Le rapport classe les pays selon leur degré d’implication dans le trafic d’êtres humains.
Le rapport annuel de l’administration américaine sur « le trafic de personnes » – Human Trafficking Report – vient d’être rendu public. Le classement concerne 177 pays sur la base de « l’importance de l’action gouvernementale pour combattre le trafic » et comprend trois niveaux, « Tier 1 » – le gouvernement reconnaît le problème, fait des efforts pour le résoudre et répond aux critères minimums de la Loi sur la protection des victimes de la torture (TVPA). Le deuxième niveau, « Tier 2 » signifie que le pays ne répond pas aux critères mais fait des efforts en ce sens. « Tier 3 », ou « liste noire » concerne les pays qui ne répondent pas aux critères et ne font aucun effort dans ce sens. Pour la première fois, les États-Unis ont été classés, et bien sûr en Tier 1. Militante de cette procédure unilatérale américaine – au mépris du travail de l’ONU – Hillary Clinton, dont on connaît la passion pour porter la bonne parole dans le monde.
La lutte contre l’esclavage humain domestique ou économique, le commerce sexuel des hommes, des femmes ou des enfants, le travail des enfants et autres fléaux de l’humanité est une priorité, c’est indiscutable. Mais ces mêmes fléaux ne sont-ils pas, majoritairement, la mine d’or qui vient gonfler les coffres des banques occidentales, particulièrement américaines, via les mafias et les multinationales de tous ordres ? N’ont-ils pas permis un développement significatif du capitalisme sauvage et sale qui s’est abattu sur les plus pauvres durant ces dernières décennies, avec une violence jamais atteinte ? Ne sont-ils pas la raison d’être de Wall Street et de la City de Londres ? Ne sont-ils pas la conséquence des politiques menées par ceux-là mêmes qui s’érigent, aujourd’hui, en juges ? Car qui, au bout de la chaîne profite le plus de tous ces trafics ignobles sinon l’Europe et les États-Unis, l’Europe dont un rapport de l’ONU, par exemple, en 2010, soulignait qu’il y avait « officiellement » 140 000 victimes représentant un marché de 2 milliards et demi d’euros ?
La notion de catégorie 3 est intéressante. C’est, en réalité, davantage une punition pour refus de coopérer avec l’Administration américaine, comme ont décidé de le faire certains pays qui ne reconnaissent pas cette procédure, que pour la mauvaise conduite des États. Elle permet d’isoler certains « mauvais amis » des États Unis en les montrant du doigt, sans véritablement de preuves. C’est le cas – faut-il s’en étonner ? – de Cuba et de l’Algérie et de l’Iran, entre autres. Il faut savoir, également, que la transmission de données conditionne des aides financières américaines, d’où tout l’intérêt pour certaines ONG de collaborer et pour certains États de se montrer coopératif en espérant être placés, en catégorie 2, avec les encouragements d’Hillary Clinton à la clef, quelle que soit le degré de violation des droits humains.
Le cas de l’Algérie est significatif. Ce pays est donc devenu un « pays à surveiller » et menacé de la suppression de différentes aides (dont l’Algérie n’en a pas besoin et n’en est pas demandeuse). Elle est classée parmi les 23 États qui « n’atteignent pas le niveau de protection minimum » et ne font pas « d’efforts importants » pour y remédier. Mais que dit le rapport ? « L’Algérie est un pays de transit, et, dans une moindre mesure, un pays d’origine ou de destination, d’hommes, de femmes et d’enfants soumis au travail forcé et au trafic sexuel. » Que des Africains pénètrent sur le territoire algérien illégalement, pris en charge par des passeurs rapaces, et restent bloqués sur place par l’impossibilité de franchir les frontières de l’Europe, ce n’est ni nouveau, ni exceptionnel. « Les chefs de « villages africains » dans la région de Tamanrasset, font partie de ceux qui forcent les femmes immigrées à la prostitution. » Certes, et ce n’est pas étonnant ni exceptionnel dans ce contexte. L’Algérie connaît un problème sérieux à ses frontières au sud du Sahara. Des milliers de migrants attendent l’occasion – improbable – d’avancer dans leur course vers les pays du nord. Il s’y forme des communautés autarciques de subsahariens qui fonctionnent en dehors de toute légalité et qu’il est extrêmement difficile de contrôler et d’organiser. Oui, il y existe certainement des pratiques illégales en tous genres. Que des migrants soient renvoyés aux frontières, comme accuse le rapport, cela n’est pas, non plus, une exception, la France est championne du monde dans cette catégorie. Ce qu’omet de dire également ce rapport, c’est que les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, en bombardant la Libye condamnant des centaines de milliers d’Africains et d’Asiatiques à l’exil, créent les conditions objectives d’un désastre humanitaire.
