Des responsables de la Maison-Blanche sous George W. Bush ont contacté la CIA à deux reprises pour obtenir des informations susceptibles de discréditer un des critiques de la guerre en Irak, Juan Cole, professeur à l’université du Michigan et auteur du blog Informed Comment. C’est du moins ce qu’affirme un ancien responsable de l’agence de renseignement dans un entretien accordé au New York Times. La loi interdit à la CIA d’espionner des citoyens américains.
Des responsables de la CIA ont nié les allégations de Glenn Carle, qui a quitté le monde de l’espionnage en 2007. Ils ont fait savoir que la Maison-Blanche avait contacté l’agence de renseignement seulement pour savoir pourquoi Cole avait été invité à participer à une conférence sur le Moyen-Orient organisée par la CIA.
À l’époque où la Maison-Blanche aurait demandé à la CIA des informations compromettantes sur Cole, des critiques conservateurs du professeur faisaient campagne pour stopper son embauche par la prestigieuse université Yale. Dans des blogues ou des chroniques de journaux, ils l’ont accusé d’être antiaméricain et anti-Israël. Le professeur de 58 ans enseigne toujours à l’université du Michigan.
En 2005, raconte M. Carle, au retour d'une réunion à la Maison Blanche, son supérieur lui a demandé ce qu'il pourrait "trouver sur [M. Cole] pour le discréditer". "La Maison Blanche veut sa peau", aurait ajouté ce supérieur, David Low. Interrogé par le New York Times, celui-ci a affirmé "n'avoir aucun souvenir" de l'épisode.
M. Carle assure avoir refusé la demande de David Low. Depuis les excès de l'ère Nixon, la "Centrale" a interdiction totale d'espionner et de mener des enquêtes sur des citoyens si la sécurité nationale n'est pas en jeu.
"NOTES DÉSOBLIGEANTES SUR SON STYLE DE VIE"
L'agent a rapporté l'incident au responsable de son unité, le Conseil national du renseignement. Mais le lendemain, il se souvient avoir intercepté un dossier comportant "des notes désobligeantes sur le style de vie" de Juan Cole qui allait partir vers la Maison Blanche. Quelques mois plus tard, un collègue se montre déconcerté par un courriel qu'il vient de recevoir du bureau de l'adjoint au renseignement de la CIA, John Kringen. Cet email le somme de "réunir des informations" sur Juan Cole, qui critique l'administration lors de ses conférences et sur son blog.
M. Carle va donc à la rencontre de l'assistant de M. Kringen, qui a rédigé le courriel. "Vous avez lu son blog ?, lui aurait répondu celui-ci. Il est vraiment très hostile à l'administration." Ce deuxième épisode a été confirmé auNew York Times par des responsables du renseignement parlant sous couvert d'anonymat.
M. Carle a menacé de prévenir le bureau de l'inspecteur général de la CIA. Le second incident était clos. "J'espère que le Sénat et la Chambre vont immédiatement ouvrir une enquête sur cette infraction manifeste à la loi de la part de l'administration Bush et des responsables de la CIA concernés", a écrit Juan Cole sur son blog.
UN PRÉCÉDENT : L'AFFAIRE VALERIE PLAME
La sensibilité de l'administration Bush à l'égard de ses détracteurs, au point de sortir de la légalité, s'était déjà illustrée en 2003 dans l'affaire Valerie Plame. Le mari de cette agente de la CIA travaillant sous couverture avait publiquement dénoncé les affirmations de l'administration sur la présence d'armes de destruction massive en Irak. Un jour, elle a découvert que son nom avait été révélé à la presse. L'enquête a montré que l'ordre de divulguer son identité provenait des plus hautes sphères de l'administration.
Le New York Times avait également appris aux Américains en 2005 l'existence d'un vaste programme d'écoutes téléphoniques mené par l'administration sans aucun mandat de la justice. L'article du New York Times est signé jeudi par James Risen, prix Pulitzer, que l'administration Obama a convoqué fin mai au procès d'un ancien de la CIA pour révéler sa source. James Risen a annoncé qu'il ne répondrait pas à cette convocation.