Dans les régimes autoritaires comme en Birmanie, en Thaïlande ou au Vietnam, les tribunaux condamnent à tour de bras les internautes. Mais même dans les démocraties, la tentation est grande de contrôler les sites web de très près.
La Toile birmane est à déconseiller aux hyperactifs. Certains jours, les connexions sont si lentes qu’il vaut mieux remettre au lendemain la consultation de simples mails. La raison d’une telle lenteur ? Une junte ne tolérant aucun média qui ne soit sous contrôle. Cela dit, les réalités virtuelles birmanes sont complexes. Un exemple ? Pour les généraux, le 11 août 2008 était une journée à risques. L’opposante et prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, comparaissait devant un tribunal pour entendre un verdict la condamnant – sans surprise – à une nouvelle peine de résidence surveillée. Devant les portes de la prison Insein où se déroulait le procès, le déploiement massif de policiers en tenues anti-émeutes décourageait toute velléité de protestation. Présent à Yangon ce jour-là, j’expédiais via un cyber-café un article sur l’événement du jour. Le site de l’Irrawaddy, un magazine d’opposants birmans basé en Thaïlande, y était comme toujours inaccessible. Enfin presque. En quelques clics sur « Your freedom », un programme au nom évocateur, le personnel du cyber-café m’a ouvert, sans sourciller, le site interdit. Un gros plan sur la dame de Rangoon est apparu à l’écran. Juste à côté, un Occidental était également très occupé. Curieux : sa tenue vestimentaire n’avait rien de touristique. Et il rédigeait avec concentration un texte sur son écran. Regard indiscret… Un journaliste !
Cette anecdote n’est malheureusement pas représentative d’une censure laxiste en Birmanie. La junte ne plaisante pas avec les cyberdissidents. Le 7 janvier 2009, Win Naing Kyauw, un ex-officier, est condamné à vingt ans d’emprisonnement. Son crime ? Avoir livré à un site d’opposition des photos d’un officiel de haut rang en visite secrète en Corée du Nord. Cette condamnation suit celle de Hla Hla Win, une journaliste dissimulée de Democratic Voice of Burma (DVB), une association non lucrative qui diffuse, depuis Oslo, en Norvège, des programmes de télévision et de radio non censurés.
Ministre raillé
La Birmanie a beau être repliée sur elle-même, la Toile y a étendu ses ramifications. En 2007 la « révolution safran » a montré qu’Internet était un outil dangereux où peuvent se propager des images non conformes, comme des bonzes battus par l’armée. Paradoxalement, le pays demeure largement déconnecté de la Toile : seulement 0,2 % de la population y a accès. On peut, dès lors, imaginer les inquiétudes des pouvoirs autoritaires thaïlandais, vietnamiens ou malais où l’usage d’Internet est bien établi.
Unanimes, les gouvernements de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) reconnaissent les bénéfices d’Internet, mais tous, également, en redoutent l’usage populaire. En Malaisie, en 2008, la cuisante déroute électorale de l’Umno, le plus grand parti du pays, a été un choc sans précédent pour la coalition au pouvoir qui a perdu le contrôle de cinq des treize États de la Fédération. Analysant les causes de ce revers, l’Umno a reconnu qu’elle ne contrôlait plus l’accès à l’information depuis que la majorité des Malaisiens était connectée à la Toile. Depuis, le ministre de l’Intérieur préconise de poursuivre les bloggeurs incitant à la haine et à la sédition. Au nom de la « protection de l’islam et de tous les Malaisiens », le ministre suggère la mise en place d’un mécanisme de filtrage des blogs.
Le 18 janvier 2010, son collègue à l’Information, Rais Yatim, a eu la mauvaise idée de s’en prendre aux internautes devenus dépendants de la Toile. « Les Malaisiens doivent éviter de s’immerger totalement dans la culture d’Internet, spécialement Facebook et Twitter, car ces sites sont des vecteurs de l’influence occidentale, et au lieu de cela [les Malaisiens] devraient s’attacher à leurs propres croyances et cultures. » Le jour suivant, un amateur de Twitter a tourné en dérision les propos du ministre : « Rais est si vieux que… » La plaisanterie a fait boule de neige et en quelques heures Rais est devenu le sujet de twit numéro 3 au monde, devançant le séisme d’Haïti. Une mésaventure qui montre une Umno complètement déconnectée de la jeunesse et très peu au fait des réalités virtuelles.