Le rapport prétend avoir reçu des informations d’ONG justifiant la place de l’Algérie dans le classement. Les Américains accusent, également, le gouvernement algérien de rester passif et de ne faire « aucun effort significatif dans ce domaine ». Il existe pourtant, en Algérie, des lois qui punissent sévèrement – de 10 à 20 ans de prison – ces pratiques criminelles, mais les autorités algériennes « compétentes » ne les feraient pas appliquer. Pire, le rapport accuse les autorités d’exposer les victimes aux poursuites judiciaires : « Des ONG ont rapporté que des victimes sont emprisonnées pour des actes illégaux, résultats immédiats de ce trafic, à l’instar de la prostitution ou de défaut de documents légaux d’immigration. » Parce qu’en France – et dans certains territoires d’Outre mer – , en Angleterre ou ailleurs en Europe et aux États-Unis, les « sans papier », les « clandestins », ne connaissent pas les prisons ou les camps de rétention (où les conditions de vie sont régulièrement dénoncées) ? C’est à n’y rien comprendre. C’est aussi le sentiment de Farouk Ksentini, président de la Commission nationale algérienne consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) qui a vivement exprimé sa colère. « Il faut un démenti officiel. Cela est inacceptable. Cette accusation est grave et nuit gravement à l’image de l’Algérie », a-t-il déclaré au journal en ligne Tout Sur l’Algérie (TSA). Se demandant « d’où ils ont ramené ces informations », il a jugé le contenu du rapport « inacceptable du début jusqu’à la fin. » « C’est un rapport extrêmement injurieux, méprisable envers l’État algérien. Je suis particulièrement consterné qu’on puisse s’avancer d’une manière aussi officielle sur un sujet totalement infondé, » a-t-il également déclaré en demandant au Département américain de fournir les preuves de ses accusations. Concernant l’inaction de l’État algérien, il s’est inscrit en faux rappelant la loi algérienne. L’avocat et militant des droits de l’homme s’est, finalement interrogé sur le but réel des accusations portées dans ce rapport et sur le classement de l’Algérie. « Il vise tout simplement à dénigrer l’Algérie. » Et à faire pression sur l’Algérie. « Tout est possible avec les Américains », a-t-il estimé. Rappelons qu’à la suite de sa visite récente en Algérie, Rashida Manjoo, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence à l’égard des femmes, a estimé, à Genève que les développements législatifs, institutionnels et politiques récents (dont la mise en place du CNCPPDH) « reflètent l’intention du gouvernement algérien d’honorer avec “diligence” ses obligations en matière de promotion et de protection des droits des femmes », une appréciation que de nombreux de pays pourraient envier.
Très intéressante également, et à contrario, l’exemple d’Israël classé en catégorie 2. Pourtant, le rapport fait état des pratiques illégales courantes dans ce pays – connues et dénoncées depuis longtemps dans les médias et par les défenseurs des droits humains – qui mériterait un classement en catégorie 3. Mais Israël « coopère ». Et Israël est un « bon ami ». Pourtant, on peut y lire qu’ « Israël est une destination pour des hommes et des femmes soumises au travail forcé et au commerce sexuel. Des travailleurs sans qualification de Thaïlande, de Chine, du Népal, des Philippines, d’Inde, du Sri Lanka et, dans une certaine mesure, de Roumanie, émigrent volontairement et légalement en Israël avec des contrats temporaires dans le bâtiment, l’agriculture ou le travail domestique. Certains d’entre eux, cependant, rencontrent, ensuite, des conditions de travail forcé et de pratiques illégales telles que séquestration de passeport, limitation de déplacement, impossibilité de changer ou de choisir leur employeur, non paiement de leurs salaires, menaces d’agressions sexuelles et intimidations physiques. » L’exploitation illégale des migrants légaux est un facteur déterminant de l’économie israélienne, particulièrement depuis l’interdiction faite aux Palestiniens de travailler en territoire israélien. Israël fait, également, partie de ces pays dont les agences de recrutement dans les pays d’origine exigent des migrants des taxes pouvant aller de 4000 à 20000 dollars et qui rendent les travailleurs encore plus vulnérables sur place du fait de leur endettement. En 2010, environ 14000 migrants seraient entrés en Israël, soit trois fois plus qu’en 2009. En Israël, le capitalisme se nourrit du trafic humain, comme le capitalisme américain, et de manière plus générale, l’ultra libéralisme mondial. On ne peut croire que les premiers bénéficiaires de ce fléau seraient prêts à scier la branche sur laquelle ils sont assis…