Un temple et quelques kilomètres de broussailles sont au cœur de dissensions entre les deux pays. Une occasion pour les pouvoirs en place de redorer leur blason, à coup de boutoir nationaliste.
Au sommet du promontoire de Preah Vihear (en khmer) ou Khao Prah Viharn (en thaï), la vue est à couper le souffle. Six cents mètres d’un à-pic vertigineux séparent le plateau de Korat thaïlandais du bassin du Mékong cambodgien. Une frontière on ne peut plus naturelle entre les deux royaumes, enfin si ce n’était le temple que les Khmers érigèrent là au XIe siècle.
Ce joyau architectural fut occupé en 1953 par l’armée thaïlandaise qui profita alors de la faiblesse d’un Cambodge fraîchement indépendant. En 1962, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye attribua la souveraineté du temple à Phnom Penh en rappelant ces faits historiques : en 1930, un prince siamois visita les ruines ; officiellement reçu par le résident français, il n’émit aucune protestation. Puis durant plus d’un demi-siècle, le Siam ne revendiqua pas le temple…
L’histoire aurait dû s’arrêter là, mais si la CIJ octroya le temple au Cambodge, elle ne statua pas sur les 4,6 km² de broussailles adjacentes qui, depuis, sont l’objet d’un contentieux entre les deux pays. Phnom Penh veut développer de nouvelles destinations touristiques, dont Preah Vihear classée par l’Unesco en juillet 2008. Cette récompense internationale a déchainé la fureur des ultras nationalistes thaïlandais, au motif que Bangkok n’avait pas été consultée et de facto écartée du site dont, ironie de l’histoire, elle détient la rampe d’accès principale. Une série de violents accrochages éclata. Dans les mois qui suivirent, les relations entre Bangkok et Phnom Penh se dégradèrent, puis tombèrent au plus bas lorsque Hun Sen, premier ministre cambodgien, nomma Thaksin Shinawatra, l’ex-premier ministre milliardaire thaïlandais en fuite, conseiller économique du Cambodge. Les ambassadeurs des deux pays furent rappelés. Mais bientôt, Thaksin Shinawatra n’eut plus le vent en poupe et Hun Sen s’écarta de son « ami »…
Fin 2010, un rapprochement entre Abhisit Vejjajiva, premier ministre de Thaïlande et Hun Sen fut envisagé. Celui-ci tournera court le 29 décembre 2010 lorsque sept Thaïlandais, dont un député, furent arrêtés, après avoir pénétré illégalement au Cambodge pour une vague enquête d’empiètement territorial. On découvrit sur eux une caméra où le député appelait son secrétaire afin qu’Abhisit soit informé qu’il avait franchi la frontière. La tension remonta d’un cran. La justice cambodgienne condamna les prévenus puis en libéra cinq, tout en emprisonnant deux ultranationalistes du Pad (mouvance ultra nationaliste des chemises jaunes) pour « espionnage ».
Aujourd’hui, à Bangkok, la fureur des chemises jaunes a atteint des sommets, ceux-ci réclamant à cors et à cris la libération de leurs camarades, la restitution de Preah Vihear et la démission d’Abhisit. Ce dernier, qui a promis des élections avant l’été, est de plus en plus tiraillé entre les chemises rouges pro Thaksin, les chemises jaunes et l’armée qui, malgré de somptueux crédits, apparait de moins en moins satisfaite de la performance du premier ministre.
Du 4 au 7 février dernier, une nouvelle série d’accrochages a eu lieu, obus et roquettes pleuvant autour de Preah Vihear. Des deux côtés, on se rejette la responsabilité des canonnades. Hun Sen a alerté le conseil de sécurité de l’Onu dénonçant une « guerre » lancée par Bangkok. De son côté, le gouvernement thaïlandais a rejeté toute médiation de l’Onu. Le risque d’un conflit est minime, mais cette énième querelle autour de vieilles pierres permet, une fois de plus, à Abhisit et Hun Sen de gonfler leurs muscles, montrer qu’ils sont de fervents nationalistes et… capitaliser des voix en vue de futures élections.