernier, l’attaque contre l’ambassade américaine à Kaboul, venant après l’exécution d’Oussama ben Laden dans les conditions que l’on connaît, a été attribuée au réseau Haqqani qui tient la province pakistanaise du Nord-Waziristan frontalière avec l’Afghanistan. Bien qu’harcelé en territoire pakistanais par les attaques de drones sous l’égide de la CIA et sans autorisation des autorités pakistanaises, le réseau Aqqani est parfaitement à l’aise pour lancer des offensives meurtrières contre les forces américaines en territoire afghan. « Nous savons que le réseau Haqqani opère à partir de caches au Pakistan, et que le gouvernement pakistanais n'a pas pris de mesures contre ces caches », déclarait le 23 septembre le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carne. En réponse à la décision de l’armée pakistanaise de ne pas combattre le réseau Haqqani, exprimée le 26 septembre par le n°1, le général Ashfaq Kayani, les États-Unis ont annoncé qu’ils agiraient unilatéralement. Étrangement, le réseau ne figurait pas sur la liste des organisations terroristes établie par les Américains, c’est désormais chose faite. Et le 13 octobre, Jamil Haqqani, coordinateur logistique pour le réseau dans le Waziristan du Nord, et trois de ses gardes étaient tués par deux missiles tirés par des drones sur une maison du village de Dandey Darpakhel, à quelques kilomètres de Miranshah, la principale ville du Waziristan du Nord.
La déclaration d’Hillary Clinton, le 23 octobre, lors d’une table ronde avec des médias pakistanais du double jeu américain a été suffisamment surprenante, notamment pour les autorités pakistanaises, pour que la secrétaire d’État justifie cette stratégie. « Nous pensons avoir aujourd’hui l’occasion de commencer à parler, (même s’) il n’y a aucune garantie que ces discussions permettront d’aller vers une résolution pacifique du conflit », a-t-elle affirmé. « Nous allons continuer à combattre où cela est nécessaire pour protéger nos intérêts, tout comme l’armée pakistanaise, car nous ne pouvons pas permettre aux terroristes de gagner du terrain. Mais nous sommes également ouverts au dialogue. Nous avons déjà parlé aux Talibans, nous avons parlé au réseau Haqqani, pour pouvoir tester leur volonté et leur sincérité. Et nous travaillons entre nous — Afghanistan, Pakistan et États-Unis — pour tenter de bâtir ensemble un processus qui puisse nous mener à des négociations. Les responsables pakistanais avec lesquels j’ai parlé ont la même vision que nous. Nous ne savons pas si cela va marcher, mais nous croyons fortement que nous devons tenter le coup ». Le réseau Haqqani, les dernières attaques le montrent, a refusé l’offre. Il ne se sent pas « autorisé à décider de l’avenir de l’Afghanistan ».
Ironie de l’Histoire, en novembre 1987, la grande offensive soviétique de l’opération Madrigal avait été lancée après l’échec de négociations avec le commandant des tribus Jadran, Jalaluddin Haqqani qui, comme aujourd’hui, disposait de nombreuses des deux côtés de la frontière. C’est alors que Les Haqqanis se rendirent maîtres de la ville de Khost et que fut proclamée le premier « territoire indépendant de l’Afghanistan », libéré, grâce à l’argent de la CIA.