La Toile est tellement redoutée que le pouvoir malaisien tente comme il peut de limiter son audience, notamment en s’en prenant à des personnalités en vue. Ainsi, Raja Petra Kamaruddin, un prince et un proche d’Anwar Ibrahim, le leader de l’opposition, a été incarcéré deux fois et dû prendre le chemin de l’exil à cause de son très populaire blog Malaysia Today. Néanmoins la censure d’Internet en Malaisie est loin d’atteindre le degré de sophistication de la grande muraille virtuelle chinoise. Malaysia Today est toujours accessible. Le contrôle de la Toile en Thaïlande, en revanche, est nettement plus serré.
Depuis les émeutes du printemps des chemises rouges cette année (quatre-vingt-dix morts et plus de 1 800 blessés), le gouvernement thaïlandais, au non de la « sécurité », multiplie les fermetures de sites web, les arrestations et intimidations à l’encontre de ceux dont les points de vue divergent de la ligne gouvernementale. L’opposition est accusée de calomnier, de divulguer des fausses informations, d’inciter à la haine, aux séditions. Les médias étrangers (CNN, BBC, etc.) ne sont pas épargnés. Pour le pouvoir, les journalistes occidentaux ne comprennent ni la culture ni les réalités thaïlandaises et s’illusionnent en voyant dans les émeutes une lutte sociale entre les plus démunis et l’élite de la nation. La réalité, selon lui, c’est que la patrie et la monarchie sont attaquées par Thaksin Shinawatra, l’ex-premier ministre milliardaire en fuite. Selon Global Voices Advocacy (GVD), un network de bloggeurs et d’activistes en ligne, 113 000 sites Internet ont été bloqués en trois mois. Fin juillet, Prachatai, un site d’opposition qui change régulièrement d’adresse pour contourner la censure, a renoncé aux commentaires des internautes. Son équipe estime qu’il est trop dangereux pour les lecteurs d’y poster des opinions. Nombre de sites, même pro-gouvernementaux, ont eu à faire avec la justice pour ne pas avoir retiré assez diligemment des commentaires jugés offensant pour l’institution monarchique.
Contexte répressif
Depuis le coup d’État de 2006, les accusations de crimes de lèse-majesté lancées contre des personnalités politiques de tous bords sont en hausse. La loi thaïlandaise régissant ce type de crime est l’une des plus draconiennes du monde. Un Thaïlandais a écopé de dix ans d’emprisonnement pour avoir posté sur la Toile une photo retouchée de la famille royale. La situation est jugée très sérieuse par le gouvernement qui, le 15 juin dernier, a entériné la création d’une agence en ligne chargée de poursuivre les auteurs de crime de lèse-majesté.
Tout aussi crispée est l’attitude d’Hanoï à l’égard des 22 millions d’internautes vietnamiens. Des procès de bloggeurs ayant critiqué l’attitude conciliante du gouvernement à l’égard des investissements chinois dans les mines de bauxite égaient les journaux locaux. Copie conforme du grand frère chinois, le Parti communiste vietnamien (PCV) ne tolère aucune critique, quitte à suspendre les services de Facebook et autres plates-formes d’échanges si nécessaire.
Dans ce contexte répressif, le Laos fait figure de relative exception régionale en surveillant mollement la Toile. On peut y ouvrir – lentement – la plupart des pages web que l’on désire. Il faut dire que le pays compte peu d’internautes. À la différence de la Birmanie, il n’existe pas réellement d’opposition structurée.
Mais, que ce soit en politique ou en matière de mœurs, aucun gouvernement de l’Asean n’est en faveur d’un Internet hors de contrôle. Y compris l’Indonésie qui, depuis la chute de Suharto, s’est sensiblement démocratisée. Elle s’est émue pour Peterporn, une vidéo pornographique de trois célébrités du show-biz local vue par des millions d’Indonésiens. Du coup, le gouvernement s’interroge : doit-il ou non installer des garde-fous sur la Toile ? Un raidissement très net qu’on observe partout dans le monde.