Un livre sur l’entrée des troupes russes en Afghanistan en 1979.
Rodric Braigthwaite, ambassadeur britannique à Moscou entre 1988 et 1992, était en Russie quand les troupes soviétiques passèrent le pont sur l’Oxus pour entrer en Afghanistan, en 1979. Dans son ouvrage (publié en anglais), Afgantsy : The Russians in Afghanistan 1979-1989, il analyse le contexte historique dans lequel l’Armée russe s’est lancée dans cette guerre. Basant ses recherches en grande partie sur des sources soviétiques, des interviewes de participants et les archives soviétiques des services secrets GRU et KGB , l’intervention est décrite « comme une tragédie à la fois pour les Russes et les Afghans » , comme l’explique l’historien Tariq Ali (1) qui en a fait un résumé tout à fait intéressant par ses rappels historiques particulièrement, dans un article publié dans la London Review of Books et intitulé Andropov avait raison que nous traduisons ci-dessous.
« Le but principal de la politique étrangère soviétique dans la région avait toujours été de faire en sorte que l’Afghanistan reste un État neutre. Lénine était un marxiste trop orthodoxe pour croire que les hommes vivant en structures tribales et les bergers pouvaient passer d’un coup au socialisme : « Les bergers ne peuvent pas être transformés en masses prolétariennes ». Ses successeurs n’apprécièrent pas du tout quand, en 1973, Muhammad Daoud renversa son cousin le roi Zahir Shah par un coup d’État et proclama une République. Moscou avait bénéficié de relations amicales avec le roi qui présidait une confédération tribale, laquelle constituait l’État afghan. Les dirigeants soviétiques furent encore moins contents quand, en avril 1978, un groupe d’officiers communistes firent un coup qu’ils dénommèrent « révolution ». Quelques mois plus tôt, deux factions communistes rivales, le Parcham (le Drapeau) et le Khalq (le Peuple) dont les membres étaient pour la plupart des diplômés de l’université et des intellectuels urbains, accompagnés de quelques dizaines d’officiers et militaires issus de leurs clans, avaient formé, avec une grande réticence, le Parti démocratique du peuple d’Afghanistan (PDPA). Le Parcham suivait une ligne pro-soviétique orthodoxe, le Khalq était plus indépendant de l’Union soviétique et moins influencé par les notions marxistes classiques sur les conditions de la transition vers le communisme. Noor Mohammed Taraki, du Khalq, fut nommé secrétaire général, avec Babrak Karmal, du Parcham, comme adjoint. Hafizullah Amin, un autre dirigeant du Khalq, fut élu au Politburo, mais après une âpre bagarre. Les Parcham affirmaient qu’il était un agent de la CIA, recruté pendant ses études à Columbia.
Une telle accusation qui visait à discréditer un opposant politique, était rare dans la gauche sud-asiatique et généralement ignorée. Mais Amin ne nia pas. D’après Braithwaite, il affirma qu’il « n’avait pas d’argent à cette époque et qu’il avait été trompé par la CIA. » Qui pourrait le croire ? Quelle que soit la vérité, dans les deux années qui suivirent, aucun agent de la CIA n’aurait pu faire un meilleur travail en termes d’isolement et de destruction de la gauche afghane et d’offrande du pays à ses ennemis. Le PDPA déclarait 15000 adhérents. Le Parcham, 1500 membres, était en minorité constante. Les deux chiffres étaient exagérés et ce soi-disant soutien politique à Kaboul s’évapora rapidement, tandis que le Parcham s’appuyait sur l’ambassade soviétique pour éviter d’être éliminé physiquement et politiquement.
Le pays dans lequel les deux groupuscules communistes avaient pris le pouvoir était l’un des plus arriérés du monde. Chaque tribu pachtoune contrôlait l’exploitation de la terre, de l’eau et des pâturages sur son territoire ; les khans ou chefs employaient certains membres de leur clan comme fermiers et les autres essentiellement comme esclaves. Chaque tribu avait sa propre bande d’hommes armés. Un roi gouvernait la confédération des tribus, mais jusqu’à la fin des années 1930, les monarques étaient régulièrement assassinés ou exilés après des révoltes de palais ou des rébellions. Le roi Amanullah, qui régna de 1919 à 1929, essaya de moderniser le pays en proposant un État séculier sur le modèle turque ; son projet de constitution envisageait une chambre basse élue sur la base du suffrage universel, l’enseignement mixte, la substitution des importations par le développement d’industries légères, une réforme du système des taxes, une banque nationale, de nouvelles routes et un réseau de communication. Mais les agents politiques britanniques fomentèrent une révolte tribale contre ces réformes, et Amanullah dut fuir en exil sur la Riviera italienne. Il mourut en 1960.
