Le silence coupable de la Sorbonne et de George Town University
A regarder les chaînes satellites – et aussi la presse écrite – financées par les monarchies du Golfe, le spectateur arabe lambda se frotte les yeux. On baigne en effet en pleine schizophrénie. Car comment se fait-il que des pays esclavagistes, qui ne sont régis par aucune loi fondamentale digne de ce nom, qui vivent sous la chape de plomb de régimes claniques et moyenâgeux, sous des dictatures protégées par l’Occident, se permettent-ils de prêcher la démocratie aux autres pays arabes, voire d’envoyer leurs avions bombarder un pays comme la Libye pour renverser son régime et y instaurer la démocratie sur ses ruines. Comment se fait-il que ces médias se transforment en porte-parole de l’insurrection du peuple syrien dans sa légitime quête de la démocratie et en même temps taire les violations les plus flagrantes des libertés politiques et académiques dans les pays qui les financent ? Comment se fait-il que les pays occidentaux ferment les yeux sur cette réalité.
Venons-en aux faits.
Le Qatar, pays d’Al-Jazeera, qui abrite plusieurs universités occidentales, dont la prestigieuse université américaine George Town, se permet d’interdire des livres universitaires commandés par les enseignants de cette université. Des interdictions qui avaient amené l’ambassade américaine à Doha à intervenir sans grand succès. Les livres commandés sur Amazone sont systématiquement censurés par les idéologues wahhabites du régime, malgré la « protection » qu’accorde Cheikha Moza al-Mesned, la seconde épouse de l’émir, à cette université. Bien sûr, ces faits sont occultés par le Département d’Etat américain dans ses rapports annuels sur l’état des libertés dans le monde.
Idem pour les Emirats arabes Unis où la Sorbonne avait ouvert il y a quelques années une filiale à Abou Dhabi. Or dans ce « temple de la culture française » en pays arabe, les libertés politiques et académiques les plus élémentaires ont été bafouées sans que cela amène la France, voire même la Sorbonne à réagir. De quoi s’agit-il exactement ?
Selon Human Right Warch, Nasser bin Ghaith, professeur émirati de cette université est traîné devant la « justice » de son pays pour avoir « insulté les dirigeants des Emirats arabes unis (EAU) par ses appels à des réformes démocratiques » !
Nasser bin Ghaith a en effet publié cette année un article dans lequel il reprochait aux autorités des EAU de chercher à éviter les réformes politiques en achetant la paix sociale par de généreux programmes de dépenses publiques.
En France, l'Université Paris-Sorbonne n'a fait aucun commentaire jusqu'ici.
Bin Ghaith et quatre autres ressortissants des EAU sont jugés pour affront aux dirigeants des Emirats, Etat du Golfe épargné par la vague de révoltes qui a balayé cette année le monde arabe, mais connu pour réduire promptement au silence les mouvements dissidents.
Troisième exportateur mondial de pétrole, les EAU sont un proche allié des Etats-Unis au Moyen-Orient.
« Malgré les pressions croissantes des groupes de défense des droits de l'homme internationaux et des étudiants de l'Université Paris-Sorbonne pour l'inciter à intervenir, la Sorbonne a non seulement refusé de critiquer les autorités des EAU mais a aussi cherché à prendre ses distances à l'égard de bin Ghaith », dit un communiqué de HRW publié le 1 » octobre.
« Chaque membre du corps enseignant de la Sorbonne devrait prendre le temps de penser à ce que cela signifierait pour elle/lui si les Emirats, ou n'importe quel autre gouvernement, la/le persécutait pour avoir exprimé ses opinions politiques, tandis que l'administration de l'Université se contentait d'observer en silence », a déclaré Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau de HRW en France.
« Les frais de scolarité d'Abou Dhabi valent-ils une violation élémentaire de la liberté d'expression ? »
Bin Ghaith, ancien pilote de l'armée de l'Air des EAU âgé de 42 ans, enseigne le droit international à la Sorbonne-Abou-Dhabi depuis 2009. Cette université a été créée en 2006 dans le cadre d'un accord entre l'université française Paris-Sorbonne et le gouvernement des EAU.
Parmi les accusés figure Ahmed Mansour, ingénieur et défenseur des droits de l'homme qui s'est joint cette année à d'autres militants pour lancer une pétition en ligne réclamant des pouvoirs renforcés pour le Conseil national fédéral, un organe consultatif du pays.
Human Rights Watch cite un communiqué daté du 1er octobre dans lequel Bin Ghaith écrit de sa prison qu'il ne connaît « pas vraiment » le ou les chefs d'inculpation retenus contre lui. Son avocat a déclaré qu'il avait subi de mauvais traitements en détention et avait été un moment placé au secret et enchaîné.
Les accusés ont plaidé non coupables et les décisions de la cour de sûreté de l'Etat ne sont pas susceptibles d'appel. Les médias et les groupes de défense des droits de l'homme ont eu accès au procès ce mois-ci pour la première fois depuis son ouverture en juin.
Avec Reuter’s