Son approvisionnement est une préoccupation majeure pour les habitants de Katmandou, la capitale. Non seulement le précieux liquide manque, mais sa qualité et sa distribution sont insuffisants. Le projet de la Melamchi River peut-il (enfin) ouvrir le bon robinet ?
C’est un matin ordinaire, en saison sèche, à Katmandou. Une dizaine de femmes attendent autour du filet d’eau, des entassements de bidons autour d’elles, et un dieu hindou qui veille, dans sa niche pourpre. Huit heures, la scène est la même quel que soit le quartier, à Chetrapati, Baneswor, au cœur de Thamel, ou dans les zones dalit qu’habitent les familles « intouchables ». Mêmes bidons jaunes, même attente, et cette eau qui coule, pas plus grosse que le doigt. Avec plus de quatre millions d’habitants, la capitale népalaise vit dans une pénurie quasi permanente. Créé il y a deux ans, le Katmandu Upatyaka Khanepani Limited (KUKL) tente pourtant d’ébaucher des solutions. Mais cet organisme public ne dispose d’aucun moyen véritable. Indifférence des pouvoirs publics, pauvreté grandissante de la population, vétusté de toutes les installations, situation sanitaire préoccupante : Suresh Prasad Acharya, assistant manager, ne voit guère d’issue. « Nous ne bénéficions d’aucune aide gouvernementale, explique-t-il. Les seuls fonds dont nous disposons viennent du paiement par les consommateurs. Oui, l’acheminement n’est plus adapté. Nos pompes, nos canalisations sont trop anciennes, et la qualité de l’eau tout à fait insuffisante. Quant au nombre de compteurs… » À peine 166 686 (chiffres 2010) pour toute la capitale. Une goutte dans un océan de besoins.
Déficit criant
Un chiffre résume à lui seul la complexité du problème. Actuellement Katmandou a un besoin journalier de 320 millions de litres. Et l’approvisionnement se limite à 155 millions au mieux (saison de pluies). À peine la moitié de ce qui lui serait nécessaire, d’autant que ces besoins augmentent de 3,3 % chaque année. Le déficit est encore plus criant en période sèche, où les rivières ne parviennent plus à remplir les réservoirs. Et le captage souterrain (nappes) et les sources ne peuvent compenser ce manque. À cette époque de l’année, viennent encore s’ajouter les risques d’infections. Le manque de pression dans les canalisations, l’air vicié, les traitements sanitaires inadaptés rendent le liquide impropre à la consommation. Comme le résume D.P Chapagain, ingénieur et responsable du secteur de Mdhyapur Thimi, « il y a, dans la Constitution, deux articles (16 et 17) qui garantissent l’eau, l’éducation, la santé et l’électricité, comme des droits fondamentaux du citoyen. En clair, le Népal a été incapable de les garantir. »
Chaque matin, avant de reprendre ses cours à l’université, Maina accompagne donc sa mère au stand-post. Chaque quartier en compte un ou deux. On y descend par un escalier de pierre, et sur les terrasses, le linge sèche, saris pourpres, grandes étoffes safran… « Pour nos besoins de la journée, c’est encore le plus simple, explique la jeune étudiante. Sinon, des gens qui vendent l’eau passent dans les quartiers. Mais il faut parfois attendre une semaine pour qu’ils viennent. » Traduction faite à sa mère, celle-ci a un mouvement de tête désabusé. « C’est intenable pour les familles, poursuit Maina. Alors tout le monde pense au projet de la Melamchi. »
Nouvel accès
Ébauché à la fin des années 1980, ce captage sur la Melamchi River pourrait être la solution au problème. En mars 2010, les travaux sur le tunnel ont commencé. Vingt-neuf kilomètres de percement pour rejoindre Katmandou. Ils prendront encore cinq ans, jusqu’au montage des deux unités d’assainissement. Consultant du projet technique pour Lahmeyer International, Joachim R. Lange y voit une bonne raison d’espérer. « D’une part cette rivière ne souffre pas d’assèchement, d’autre part il y aura une parfaite qualité des infrastructures, tant au niveau de l’acheminement principal que de la distribution terminale. » Estimé à 249 millions de dollars, ce chantier a bénéficié de plusieurs financements étrangers, comme ceux de l’Asian Development Bank, mais aussi des Canadiens, de la Norvège, du Japon… et du gouvernement népalais qui intervient en moyenne à 25 % sur le chantier. La presse s’en fait régulièrement l’écho, mais la population reste sceptique. Avec un revenu annuel moyen de 25 000 roupies (275 euros), quelles sont les couches de population qui auront droit à ce nouvel accès ? On imagine mal les quartiers dalit, dans cette extrême pauvreté qui est la leur, bénéficier du précieux liquide.