Si le PDPA avait utilisé le programme d’Amanullah accompagné d’une réforme agraire, il aurait eu davantage de succès. Mais les Khalqs, en particulier, étaient des mythomanes. Hafizullah Amin prétendait qu’il allait apprendre aux Russes la signification de la révolution : « Après notre grande révolution, les miséreux devraient savoir qu’il existe un raccourci pour aller de la classe féodale à la classe ouvrière et notre révolution l’a prouvé. » Les réformes agraires du PDPA visaient à catapulter le pays directement de la propriété privée au collectivisme. Mais les paysans eurent peur de prendre la terre sans alternative et les propriétaires dénoncèrent les communistes comme athées et infidèles. « 98 % sont d’accord avec les réformes », prétendait Amin. Mais sa promesse d’exterminer les 2 % qui ne l’étaient pas fut un peu imprudente.
Youri Andropov, alors à la tête du KGB, et Andrei Gromyko, le ministre soviétique des Affaires étrangères, estimèrent que ce qui se passait à Kaboul n’était pas une révolution. Andropov avait retenu quelques leçons de son expérience comme ambassadeur soviétique en Hongrie pendant le soulèvement de 1956. Pour lui, ce qui s’était passé à Kaboul était un coup d’État, perpétré par une petite faction communiste des forces armées. À la différence de la révolution sud-yéménite, à la même période, elle avait un soutien populaire limité. C’était un vrai problème. Envoyer l’Armée russe pour soutenir le PDPA serait, conclut Andropov, contre-productif. Les dirigeants afghans, confrontés à une mutinerie à Herat et au mécontentement ailleurs, insistaient pour une intervention de l’armée soviétique. Andropov avertit le Politburo que la population considérerait les militaires soviétiques comme des agresseurs. Il fut fortement soutenu par le Premier ministre, Alexis Kossyguine, et par le ministre de la Défense, le général Oustinov. Au cours d’une conversation téléphonique avec Taraki, Kossyguine suggéra que le régime de Kaboul « arme les travailleurs, la petite bourgeoisie et les « cols blancs » d’Hérat, et qu’il imite les Iraniens « qui avaient expulsé les Américains sans aucune aide extérieure. » « Le gouvernement afghan ne pourrait-il pas lever, disons, cinquante mille étudiants, paysans et ouvriers de Kaboul, et leur donner les armes fournies par Moscou ? » Braithwaite trouve cela naïf, mais je ne suis pas certain qu’il ne s’agissait pas de montrer, d’une certaine manière, que le régime n’avait pas de base sociale. Taraki, ne comprenant pas l’ironie de la chose, répondit que même à Kaboul, les ouvriers constituaient une faible minorité. Ainsi, les choses étaient claires : un régime sans soutien à l’intérieur dépendait pour sa survie du soutien militaire d’une puissance étrangère. L’Afghanistan n’était pas Cuba où, en dépit d’une invasion avortée, de nombreuses tentatives pour éliminer Castro et d’un blocus économique (partiellement neutralisé par l’aide économique soviétique), les États-Unis n’avaient pas réussi à changer le régime. La raison est évidente : la révolution cubaine était une réalité, elle avait un soutien populaire.
Le manque de base sociale du PDPA était un problème que la répression ne pouvait résoudre. Quand Vladimir Krioutchkov, un ex-officier du KGB, visita Kaboul en 1978, il fut horrifié d’entendre Taraki prétendre qu’en une année les mosquées seraient vides. Il y eut plus de prisonniers politiques et d’exécutions dans les deux premières années du régime PDPA que dans les cinquante années précédentes. Quand Alexandre Pouzanov, l’ambassadeur soviétique, protesta auprès d’Amin au sujet de l’escalade de la répression, on lui répondit que le PDPA suivait l’exemple de l’Union soviétique à ses débuts. Le problème, selon les Afghans, était la mauvaise volonté de l’Union soviétique à envoyer des soldats pour défendre la révolution.
Réalisant qu’ils n’arriveraient pas à convaincre les Russes, les communistes afghans s’en prirent les uns aux autres. Ce furent ces brutaux règlements de compte qui, finalement, provoquèrent l’intervention soviétique. La faction du Khalq, dominante, purgea le gouvernement de ses rivaux du Parcham et trois ministres trouvèrent refuge dans une représentation soviétique. Ils furent cachés dans des containers, emmenés à la base de Bagram et sortis par avion du pays. Braithwaite raconte que leur chef, Babrak Karmal, était considéré par les Russes comme « émotionnel » et « enclin à l’abstraction au détriment des analyses concrètes ». La direction du Parcham fut mise en sommeil jusqu’à ce qu’on en ait besoin, ce qui arriva plus vite qu’on aurait pu s’y attendre.
Amin décida de se débarrasser de Taraki en utilisant un stratagème stalinien classique. Il organisa un faux attentat contre sa propre vie dans lequel un de ses gardes du corps fut tué, et accusa Taraki. Artemy Kalinovsky, dont le livre, A Long Goodbye, The Soviet Withdrawal from Afghanistan, confirme à plusieurs égards, l’explication de Braithwaite, tout en ayant une interprétation différente de cet épisode crucial, suggérant qu’Amin était bien la victime. Mais il ne produit aucune preuve et tous les éléments présentés suggèrent le contraire. Amin voulait un contrôle total et croyait que son emprise sur l’armée était suffisante pour lui assurer sa réussite et gagner l’adhésion des Russes. Ses soldats assiégèrent le palais présidentiel et il arrêta Taraki. À Moscou, les vieux membres du Politburo étaient ennuyés mais prêts à accepter le nouveau dirigeant. Puis Amin fit une erreur fatale. Il décida d’exécuter Taraki. Trois agents du renseignement issus de la garde présidentielle furent désignés pour assassiner l’homme qu’ils avaient juré de protéger.
Taraki était en robe de chambre lorsque les trois hommes vinrent le chercher, écrit Braithwaite : « Le lieutenant Ruzi dit : « Nous sommes venus pour vous conduire ailleurs». Taraki lui donna de l’argent et des bijoux pour les transmettre à sa femme…. Le groupe descendit dans une autre petite pièce dans laquelle il y avait un lit vétuste. Taraki tendit sa carte du parti et sa montre en leur demandant de les donner à Amin. Ruzi dit à Eqbal d’attacher les mains de Taraki avec un drap et ordonna à Taraki de s’allonger sur le lit. Taraki le fit sans protester…Ruzi lui couvrit ensuite la tête avec un oreiller et lorsqu’il l’enleva, Taraki était mort. L’affaire dura 15 minutes au total. Sans s’en faire pour le linceul de coton, ils enroulèrent le corps de Taraki dans une couverture et l’emportèrent dans la Land Rover jusqu’au cimetière où ils l’enterrèrent. Ils étaient en larmes lorsqu’ils firent leur rapport (à leur patron). »
Le lendemain matin, le Kabul Times se fit l’écho de « la mort soudaine et tragique » d’un « grand dirigeant, génial et aimé ». Andropov, choqué par l’incapacité du KGB à prévoir ce qui était arrivé, changea d’avis sur l’intervention. Il fallait tout faire pour éliminer Amin.
Le haut commandement militaire, cependant, n’était pas convaincu qu’Amin devait être remplacé. Le plus ancien conseiller militaire soviétiques à Kaboul, le général Gorelov, le décrivait comme « un homme très volontaire, un travailleur acharné, un organisateur exceptionnel et un ami auto-proclamé de l’Union soviétique », même s’il était aussi « fourbe, malhonnête et impitoyablement répressif ». Mais le KGB était également clair sur le fait qu’Amin devait partir. Selon eux, il n’était pas capable de créer une coalition populaire qui pourrait résister aux Moudjahiddin. Les dirigeants du Parcham étaient plus à même de le faire, croyaient-ils et, dans tous les cas, pouvaient être contrôlés par les conseillers soviétiques. Personne ne semblait avoir compris qu’il était déjà trop tard. Dès qu’ils prirent le pouvoir, les Parcham se vengèrent des cadres du Khalq dont plusieurs furent éliminés, emprisonnés ou tués. Babrak Karmal, devenu président, expliqua qu’ils punissaient simplement ceux qui avaient réprimé des Afghans « innocents ». Les Russes tuèrent eux-mêmes Amin.
La 4ème Armée soviétique fut formée en grand secret pour combattre en Afghanistan. La plupart des recrues venaient des familles pauvres, non du Parti ou de l’élite militaire. Braithwaite cite l’historien Grigory Krivosheyev lorsqu’il suggère que le temps était venu de restaurer « l’ancien nom romantique des forces armées : « L’Armée rouge des Ouvriers et des Paysans ». Cette force rassemblée en urgence était sans aucun doute bien équipée : « Jamais, auparavant, dans l’histoire des forces armées soviétiques, une armée n’avait bénéficié de sa propre force aérienne. », soulignait le dernier commandant de la 40ème Armée, le général Gromov. « Elle était particulièrement bien fournie en unités spéciales – huit unités de reconnaissance. » Aucune ne fut très utile dans un contexte d’opération de contre-insurrection. La guérilla afghane – ou « combattants de la liberté », comme on les appelait en Occident à l’époque – était soutenue par « les brigades internationales » envoyées à la demande de Washington par l’Égypte, l’Arabie saoudite et l’Algérie. Oussama Ben Laden en faisait partie. La crainte que les soldats soviétiques musulmans désertent en masse pour rejoindre l’ennemi s’avéra infondée. Le conflit fut brutal. Avant de tuer les Russes qu’ils capturaient, les Afghans les torturaient, les mutilaient et occasionnellement les dépeçaient. Braithwaite décrit un incident horrible dans la province de Kunar. Lorsque les Moudjahiddin surprirent un groupe de Russes, plusieurs soldats se suicidèrent plutôt que de se rendre. Les autres furent mutilés et brûlés vivant. Le seul survivant ne sortit jamais de la folie. La 40ème Armée répondit de la même manière. Un vétéran écrivit :
« La soif de sang… est un désir terrible. Elle est si forte qu’on ne peut lui résister. J’ai vu par moi-même comment un bataillon a ouvert un feu d’enfer sur un groupe qui descendait vers nous. Et il y avait nos soldats, un détachement de la compagnie de reconnaissance qui nous avait protégés sur le flanc. Ils étaient à seulement 200 mètres et nous étions sûrs à 90 % que c’était les nôtres. Malgré cela – la soif de sang, le désir de tuer à tout prix. Des dizaines de fois, j’ai vu de mes propres yeux comment de nouvelles recrues criaient et pleuraient de joie après avoir tué leur premier Afghan, montrant du doigt l’homme mort, se tapant dans le dos, et vidant tout un chargeur sur le cadavre « juste pour être sûr… » Tout le monde ne peut pas contrôler ce sentiment, cet instinct, et étouffer le monstre dans son âme. »
Un autre soldat, Vanya Kosogovski, d’Odessa, raconte comment, après avoir jeté une grenade dans la maison d’un village, il entra pour inspecter le résultat. Il avait tué une vieille femme et quelques enfants. Une femme plus jeune et d’autres enfants étaient encore vivants. Il les tua et jeta ensuite une autre grenade – juste pour être sûr.
Les craintes d’Andropov étaient justifiées. Lorsqu’il mourut en 1984, les dirigeants soviétiques savaient que la guerre ne pouvait être gagnée Il savait que, via les services secrets du Pakistan, l’ISI, les Américains et leurs alliés armaient les Moudjahiddin avec les armes les plus modernes, y compris, très vite, les lanceurs personnels de missiles, les Stingers (qui devinrent le n°1 des armes vendues au marché noir au Pakistan). Plus encore, ils savaient que le gouvernement de Kaboul était inutile. Ils commencèrent à discuter d’une stratégie de retrait.
En 1985, Mikhail Gorbachev prit le pouvoir, mais comme le souligne Kalinovsky, il lui fallut trois ans pour arriver à admettre l’étendue du désastre. « Vers le début de mai 1988, écrit-il aux membres du Parti, nos pertes s’élevaient à 13 310 soldats en Afghanistan. 35 478 officiers et soldats étaient blessés, dont beaucoup restés invalides. 301 ont disparu dans l’action… les pertes afghanes, naturellement, étaient beaucoup plus lourdes, y compris les pertes dans la population civile. » En février 1989, la 40ème Armée quitta l’Afghanistan. Le général Gromov, toujours star de l’écran, fut le dernier soldat soviétique à passer le pont de l’Oxus. Les Soviétiques laissèrent derrière eux un gouvernement Parcham conduit par l’ancien chef de la police secrète, Muhammad Najibullah.
Quelques mois plus tôt, Yevgueni Primakov avait rencontré des personnalités importantes du ministère pakistanais des Affaires étrangères et suggéré qu’il n’était dans l’intérêt de personne de mettre en place un gouvernement national de coalition en Afghanistan. Si le Pakistan tentait une prise de pouvoir, sa compétence ne s’étendrait pas au-delà de la région pachtoune. Mais si rien n’était fait, Najibullah tomberait et les Moudjahiddin ne mettraient pas longtemps à leur sauter à la gorge. Son conseil fut transmis au Premier ministre pakistanais, Benazir Bhutto, mais rejeté sur ordre des États-Unis.
Il s’avéra très rapidement que Primakov avait raison : les Moudjahiddin se battirent entre eux et le pays glissa dans le chaos. Les chefs des Moudjahiddin furent à l’image de la gauche divisée dont ils connaissaient bien les dirigeants et contre lesquels ils avaient combattu pour gagner le terrain politique à l’université de Kaboul, dans les années 1960. La Jamiat-e Islami afghane fut fondée par un étudiant en théologie appelé Burhanuddin Rabbani en 1968 et se concentra sur le recrutement de cadres et l’élimination de la gauche à l’université. Elle recruta Gulbuddin Hekmatyar, un étudiant à la langue acérée de la faculté d’ingénierie, mais Hekmatyar décida rapidement qu’il voulait son propre groupe et créa le Hizb-e Islami avec le soutien d’Islamabad. Trois ans après le retrait de l’armée soviétique, le gouvernement de Najibullah tomba et Rabbani devint président. Son ministre de la Défense était Ahmak Shah Massoud, un chef charismatique tadjik de la guérilla, venu du nord. Deux ans plus tard, Hekmatyar, désormais pion de l’ISI, s’associa avec un ancien propriétaire terrien pro-soviétique, le général Dostom, pour essayer de déloger ses vieux rivaux du pouvoir. 25000 personnes furent tuées à Kaboul dans l’année 1994 à cause de sa campagne, et la moitié de la ville fut réduite en cendre. Une nouvelle vague de réfugiés se déversa sur le Pakistan, déstabilisant sa structure sociale déjà fragile.
Le gouvernement Bhutto qui commençait à s’inquiéter des activités croissantes des Jihadistes afghans au Pakistan, décida alors d’entraîner et d’armer les enfants des réfugiés afghans qui avaient fui dans les années 1980, et de les utiliser, renforcés par des « volontaires » pakistanais, pour prendre le pays. Ce fut l’opération la plus réussie de l’histoire de l’armée pakistanaise. Les Talibans prirent Kaboul (assassinant Najibullah) et mirent fin au désordre en imposant une dictature religieuse : les femmes en burqua, les violeurs exécutés, les champs de pavots détruits etc. Progressivement, le gouvernement du mollah Omar gagna de l’autonomie par rapport à ses patrons d’Islamabad et engagea, même, des négociations amicales avec les compagnies pétrolières américaines. Mais ses connections wahhabites s’avérèrent fatales. Le reste, nous le connaissons.
Kalinovsky cite un éditorial du New York Times de janvier 2010, écrit par le général Gromov (aujourd’hui gouverneur de la région de Moscou) et Dmitri Rogozin (l’ambassadeur russe à l’OTAN), dans lequel ils expriment des réserves de type « néocon » sur le retrait prématuré américain d’Afghanistan. « Nous sommes des plus mécontents de l’esprit de capitulation qui règne au quartier général de l’OTAN, écrivent-ils, qu’il soit maquillé en « pacifisme humaniste » ou en « pragmatisme ». Braithwaite, en même temps, nous dit qu’une compagnie commerciale basée à Moscou, Vertical-T, fournit des hélicoptères Mi-8 russes et des pilotes pour aider l’OTAN : « Lorsqu’un de ces hélicoptères a été abattu en 2008, l’ambassadeur russe à Kaboul a contacté les Talibans pour le retour des corps. « Vous voulez dire qu’ils étaient russes ? », ont dit les Talibans. « Nous pensions qu’ils étaient américains ; bien sûr, vous pouvez les avoir. »
Afgantsy : The Russians in Afghanistan 1979-1989, Rodric Braithwaite, ed. Profile, mars 2011
A Long Goodbye : The Soviet Withdrawal from Afghanistan, Artemy Kalinovsky, Harvard, mai 2011
https://www.lrb.co.uk/v33/n12/tariq-ali/andropov-was-right